Un ecclésiastique, lecteur d’OV et, plus encore, de Pascal, nous adresse, à propos de certaine polémique dont se gargarisent les gazettes, ce pastiche que nous sommes heureux de publier:
Mon Révérend Père,
Votre phrase imprudente lâchée sur le magnétophone d’un journaliste “mondain”, et qui fait les choux gras de toutes les gazettes de la terre, risque, je crois, de faire à l’Église un mal que vous n’avez pas voulu.
Vous dites, Mon Père, qu’il peut exister des cas isolés « justifiés » pour l’usage du préservatif, en tant que premier pas vers une moralisation. Et vous donnez l’exemple d’une prostituée (traduction italienne de vos propos) ou d’un prostitué (texte d’origine).
Je croyais bonnement, Mon Père, avec saint Paul (Romains 3, 8 : «Devrions-nous faire le mal pour qu’en sorte le bien ?»), qu’il n’était jamais permis d’induire un pécheur à commettre un acte intrinsèquement mauvais « pour qu’il en advienne un bien ». Je croyais aussi que la morale exigeait de condamner purement et simplement les actes sexuels contre nature d’un prostitué (condamner le péché, pas le pécheur), en estimant licite la recette qui permettra que ces actes soient sans risque pour ses clients. Vous voyez, Mon Père, je m’en tenais au bon vieux catéchisme et aux bons vieux manuels de morale. Mais il faut vivre avec son temps…
Remarquez bien, Mon Père, que, si l’on peut juger licite que la prostituée ou le prostitué puissent ainsi faire un pas vers le bien, il n’y a aucune raison de ne pas l’estimer aussi beaucoup plus largement, par exemple pour le mari séropositif, ou pour le malheureux homosexuel ordinaire, qui pourraient l’un et l’autre avoir de la sorte une attitude plus « responsable ».
Mais même, Mon Père, si on en reste à votre cas, le pharmacien catholique devra-t-il interroger les personnes qui lui demandent un préservatif pour savoir si elles sont prostituées ou prostitués et pour avoir le droit en conscience de le leur délivrer ?
Et ces préservatifs licites, faudra-t-il, Mon Père, envoyer des patrouilles de scouts à Pigalle et au Bois de Boulogne, en distribuer des boîtes, je suppose préalablement bénites par leurs aumôniers ?
Pour moi, Mon Révérend Père, je me contenterai d’offrir mes pauvres prières pour que Dieu convertisse ces pécheurs et pécheresses, tant professionnels que clients, et je m’en tiendrai, dur comme fer, à l’enseignement de Notre Saint-Père le Pape Benoît XVI, prêt à me faire trancher la gorge plutôt qu’en dévier : l’usage de pilules dans un but contraceptif, l’usage de stérilets, l’usage de préservatifs, et de toutes autres choses inventées par la Bête pour nos temps d’Apocalypse, sont toujours gravement contraires à la morale naturelle et catholique.
Pas d’accord, cher Monsieur ! Ce n’est pas parce que le monde se réjouit à coups de tambours et de trompettes d’un prétendu assouplissement des règles morales de l’Eglise que les catholiques soucieux de les respecter doivent eux-mêmes les durcir.
Sans prétention, je me permets de citer à cet appui Mgr Anatrella (plus costaud que moi en morale) citant lui-même… le cardinal Ratzinger (dépêche Zénit de ce matin) : ” [à un journaliste de] La Croix en date du 22 novembre 1989 : Il affirme que le préservatif est une question de « casuistique », c’est-à-dire d’une réflexion morale qui analyse la singularité d’une situation personnelle au regard des principes de l’amour, surtout lorsqu’il s’agit, répétons-le, de cas extrêmes avec un danger mortel pour soi et pour autrui.
Voici ce que disait, à l’époque, le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi : « L’erreur de base est de centrer le problème du sida sur l’usage du préservatif. Certes, les deux se rejoignent à un certain point, mais là n’est pas le vrai problème. Se polariser sur le préservatif comme moyen de prévention, c’est mettre au second plan toutes les réalités et tous les éléments humains qui entourent le malade, et qui doivent demeurer présents dans notre réflexion. La question du préservatif est marginale, je dirais casuistique. […] Il me semble que le problème fondamental est de trouver le juste langage en la matière. Pour ma part, je n’aime pas l’expression de « moindre mal ». […] Ce qui est clair, c’est la nécessité d’une sexualité personnalisée, que je considère être la meilleure et l’unique prévention véritable. Il faut en tenir compte non seulement du point de vue théologique, mais aussi du point de vue des sciences. » (lire toute l’analyse d’Anatrella).
Donc, essayons de ne pas être plus catholiques que le Pape…. Le Pascal de votre texte ci-dessus, c’est encore celui de Port-Royal !
On peut aimer Pascal pour beaucoup de motifs. Mais “Les Provinciales” témoignent d’un moment de sa vie où il a fait montre de ce que la théologie morale appelle le “tutiorisme” ( de “tutior”, “plus sûr”), une position qui estime devoir en toute chose recommander comme moralement bonne la solution “plus sûre” ou “la plus sûre”. Une solution qui, en effet, exclut toute casuistique – ce que les Jésuites, avec raison sur ce point, reprochaient à Pascal, eux qui usaient de la casuistique.
La bonté ou la malignité d’un acte ont certes un versant objectif qui relève de la “loi naturelle” rappelée par le Magistère de l’Eglise catholique. Mais la culpabilité d’un acte ne se réduit pas à sa malignité objective : elle s’évalue en conscience, une conscience qu’il faut certes éclairer mais qui ne sera jamais parfaitement éclairée en ce bas-monde. C’est là aussi un enseignement de la Tradition, depuis saint Paul (1Co 10, par exemple) jusqu’au Concile Vatican II (Gaudium et spes, n°16 par exemple), en passant par saint Thomas d’Aquin (Ia IIae, Q.19, a.5, par exemple). Saint Thomas, dans la citation ici donnée, recommande d’obéir toujours à sa conscience même si elle est objectivement dans l’erreur (pourvu que l’on soit de bonne foi), car c’est elle qui juge exclusivement de la culpabilité morale. Pascal ignorait cela, ou ne voulait pas l’entendre. Le Saint Père le sait…
Il ne sert à rien de vouloir, comme dit l’expression populaire, “être plus catholique que le pape”, on risque à tous les coups de l’être moins…
plutôt que de pasticher Pascal en se moquant du pape, tranquillement assis à sa table de travail, cet ecclésiastique ne ferait-il pas mieux de faire son métier : s’occuper des âmes par les sacrements et n’enseigner qu’après avoir lui-même approfondi ses connaissances de théologie morale qui ont l’air assez limitées ! Sur ces sujets, St Paul est sans doute la base, mais est-ce suffisant ? Ce sont les relations entre hommes qui sont intrinsèquement mauvaises : mettre un préservatif n’aggrave pas le problème, tant que la science n’aura pas rendu ces relations potentiellement fécondes !
Et puis une suggestion pour ce prêtre désœuvré : aller s’occuper des prostituées et prostitués et tenter de leur tenir son discours confortable et simpliste !
Je me permets de faire appel à la modération sur ce blogue par ailleurs si instructif…
En ce qui concerne ce sujet-ci, j’oserais citer 3 exemples…
– Un ami, père de famille, a été agressé dans le métro. Il a combattu ses adversaires et en est heureusement sorti vainqueur. Aurait-il dû se laisser égorger par peur d’enfreindre le 5ème commandement “tu ne tueras point” ?
– Une de mes filles a souffert durant son adolescence de règles douloureuses, handicapant lourdement – entr’autres… – son parcours scolaire. C’est la “pilule” qui, en fin de compte, prise pendant un certain temps, a réglé (si l’on peut dire) le problème, les autres traitements s’étant montré totalement inefficaces… Précisons que ma fille, à l’époque, n’entretenait pas de relations sexuelles et n’en a pas profité…
– En pharmacie, si certains produits peuvent être considérés comme intrinsèquement mauvais – je pense à la “pilule abortive” ou au “kit euthanatique” – et entraîner une objection de conscience formelle, pour les autres, c’est nettement plus délicat. Difficile pour un pharmacien de savoir si des ampoules de morphine prescrites à la régulière par un médecin vont servir à soulager les douleurs d’un cancéreux ou rentrer dans un cocktail létal ! Doit-il retirer la morphine de son officine parce qu’un doute existe sur la moralité de son emploi ? Il risque d’avoir un magasin bien peu achalandé s’il se pose la même question sur chaque chose qu’il vend…
Contrairement à d’autres religions ou sectes, notre Seigneur, en instituant la sainte religion catholique, a veillé à nous laisser l’usage de notre coeur et de notre cerveau. Sachons nous en servir.