Paix Liturgique a publié un extrait de l’ouvrage concernant des entretiens donnés par Mgr Vingt-Trois, Une mission de
liberté. Le Cardinal résume sa pensée avec mépris sur la question de ce que le journaliste appelle les «intégrismes».
“Que pensez-vous des intégristes ?”
Les intégrismes sont un phénomène permanent et commun à toutes les religions. Dans la situation française – et c’est une particularité -, le mouvement d’intégrisme catholique est
indissociable d’une histoire de la pensée et de la vie publique qui remonte à la première moitié du XXè siècle. Avec l‘Action Française s’est élaborée une conception de l’État et
du rôle de la religion dans l’État telle que Charles Maurras l’avait imaginée, où la religion est considérée comme un soutien du fonctionnement de l’État, indépendamment des
croyances que l’ont peut avoir. Donc ce n’était pas la foi qui définissait la place de la religion, mais son rôle dans la société. En caricaturant à peine, on pourrait dire que Maurras était
partisan du catholicisme, sauf de son contenu.
Et cette tradition philosophique politique fut pour une bonne part – à quelques notables exceptions près – associée au régime de Vichy, puis réinvestie plus tard par certains
partisans de l’Algérie française. Nous avons une longue tradition de combats politiques dans lesquels l’attachement à une forme de la vie de l’Église était indissociable du militantisme
politique.
Là-dessus est venue se greffer la résistance de Mgr Lefebvre au concile Vatican II, son incapacité à reconnaître l’autorité du concile. Il s’est placé en détenteur de la vérité
face à ceux qui ne l’avaient pas. Il ne s’agissait pas simplement de contester des votes acquis à l’unanimité moins quelques voix, mais d’un désaccord sur des conceptions fondamentales de la
liberté humaine, sur la relation de l’homme avec Dieu et l’exercice de la liberté de conscience.
Ce mouvement, qui s’est manifesté de façon privilégiée dans des polémiques sur la liturgie, est en fait porteur d’une controverse beaucoup plus profonde, comme l’ont montré d’ailleurs les
épisodes récents. Je me réfère aux décrets de Jean-Paul II et de Benoît XVI visant à libéraliser les usages liturgiques, qui ont fait encore mieux ressortir que, pour un certain nombre,
la question liturgique était relative, sinon secondaire. La question fondamentale est assez simple : est-on dans la communion de l’Église avec le pape et les évêques, ou est-on dans une
« contre-Église » qui veut juger le pape et les évêques ?
À part cela, un nombre important de gens de bonne foi ne connaissent pas ce débat de fond, et n’y participent pas. Ils se déterminent sur des signes extérieurs : à savoir si on dit la messe
tourné vers les fidèles ou non, ou si on la dit en latin ou en français. Ce sont des gens de bonne foi qui profondément ne veulent pas se détacher de l’Église. Ils ne voient pas ou ne
savent pas qu’il y a un arrière-fond à ce qu’on leur propose.
[…]
Ressentez-vous de la violence chez les intégristes ?
Je perçois chez certains une irascibilité et parfois des mouvements violents, au moins verbalement. Je ne crois pas qu’il y ait une violence physique. C’est plus une
violence de l’esprit, intellectuelle, une espèce d’attachement irrationnel à des positions définies et une grande difficulté à accepter d’entrer dans une relation de dialogue. En étant
modeste, 60% de Français se réclament du catholicisme, soit trente-six millions de personnes. À combien peut-on estimer le nombre de ceux qui sont résolument attachés à un mouvement intégriste
?
Personnellement, j’interprète cela plus comme l’expression d’une détresse d’un certain nombre de gens qui n’arrivent pas à penser leur situation dans le monde actuel et qui ont besoin d’être
reconnus par leur Église pour s’assurer une certaine sécurité mentale et humaine. ”
Le Cardinal archevêque de Paris explique ainsi les raisons de son opposition viscérale au Motu Proprio de Benoît XVI. Il doit gérer l’effondrement de l’Église de France et la montée en puissance
des communautés nouvelleset des traditionalistes. Il lui aurait été bon de nuancer l’appellation « d’intégrismes » pour aborder la question des fidèles attachés à la forme
extraordinaire du rite romain. Surtout de la part de quelqu’un qui ne cesse dans ce livre même d’expliquer qu’il faut traiter avec nuances les gens (féministes, personnes homosexuelles…) et qu’il
convient de voir au cas par cas. On est frappé par l’absence de nuance et la définition magistérielle et infaillible que dresse le Cardinal des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite
romain : ils sont comme-ci, ils viennent de là, ils veulent cela. Le quart des vocations sacerdotales est attaché à la forme extraordinaire du rite romain. La faute à Maurras et à Pétain ?
Les femmes et les hommes qui assistent déjà à la célébration de la forme extraordinaire du rite romain, ceux beaucoup plus nombreux qui souhaiteraient le faire s’ils en avaient la possibilité
(1/3 des pratiquants) ne sont pas des malades qui ont besoin «d’être reconnus par leur Église pour s’assurer une certaine sécurité mentale et humaine»… Ce ne sont pas des autistes
«qui n’arrivent pas à penser leur situation dans le monde actuel».