Je prends connaissance d’un article de l’abbé Guillaume de Tanouarn à l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Mgr Lefebvre. Et j’y lis notamment ces quelques lignes qui me paraissent éclairantes pour le débat actuel (chacun sait que les personnes attachées à la liturgie traditionnelle, même quand elles n’ont pas lu une ligne de Maurras, sont attaquées dans la presse officieuse de l’épiscopat français pour crime de “maurrassisme”):
“Ayant suivi moi-même les conférences spirituelles de Mgr Lefebvre pendant six ans, je peux témoigner qu’il ne connaissait pas l’œuvre de Charles Maurras, quoi que lui reprochent ses adversaires. Les citations de Maurras, en exergue de certains chapitres de son ouvrage Ils l’ont découronné sont de Mgr Tissier de Mallerais (Charles Maurras était le témoin de mariage de ses parents). Ce point – Maurras ou pas Maurras – est important. Si Mgr Lefebvre n’avait été qu’un maurrassien, imbu de doctrines politiques, on aurait pu traiter cet évêque d’idéologue mélangeant allègrement politique et religion, ce que ne se privent pas de faire ceux qui, comme Philippe Levillain, dans son récent Rome n’est plus dans Rome, écrivent l’histoire attendue. Mais personne n’était moins politique que Mgr Lefebvre. Qui se souvient de sa saillie lors de son Jubilé sacerdotale : « Je ne fais pas de politique, je fais de la bonne politique, cela n’est pas la même chose ». Non, cela n’est pas la même chose. Homme d’Eglise, engagé dans les réalités terrestre, témoin de la colonisation et de la décolonisation en Afrique, Mgr Lefebvre porte des jugements sur la politique et veut « une bonne politique » parce qu’il sait que, selon le mot de Pie XII, « de la forme d’un Etat, dépend le salut des âmes ». Mais il n’est pas une seconde le militant d’une cause politique quelconque. Sa seule préoccupation c’est la marche de l’Eglise dans ce siècle et c’est l’enseignement des papes sur « le droit naturel et chrétien », comme disait Jean Ousset, le patron de cette Cité catholique dont il prit la défense au risque de sa propre réputation, dès 1956.”
J’ajoute, en passant, que je ne comprends pas grand-chose à ces débats très franco-français: si je comprends bien la condamnation de l’Action française, le motif principal tenait au naturalisme de Maurras. Mais on voit mal comment alors on pourrait encenser des partis et des politiques qui ne sont pas moins naturalistes. Et dont certains, aujourd’hui, doublent leur naturalisme d’un anti-naturalisme encore moins compatible avec le christianisme!
Il me semble qu’il ne s’agit pas du tout d’un problème franco-français, car il s’agit de la question de la sécularisation de l’eschatologie.
Comme Feuerbach, et finalement la plupart des athéismes, on (notre culture et Maurras de manière particulièrement séduisante et d’autant plus difficile à discerner) pioche dans le christianisme des “valeurs” qui assureront à l’homme le salut de l’homme par lui-même. Chez Maurras, le christianisme est instrumentalisé : promesse immanente pour lui-même, promesse de succès pour la religion.
Le catholicisme devient un système, alors qu’il est en soi une source : on peut s’abreuver à une source, mais vouloir la conserver, c’est une promesse qui aboutit à l’eau croupie.
Le catholicisme est donc chez lui une caution à l’idolâtrie, et deviendrait idolâtre s’il n’avait pas réagi…
Toutes choses égales par ailleurs (elles ne le sont pas), le maurrassisme peut être comparé aux théologies de la libération.
Le problème dépasse donc largement les frontières de notre pays.
Entièrement d’accord avec Jean : voir à ce sujet le dialogue déchirant entre Maurras et Bernanos, précisément sur ces questions et sur l’instrumentalisation du catholicisme à des fins politiques.
Si l’Eglise a condamnée le maurrassisme, c’est bien parce qu’il contredisait le sens du catholicisme et l’analyse de Jean est excellente.
Au-delà de l’idéologie, le maurrassisme a, d’une certaine façon, perturbé la forme du catholicisme : de nombreux catholiques ont été instrumentalisés par Maurras et se sont ensuite retrouvés dans les combats politiques des ligues et autres… Le pb n’est pas de participer à ces combats, mais c’est d’assimiler le catholicisme à ces combats et d’imaginer qu’il faille se battre pour la foi en utilisant des voies d’action qui relèvent de la politique et non de la foi… Ainsi, utiliser les processions, les messes en public et de masse comme autant de démonstrations de force sont un détournement de la foi à des fins politiques et c’est en cela qu’un certain comportement des intégristes catholiques et maurrassien. La foi ne peut être l’enjeu d’un combat droite-gauche… Lefebvre contre Golias… La foi est avant tout un combat intérieur : contre soi-même. le traditionalisme est donc idéologiquement un maurrassisme d’action et quant à Mgr Lefebvre, sa famille était profondément maurrassienne, son père lecteur assidu de l’AF, et son passage au séminaire français de Rome avec le Père Le Floch a aussi laissé des traces en lui inculquant une attitude en définitive très maurrassienne…
Arnold dit “son passage au séminaire français de Rome avec le Père Le Floch a aussi laissé des traces en lui inculquant une attitude en définitive très maurrassienne…”. C’est s’avancer beaucoup sans étayer ses dires. Mgr Lefebvre a toujours témoigné de façon très nette du fait que le P. Le Floch n’avait pas de liens avec l’AF et ne faisait pas de politique. Si Arnold prétend voir daes influences maurrassiennes dans la formation reçue par l’abbé Lefebvre sous la férule du P. Le Floch, le minimum serait de donner des références précises.