L’abbé Guillaume de Tanoüarn, de l’Institut du Bon-Pasteur, livre ses impressions après les déclarations de Mgr Lebrun. Je le cite intégralement car il me semble
toucher du doigt le véritable problème de l’épiscopat français dans sa grande majorité :
“C’est une véritable souffrance de lire l’entretien que Mgr Dominique Lebrun a donné à l’hebdomadaire Témoignage chrétien, qui conclut ainsi l’année du sacerdoce (clôture
officielle le 19 juin). Souffrance et non indignation. On sent que cet évêque est sincère. On devine quels sont les terribles problèmes auxquels il doit faire face. Mais comment est-il
possible que l’évêque prenne sur lui la responsabilité de redéfinir la mission de l’Eglise, au lieu de se contenter de la réguler, avec tous les moyens dont il peut disposer ?
Comment se fait-il que – volens nolens, qu’il en ait conscience ou non – il touche aux finalités mêmes de l’Eglise, au lieu de présider à son fonctionnement dans le diocèse qui
lui est imparti ? Il prend une responsabilité qu’il n’a pas sur la nature même du service de l’Eglise et il ne prend pas la seule responsabilité qui lui revient de droit : celle du
succès ou de l’échec des mesures prises pour le bon fonctionnement de l’Eglise telle qu’elle est.
Mais voici ce qu’il dit sous le titre entre guillemets : “Oublions le mot paroisse“. “Je crois, déclare-t-il, que nous devons amplifier nos propositions catéchuménales, mais diminuer
notre offre sacramentelle“. Et de préciser : “A la Pentecôte, j’ai fait un rassemblement diocésain sans eucharistie“. On sait comment se passent désormais ces “rassemblements
diocésains“. On supprime les messes à des km à la ronde et on oblige les gens à venir assister à la messe de l’évêque. Petite précision : pour la Pentecôte, pour la fête du Saint
Esprit qui rend présent le Christ dans l’eucharistie… il n’y a pas d’eucharistie. Pas de messe. Simplement une proposition catéchuménale amplifiée.
Si les choses ont un sens, cela signifie que l’évêque préfère faire passer sa parole avant la présence réelle dans l’eucharistie. Et pourtant quelle meilleure manière d’évangéliser que de
donner l’eucharistie ? “Je préfère faire ainsi que célébrer devant des gens qui n’y sont pas prêts“. Pas prêts à l’eucharistie, les pratiquants du diocèse de
Saint-Etienne ? C’est possible. Mais alors cela demande un sérieux examen de conscience de la part de leur évêque. Si la messe n’apporte plus rien aux gens, on doit se demander comment
elle est célébrée. Le problème regarde les prêtres qui sont responsables de l’eucharistie et non pas les laïcs, auxquels elle est due, quelles que soient les préférences personnelles de tel ou
tel.
L’Eglise telle que la rêve Mgr Lebrun est une Eglise qui s’est profondément réformée elle-même. Une Eglise qui a fait son deuil de… la messe, en dehors des grandes
circonstances bien entendu. Même les ADAP (Assemblées dominicales en l’absence de prêtres) sont encore trop proches de la vieille messe : “Les ADAP ont échoué dans leur forme, déclare Mgr
Lebrun. Les intuitions étaient justes, mais ces cérémonies étaient trop calquées sur la messe“. Raison de cet échec. C’est Sylvain Brison qui la donne dans le dossier de témoignage Chrétien,
qu’il faut se procurer intégralement : “elles peuvent induire une confusion, un sentiment de consommation“. On doit redouter l’ADAP [avec distribution de la communion] parce qu’elle
“chosifie l’eucharistie“.
Mgr Lebrun “ne veut plus de carcan” explique doctement TC. Il pense que la réforme de l’Eglise se passera “facilement” et qu’un autre modèle d’Eglise naitra sans
heurts : “Nous vivons sur le modèle paroissial depuis le concile de Trente, c’est inscrit dans les gènes. Nous en sommes à la deuxième ou troisième réforme : du latin au français, du
prêtre aux laïcs. Le nouveau changement fera moins de problème“.
Moins de problème ? Certes on a toutes les raisons pour qu’il n’y ait plus de prêtres dans les paroisses et que des laïcs, reconnus par l’évêque, tiennent les communautés. Contra factum non
fit argumentum. « Cela fera moins de problème », peut-être, sur le terrain. Mais pour l’Eglise, ce sera simplement un changement de nature. Pour reprendre
l’analogie de proportionnalité induite par Mgr Lebrun, s’il reste autant de prêtre après le deuxième changement qu’il est resté de latin après le premier, on ne reconnaîtra pas le visage de
l’Eglise. Ce sera… une autre Eglise, si cela continue à être seulement quelque chose.
Car la première Eglise, l’Eglise des prêtres, est divine dans sa constitution. La seconde, cette Eglise où les prêtres seront très peu nombreux et où les messes seront rares, est pour
l’instant un rêve de Mgr Lebrun… Rêve humain trop humain…
Et surtout rêve trop «clérical». Quand on y réfléchit, le dilemme qui est posé entre une offre plus sacramentelle et une offre plus catéchuménale est le choix qui se pose entre une Eglise
qui donne libéralement le surnaturel divin par le moyen de cet instrument du Christ qui est le prêtre et une Eglise de « clercs » (même si ce sont des «clercs» laïcs), une Eglise de parleurs, qui
n’ont rien à donner que leurs propres paroles ou leurs interprétations à n’en plus finir de la parole de Dieu et qui risquent fort à l’usage de faire écran entre le Christ et la piétaille des
fidèles que nous sommes.
Que d’hommes ! Que d’hommes entre Dieu et moi soupirait Jean Jacques, le Vicaire savoyard. En tant que protestant, on comprend qu’il ait eu à passer par quantité d’ “enseignants de la
parole” qui devaient lui paraître plus ou moins stimulant. L’Eglise catholique, elle, ne propose pas seulement la parole et le torrent des docteurs, plus ou moins auto-proclamés, qui
l’interprètent. Elle propose le silence d’une Présence. Elle propose l’accès immédiat et personnel de chacun à la présence de Dieu. Et cette présence, au moins dans le rite traditionnel,
elle ne cherche pas d’abord à l’expliquer par d’interminables commentaires. Elle la manifeste en la rendant sensible par la beauté et par les gestes, en conduisant chacun à son propre
sanctuaire intérieur, depuis lequel il offre, avec le Christ, le sacrifice parfait.
Faut-il «préparer» les gens à la messe ? A la messe selon le rite rénové, sans doute, parce qu’elle a été largement dé-ritualisée par les réformateurs. Mais j’ai expérimenté des centaines de fois
en 20 ans de sacerdoce, le choc que représente, même dans des locaux modestes comme ceux du Centre Saint Paul, petite communauté de base traditionaliste au cœur de Paris, la manifestation de Dieu
dans la liturgie traditionnelle. Je l’ai vu en particulier en Afrique, pendant mes deux premières années de ministère. Et je crois que, dans les banlieues, cette liturgie, à la fois
démonstrative et silencieuse, aurait un véritable impact.
L’échec que décrit Mgr Lebrun est certainement très réel. Loin de moi l’idée de mettre en doute les belles intentions du Pasteur. Mais il représente avant tout me semble-t-il, l’échec
d’une liturgie qui ne se porte pas par elle-même, dans laquelle il faut tout expliquer et qui se présente elle-même non comme un acte sacré, mais comme une longue explication, toujours différente
d’ailleurs d’une prière eucharistique à une autre, et finalement lassante.
Le dossier sur le sacerdoce dans TC, dossier auquel participe Mgr Lebrun à plusieurs reprises, évoque le «carcan eucharistique» dont l’Eglise serait prisonnière. Je comprends de quel
carcan il s’agit – celui d’une liturgie trop explicative et pas assez démonstrative. N’est-ce pas là le vrai problème ? Dimanche soir (Fête Dieu), je suis passé devant Saint-Leu Saint Gilles :
une église comble, de gens à genoux devant le Saint Sacrement exposé. La Présence muette de Notre Grand Dieu et sauveur Jésus Christ valait toutes les offres catéchuménales du monde
!”