Le cardinal Ouellet, préfet de la congrégation des Evêques, présentant jeudi le 2e tome du “Jésus de Nazareth” de Joseph Ratzinger (puisqu’il ne s’agit pas d’un ouvrage du Pape en tant que tel, mais du théologien Joseph Ratzinger) a déclaré:
“Le but de Joseph Ratzinger “est de trouver le Jésus réel, pas le Jésus historique du courant principal de l’exégèse critique, mais le Jésus des Evangiles… Même si l’auteur se défend d’offrir un enseignement officiel de l’Eglise, il est facile d’imaginer que son autorité scientifique et la reprise en profondeur de certaines questions disputées, serviront beaucoup à confirmer la foi d’un grand nombre. Elles serviront en outre à faire avancer des débats ensablés par les préjugés rationalistes et positivistes qui ont entaché la réputation de l’exégèse moderne et contemporaine.”
J’avoue franchement que je ne vois aucune différence entre le Jésus réel et le Jésus historique. Pour moi, c’est le même.
A mes yeux, le christianisme, c’est d’abord un mystère d’incarnation : Dieu s’est fait homme en Jésus-Christ. Donc il est entré dans l’histoire.
Il est réellement entré dans l’histoire des hommes.
Le pape résume bien le propos de toute l’exégèse historico-critique du XXème siècle, depuis Bultman : y a-t-il un “affreux fossé” (Bultman) entre le “Jésus de l’histoire” et “le Christ de la foi”, fossé qui viendrait du fait que les évangiles, étant des catéchèses et non d’abord des biographies au sens moderne du mot, furent rédigés pour transmettre la foi en la résurrection et sont imprégnés de cette même foi? Le “Jésus réel”, c’est le Jésus des évangiles, à la fois, dit le pape (et donc sans “fossé”) le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi.
Le pape rejoint ainsi l’opinion majoritaire des exégètes contemporains, toutes confessions chrétiennes confondues, sur la portée historique des évangiles en même temps que sur leur genre littéraire premier, qui est bien catéchétique et non d’abord biographique au sens moderne du mot.
Votre pensée n’est pas claire, Mr Lobet. Niez-vous l’historicité des évangiles ?
Evidemment non, je ne nie pas l’historicité des évangiles!
Je rappelle seulement un problème que l’exégèse historico-critique a mis au jour dans la première moitié du XXème siècle, et que le pape connaît bien pour l’avoir lui-même travaillé. Le problème est le suivant : les évangiles ne sont pas des biographies au sens moderne de ce mot, ils ne cherchent pas à être un reportage “en direct” sur les faits et gestes de Jésus. Evidemment, ils rapportent des faits et gestes historiques, mais dans une perspective catéchétique, qui consiste à transmettre la foi en la résurrection du Christ. Ils sont rédigés à la lumière de cette foi, et en sont imprégnés. D’où le travail délicat de l’herméneutique historico-critique qui consiste à voir, sous le fait historique, la réalité de foi qui est transmise, et inversément. Un exemple, dans les évangiles de l’enfance, en saint Luc : lorsque l’évangéliste rapporte le recouvrement de Jésus au Temple “le troisième jour” après sa disparition, il n’y a aucune raison de nier que Jésus fut en effet perdu et retrouvé le troisième jour. Mais l’intention théologique est bien plus grande : derrière cette expression, “le troisième jour”, c’est déjà la résurrection qui est évoquée. Ainsi perdrait-on une grande richesse catéchétique si on lisait les évangiles autrement que dans leur perspective rédactionnelle, qui n’est pas seulement biographique, mais théologique ou plus précisément christologique. Je crois que c’est cela que veut dire le pape, lorsqu’il parle du “Jésus réel” qui est plus que le “Jésus de l’histoire”…
Prenons un exemple simple : Jésus chasse les marchands du Temple.
Dans Matthieu, cet épisode a lieu au début de la semaine sainte, après que Jésus est entré dans Jérusalem sur un ânon.
Par contre dans Jean, l’épisode a lieu au début de son ministère public, juste après l’appel des premiers disciples et les noces de Cana.
Où est la vérité historique? Ou bien y a-t-il eu deux épisodes similaires? Ca paraît peu probable.
Ceci pourrait être utilement médité par le cardinal Ravasi, qui répend ses insanités partout, jusque dans la préface du livre de Benoît XVI.
“les évangiles ne sont pas des biographies au sens moderne de ce mot, ils ne cherchent pas à être un reportage « en direct » sur les faits et gestes de Jésus. Evidemment, ils rapportent des faits et gestes historiques, mais dans une perspective catéchétique, qui consiste à transmettre la foi en la résurrection du Christ” dites-vous, Mr Lobet.
Evidemment que les évangiles ne sont pas des biographies au sens moderne (XXIe siècle) du mot, puisqu’ils sont des biographies au sens du premier siècle de notre ère. Il faut savoir que le genre était très couru à l’époque. Vie d’Agricola par Tacite, Vies des douze Césars par Suétone, les Vies de Plutarque, et j’en passe des plus célèbres car la mémoire me fait défaut.
Quant à dire qu’ils ont été écrits dans une perspective de témoignage ou de catéchèse, il me semble que c’est là enfoncer une porte ouverte, car c’est ce qu’eux-mêmes posent en principe, ou annoncent, le plus clairement du monde.
Prenons par exemple le Prologue de saint Luc. “J’ai décidé moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, pour que que tu te rendes compte de la sûreté des enseignements (de la catéchèse) que tu as reçus.” (Lc 1,3-4).
Et la première conclusion de saint Jean : “Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d’autres signes qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom.” (Jn 20,30-31).
On pourrait en dire autant de saint Marc puisqu’il débute ainsi : “Commencement de l’Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu.” (Mc 1,1).
Ce n’est donc pas une découverte de l’exégèse contemporaine, mais au contraire l’une des affirmations élémentaires et primaires du kérygme. Il suffit de savoir lire !
Quant à dire que les évangiles ont été rédigés après la Résurrection, c’est là un truisme. Les vies de Napoléon elles-mêmes ont été écrites après sa mort. (Mis à part le Mémorial de Sainte-Hélène, mais Jésus ne nous pas laissé de mémorial, si ce n’est dans la sainte Eucharistie.)
Mais la catéchèse ou le témoignage n’auraient pas de sens s’ils ne reposaient sur des faits vécus ou réels.
“Comme beaucoup [écrivait d’abord Luc] ont entrepris de raconter dans l’ordre les faits (pragmatôn) qui se sont accomplis parmi nous…” (Lc 1,1)
Pour répondre à Mr Ghalloun, il est vrai que les synoptiques placent l’épisode des vendeurs chassés du Temple juste avant la Semaine sainte (Mt 21,12-17; Mc 11,15-19; Lc 19,45-48), tandis que Jean place cet épisode au début de la vie publique (Jn 2,13-25).
Je pense sincèrement qu’il faut dédoubler le récit. C’est le seul moyen de concilier les évangiles. D’ailleurs, à deux ou trois ans d’intervalle, cela n’a rien d’invraisemblable que la scène se soit reproduite.
Si vous suivez les conclusions, ou plutôt les suggestions, de l’exégèse contemporaine qui a tendance à y voir un doublet littéraire du même épisode, vous entrez avec elle dans les plus grandes perplexités. Quelle est la vérité historique ? On ne saurait le dire. Si les chronologies des synoptiques et de saint Jean sont contradictoires, laquelle est la bonne ? On ne saurait en décider. Les deux présentent des avantages ou des inconvénients.
Mais certainement Mr Lobet aurait-il la solution (catéchétique) de cette petite énigme…
Monsieur Ferrand, un seul exemple de contradiction : la chronologie des événements de Pâques. Pour les synoptiques – voyez Luc – Jésus mange la Cène durant le Saint Sabbat, c’est-à-dire le Samedi (“J’ai tellement désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir”, Lc 22, 15) comme tous les Juifs pieux. Pourtant, la mise au tombeau se fait, quelques chapitres plus tard, “alors que le sabbat commençait à luire” Lc 23, 54). La présentation, dont tous les exégètes ont relevé l’incohérence chronologique, présente dans les autres synoptiques, et non en Jn, relève d’une théologie particulière et, oui, même si vous n’aimez pas ce mot, d’une catéchèse particulière, qui veut inscrire la dernière Cène dans l’accomplissement de la Pâque juive.
Les évangiles ne sont pas des biographies au sens des “Vitae” antiques : personne n’aurait rien écrit sur Jésus si, après sa mort, quelques-uns n’avaient pas fait l’expérience de sa résurrection. L’intérêt historique du personnage n’est apparu (contrairement aux personnages que vous citez) qu’après la conviction de foi (elle aussi historique, certes), de sa résurrection des morts : ceci est le kérygme, et comme vous le dites, c’est lui qui préside à la rédaction des évangiles, non pas d’abord le souci de l’exactitude chronologique.
« J’ai tellement désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir », Lc 22, 15)
Vous faites une erreur : la Pâque juive ne se mangeait pas le jour du sabbat, mais bien le 14 Nisan qui pouvait tomber n’importe quel jour de la semaine.
Comme si le kérygme ne reposait pas d’abord sur la vérité historique des événements comme le proclame saint luc dans son Prologue.
J’aime beaucoup la catéchèse : je suis un fan du catéchisme de l’Eglise catholique. J’ai bien le droit !
“La Pâque juive ne se mangeait pas le jour du sabbat” : ceci est, pardon, probablement faux. La Pâque juive ne se mangeait – et c’est encore le cas – que le sabbat de Pâques, c’est-à-dire le sabbat en effet le plus proche du 14 Nisan. La chronologie johannique du reste l’atteste à sa façon, puisqu’elle ne fait pas du dernier repas du Christ un repas pascal, et préfère “faire mourir” Jésus le Vendredi, jour où les agneaux sont immolés au Temple pour être précisément consommés lors du repas pascal, le lendemain, Samedi (ou Sabbat). Il est probable, pour tous les exégètes, que sur ce point comme sur beaucoup d’autres, Jean est plus proche de la vérité historique.
Et donc, pardon, mais… c’est vous qui êtes dans l’erreur! Et il y a bien, dans les synoptiques eux-mêmes et entre les synoptiques et l’évangile de Jean une confusion chronologique, qui n’est pas grave, du point de vue la foi, puisqu’elle relève d’une herméneutique théologique (et, je maintiens, en particulier, catéchétique) différente, sans que la réalité historique de la dernière Cène (peut importe quand, au fond) soit remise en cause.
Je suis assez abasourdi de voir combien les Ecritures sont peu et mal lues, et combien peu elles sont évoquées, sinon avec des a priori fantasques, dans ce genre de blog!