L’abbé Bernard Pellabeuf a publié sur son blog un long texte sur le
sacerdoce en France après Vatican II. Certaines de ces réflexions nous intéressent plus particulièrement :
“A-t-on bien compris les affirmations du concile Vatican II sur le rapport entre le prêtre et l’évêque ? Il est dit que le sacerdoce du
simple prêtre est une participation au sacerdoce de l’évêque, qui seul a la plénitude du sacerdoce, et que le simple prêtre est un collaborateur de l’évêque. Nous sommes bien d’accord, mais il
faut s’entendre sur les termes et leur portée, doctrinale et pratique. […] Dans la pratique, le simple prêtre s’est souvent vu confiner dans un rôle d’exécutant. On lui a retiré assez
rapidement après le concile un bon nombre de ses prérogatives. On peut dire à un prêtre : «vous êtes nommé à tel endroit» (plutôt que vous êtes curé de cet endroit), «mais
vous n’y ferez pas la préparation au mariage, parce qu’il y a là un diacre marié qui connaît forcément mieux la question que vous, et pour la catéchèse, vous serez le collaborateur de Madame
unetelle, catéchiste major, qui a reçu une lettre de mission de l’évêque vu qu’elle a lu deux brochures et suivi trois sessions de quinze jours…» Un moyen de pression qui a permis
d’aller très vite en besogne dans cette restriction du ministère des prêtres a été l’abolition de l’inamovibilité des curés : celui qui manifesterait trop de fermeté serait vite démis…
[…]
Or une circonstance aggrave considérablement cette diminution de l’autonomie des curés, et c’est précisément l’autonomie prise par certains évêques vis-à-vis du Pape. En effet
puisqu’ils ont la plénitude du sacerdoce, pourquoi ne prendraient-ils pas leurs distances par rapport aux normes romaines ? Et pourquoi limiteraient-ils leur autonomie au domaine disciplinaire ?
Ne convient-il pas de « faire avancer » l’Eglise par des initiatives concrètes ? Le domaine où tout cela est le plus visible est celui des liturgies infectes qui détruisent
l’Eglise : absolutions collectives, homélies de pasteurs protestants durant la messe, cérémonies de bénédiction d’unions illégitimes, etc.
[…] Le simple prêtre n’est pas un exécutant passif des normes édictées en plus haut lieu. Il collabore à l’élaboration de ces normes. Or cette participation au gouvernement du diocèse
est bien souvent confisquée par un petit groupe, qui va parfois jusqu’à s’autoproclamer « équipe épiscopale » et, se regardant comme une élite éclairée, a peu d’estime pour les autres
membres du presbyterium. Rappelons donc ici que le conseil épiscopal est facultatif, tandis que le conseil presbytéral est obligatoire : c’est là le lieu normal de cette
collaboration entre l’évêque et les prêtres. […]
Mais cet épiscopat imbu de ses prérogatives par rapport au Souverain Pontife et par rapport aux simples prêtres est en fait d’une faiblesse consternante. L’autorité surnaturelle de
l’évêque est rognée de l’intérieur par les membres de son conseil et ceux qui gravitent autour, et de l’extérieur par la conférence épiscopale et son cortège d’institutions édictant des avis
relayés dans les diocèses par toutes sortes de courroies de transmission. […] Ne nions pas l’utilité, et même le rôle indispensable, des conférences des évêques. Ce n’est pas pour rien
que le code de droit canon de 1983 leur accorde tant d’attention. Dans le type de société où nous vivons elles sont indispensables. Les évêques se connaissent mieux à présent, et peuvent se
manifester leur soutien dans les épreuves, qui ne manquent pas. Ils peuvent se concerter, élaborer des réponses communes aux questions qui se posent à tous, etc. Cependant il eût fallu
qu’on envisage le fonctionnement de la conférence des évêques selon les critères de la théologie, fournis dans la tradition ecclésiale. Or on a voulu, du moins au début et cela laisse
des traces, décalquer les institutions du monde et la logique qui les sous-tend. Même si cet inconvénient a été beaucoup corrigé depuis, dans la période de rodage la conférence épiscopale a été
regardée comme une sorte de parlement chargé de légiférer. Mais c’est méconnaître la réalité ecclésiale : l’évêque est maître dans son diocèse, seul le Pape lui est supérieur, et non une
assemblée particulière. Même dans les domaines où le code de droit canon lui reconnaît une compétence, les décisions de la conférence n’ont force de loi que si elles sont prises
à une majorité qualifiée et seulement après leur ratification par l’autorité romaine. Une conférence épiscopale peut donc être regardée comme un organisme chargé de conseiller le Pape,
sans rien enlever à sa responsabilité. […]
Dans la pratique, le fonctionnement de la conférence a souvent été tel qu’il a enchaîné les évêques à ceux d’entre eux qui étaient les mieux vus des médias. Rappelons-nous le
terrible exemple de la prise de position au sujet d’Humanae Vitae. Un archevêque raconta à peu près ceci à des moines qui l’interrogeaient à ce propos : «On était fatigué par la session, il
faisait chaud, on nous a dit qu’il fallait voter ce texte et c’est le lendemain que nous avons appris par les journaux que nous avions contredit le Pape.» […] Certaines tendances lourdes
ont été corrigées. Mais l’état d’esprit subsiste en grande partie. Et les commissions de la conférence sont relayées par des organismes diocésains qui se sentent, dans leur domaine,
davantage liés par les directives parisiennes que par les orientations de leur évêque… ou par les normes romaines ! […]
Un exemple frappant de cette atrophie de la fonction épiscopale est donné par les séminaires interdiocésains. […] Mais la machine s’est emballée quand on en a fait un
système : pratiquement tous les séminaires diocésains ont disparu au profit de structures interdiocésaines. […] Surtout on ne sait plus très bien qui a autorité sur ces séminaires : le
collectif des évêques qui y envoient leurs séminaristes ? Mais sont-ils en mesure d’exercer collégialement un contrôle ? Auprès de qui précisément le supérieur du séminaire doit-il prendre ses
directives ? […]
Il reste un long chemin à parcourir pour se débarrasser des guenilles soixante-huitardes et appliquer enfin le concile Vatican II dans toute sa perspective
traditionnelle.”