Mgr Centène, évêque de Vannes, explique dans Famille chrétienne le sens de la marche contre la christianophobie :
Mgr Padovese, l’ancien président de la Conférence épiscopale turque, a été assassiné par son chauffeur l’an dernier. Je l’avais eu comme professeur de patrologie à l’Université grégorienne à Rome. Par ailleurs, j’ai été particulièrement touché par l’attentat en Égypte, car je m’y suis rendu en octobre dernier avec une association du diocèse, Les Amis d’Égypte. Là-bas, j’ai noué des liens avec des familles coptes catholiques et orthodoxes. Aussi, j’ai pensé qu’il serait bon d’organiser une veillée de prière : en France, les chrétiens sont trop indifférents au sort de leurs frères persécutés dans le monde, alors qu’ils devraient leur être proches. J’ai réuni cinq associations présentes dans le diocèse, l’AED, l’Œuvre d’Orient, l’Ordre du saint-sépulcre, Les Amis d’Égypte, et Notre-Dame de la liberté de conscience, qui aide des convertis de l’islam. Il nous est alors apparu que nous ne pouvions pas organiser une simple réunion d’initiés : il fallait interpeller l’opinion publique, parce que le monde, chrétiens compris, est dans une sorte de léthargie.
Votre marche était silencieuse, pourquoi ?
L’invitation était adressée également aux non-croyants. Le silence n’est pas un acte de culte, marcher avec nous est donc accessible à tous. Entendons-nous bien, notre démarche n’est dictée ni par la peur, ni par la paranoïa. Notre vie, la vie de l’Église est entre les mains du Seigneur, pas des instances gouvernementales. La persécution, qu’elle soit frontale ou plus pernicieuse, est le lot du disciple de Jésus-Christ, prêt à donner jusqu’à sa vie pour témoigner de la vérité tout en pardonnant à ses bourreaux. Mais que cette réalité ne soit pas un prétexte pour nous enfermer dans un silence coupable, signe d’un abandon de nos frères et sœurs, d’une résignation face au scandale de l’injustice. Plus largement, il en va du respect de la dignité de tout être humain, chrétien ou non, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. […]
Selon vous, les chrétiens en Orient bénéficient-ils de la liberté religieuse ?
Souvent, on pense que les chrétiens du Proche et du Moyen Orient bénéficient d’une relative liberté de culte. Or, la liberté religieuse, ce n’est pas seulement la liberté de culte. C’est aussi la liberté de conscience et donc la possibilité de se convertir au christianisme sans être persécuté. Il n’existe pas de vraie liberté de conscience lorsque certains États tolèrent, voire promeuvent, le viol de la conscience par des moyens que le simple respect de la justice et de la dignité humaine réprouve. Je crois que nul n’a le droit d’imposer la vérité ou ce qu’il considère être tel par la force, par le viol de la conscience, par des moyens coercitifs. La conscience est un sanctuaire inviolable. Non parce qu’elle serait créatrice de vérité – la vérité est la vérité, quelle que soit mon opinion. Mais parce qu’elle est le lieu de la responsabilité fondamentale de la personne face à Dieu. Cette responsabilité lui est propre et personne n’a le droit de la forcer sous peine de se prendre pour Dieu. Dieu lui-même, d’ailleurs, ne force pas la conscience.
Le modèle à proposer est-il celui de la laïcité « à la française » ?
En Occident, cette conception de l’homme et de la dignité humaine est issue de l’évangélisation de la culture. La grande erreur de nos hommes politiques est de croire que ces valeurs sont universellement reconnues. Notre mentalité culturelle a été façonnée par vingt siècles de christianisme. Cela a permis le développement en France et en Occident de notions fondamentales, telles que la dignité de la personne humaine ou la distinction des pouvoirs spirituel et temporel, que l’on nomme aujourd’hui – dans une acception erronée – la laïcité. Les Français croient souvent qu’ils le doivent à la pensée moderne ; ils ne savent plus qu’elle a pourtant pour origine cette phrase du Christ : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu, ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21). La philosophie chrétienne, à la lumière de la Révélation, a ainsi établi une distinction entre pouvoir spirituel et temporel.
La laïcité est donc pour vous d’origine chrétienne ?
Oui, et le malheur de notre temps est d’avoir vu cette distinction comme une séparation radicale excluant Dieu et la religion de la vie sociale pour prétendre les enfermer dans la sphère privée des consciences. D’un côté, les instances gouvernementales des nations européennes refusent de reconnaître leurs racines chrétiennes. De l’autre, elles s’obstinent à croire universellement partagé un reliquat perverti des valeurs sur lesquelles ces nations furent bâties. Cette confusion des idées, qui ne reposent plus sur un socle philosophique solide, nous rend incapables d’analyser la réalité sans angélisme ni complaisance. Ce qui laisse la part belle aux fondamentalismes, religieux, areligieux, ou politiques, devant lesquels nous sommes devenus impuissants.
Si la laïcité vient du christianisme, peut-elle être partagée par l’islam ?
Parce que cette notion de distinction des pouvoirs est entrée dans la culture occidentale, nos hommes politiques s’imaginent qu’elle est une composante universelle de la pensée. Cette conception n’est pas partagée par tous et notamment par l’islam. L’islam ne sépare pas pouvoirs spirituel et temporel. Il n’accepte pas non plus, avec raison, que la religion soit confinée à la sphère privée. Au contraire il les confond, au point de considérer la laïcité comme un véritable blasphème.