Mgr Ravel, évêque aux Armées, a publié une lettre pastorale de 105 pages. Elle est consacrée aux “rapports entre les religions au sein d’un état de droit“.On y lit notamment cette demande de l’évêque aux Armées :
Chacun veut être reconnu et aimé pour ce qu’il est et se révulse lorsqu’il se sent assimilé sans nuance à un groupe ou à une autre personne. Une requête forte d’identité particulière caractérise notre époque.
J’insiste sur cet aspect du culte catholique et de lieu de culte spécifique : depuis ses origines, le christianisme a tenu pour essentiel de célébrer librement l’eucharistie et de disposer autant que faire se peut de lieux idoines pour cette célébration. Des martyrs sont morts pour cela. Dès la fin des persécutions, le monde gréco-romain se pare d’un « blanc manteau d’églises ». Certes, à toute religion, il importe d’avoir ses temples ou ses « hauts lieux ». Mais la spécificité catholique surgit de ce que nous reconnaissons être « la présence réelle », présence du Christ lui-même que la messe réalise d’une manière absolument sans équivalent : la présence de Dieu parmi nous sous les « espèces » (les dehors visibles et palpables) du pain et du vin. Prolongement de son incarnation et de sa passionrésurrection, la présence eucharistique du Christ s’inscrit désormais au-delà de la célébration elle-même : nos tabernacles contiennent exactement cette présence inédite à laquelle ne peut se comparer nulle autre présence. Aussi il n’est pas indifférent pour un catholique de prier devant le Saint-Sacrement ou en son absence. Il est même de la plus haute importance d’avoir à sa disposition aisée un lieu digne, symboliquement identifié, où il puisse venir prier devant le Saint-Sacrement. Telle est la vision de l’Eglise catholique. Telle est sa pratique multiséculaire. Tel est notre besoin clairement identifié comme étant le premier : les missionnaires arrivant sur des terres jusque là ignorées commençaient par planter la croix et édifier chapelles ou églises. Les monastères commençaient ainsi.
Ces demandes répétées de lieux de culte catholiques correspondent donc à la première des exigences essentielles de la pratique catholique : il faut au culte catholique, dès que la chose peut se faire, un lieu spécifique, qui ne peut être partagé avec nulle autre religion ou confession différente puisqu’il contient un autel, symbole du Christ, et un tabernacle avec la Présence Réelle. Si je parle d’un lieu réservé aux catholiques, ce n’est point par mesure d’exclusion : c’est par respect pour ce que nous croyons auquel les autres n’adhèrent pas et, qu’à ce titre, ils ne peuvent pas respecter comme nous l’entendons. Si nous exigions qu’ils les respectent comme nous sans avoir la même foi que nous, nous les jetterions à poser des actes qui iraient contre leur conscience puisque contraires à leur foi :
doit-on demander à un croyant musulman de faire la génuflexion devant le tabernacle ? Il n’est pas difficile de noter que, dans d’autres cultes, des exigences de comportement sont étroitement liées au bâtiment religieux : la nécessité d’entrer déchaussé dans une mosquée ou couvert dans une synagogue traduit pour le culte concerné un respect du lieu et du sacré dont il est porteur. Celui qui ne possède pas la même foi mais souhaite entrer dans l’édifice se pliera de façon légitime à cette règle par respect pour le lieu alors qu’il n’en saisit pas la vérité mais parce que cette requête ne va pas contre sa conscience. Cette règle du respect de chacun par les autres imprime la nécessité pour un catholique d’un lieu sans partage où puissent se vivre les marques de respect de notre foi à l’égard de l’autel et du tabernacle, puis de tous les autres signes traditionnels à travers lesquels s’exprime notre foi et vit notre prière.
Plus loin, Mgr Ravel critique les prières interreligieuses, parfois exigées par les autorités militaires :
L’Eglise catholique encadre strictement nos pratiques liturgiques et cérémonielles. Certains en seront choqués préjugeant un centralisme réducteur. En réalité, l’Eglise se veut gardienne de l’unité et de la foi. Or notre manière de célébrer exprime notre foi et notre unité. Le mot célèbre de saint Augustin peut être ici rappelé : « si tu veux savoir ce que nous croyons, viens voir ce que nous chantons. » Et lorsque, par souci de manifestation de la solidarité entre militaires, on nous demande de prier avec d’autres qui ne sont pas chrétiens, nous nous trouvons en porte à faux sévère, pris en tenaille entre une convergence de désir (car nous aussi catholiques avons le goût de la fraternité et de la solidarité) et un souci encore plus fort de ne pas trahir notre foi : nous prions et nous célébrons au nom du Seigneur Jésus, Fils unique du Père éternel, et dans la conscience qu’il est notre unique médiateur. Celui qui n’adhère pas à cet élan peut-il prier avec nous ? Aucune célébration chrétienne ne se fait au nom de Dieu mais au nom de la sainte Trinité et c’est ainsi que nous commençons nos prières par la formule consacrée « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », en faisant le signe de la croix sur notre corps. Ce rite rapide et apparemment fugace n’a donc pas valeur d’habitude : il dit notre foi. Il marque sur nos lèvres le mouvement de notre coeur. Nous ne savons pas prier en dehors de Jésus-Christ : et s’il n’est pas sur nos lèvres, il est dans notre coeur. L’oublier extérieurement pour gommer les aspérités avec les autres cultes revient à jouer la comédie : convient-il à un homme d’en obliger un autre à manquer de sincérité ? A vivre une douloureuse dualité en disant une chose tout en en pensant une autre ?