Le texte a déjà pas mal circulé sur internet, mais il me semble important de le faire connaître le plus largement possible. Par les questions qu’il pose, et par la personnalité du questionneur (l’abbé Houard a fondé l’Ircom, l’une des rares institutions catholiques d’enseignement supérieur), il vaut la peine d’être lu à la loupe. Que l’abbé Houard soit ici remercié de nous avoir autorisé à le publier:
Loi Debré : triste jubilé !
Jeune professeur du second degré, avec mes collègues, je l’attendais cette loi ! Elle allait soulager l’enseignement catholique d’un poids insupportable : les charges de personnel et les frais de fonctionnement. C’était l’euphorie. On ignorait tout alors des rythmes de l’administration et, par exemple qu’il faudrait attendre deux ans les premiers versements !
À cette époque, la plupart des enseignants étaient des prêtres, des religieux ou des religieuses. Ils étaient là par vocation ou plutôt ils remplissaient là le rôle que leur confiait l’Eglise au service de la jeunesse. En charge de l’éducation chrétienne de celle-ci, ils n’avaient jamais pensé que leur activité, dans l’accomplissement de leur mission, pouvait avoir une quelconque valeur marchande. Quant aux quelques laïcs qui les secondaient, leur état d’esprit était le même.
Pour l’application de la loi, on peut dire que, dans un premier temps, tout a bien marché. Les Commissions départementales de conciliation ont réglé quelques cas litigieux et quelques religieux sans diplôme universitaire mais forts de leur expérience, ont été autorisés à poursuivre leur activité. De plus, l’ouverture à tous, exigée par la loi, ne gênait en rien des établissements toujours heureux d’accueillir tous les enfants dont leur étiquette confessionnelle n’effarouchait pas les parents.
On n’imaginait pas que la mise en œuvre de la loi Debré allait à ce point changer la donne. Le dispositif qui devait sauver la liberté de l’enseignement ne l’a-t-il pas progressivement étouffée ? Les résultats sont là.
Ils ont été atteints, semble-t-il, en trois étapes : le retrait des religieux, la marée des «mercenaires», le contrecoup du fiasco de l’enseignement public.
Le retrait des religieux s’est fait assez vite, résultat de la baisse de leurs effectifs, d’une part et aussi d’une vague de méfiance voire de mépris de certains mouvements à l’égard des «institutions» chrétiennes. Pour que l’Eglise ait les mains pures, le mieux n’était-il pas de lui couper les mains ? D’ailleurs désormais, dans l’enseignement, prêtres et religieux ou religieuses pouvaient être remplacés par des laïcs sans accroître les charges. Il paraissait donc opportun de déployer les éléments ainsi libérés dans des activités réputées plus «pastorales» jugées plus épanouissantes sinon (croyait-on) plus utiles.
Alors pour remplacer ces hommes et ces femmes d’expérience, se sont présentés de jeunes professeurs. Les premiers sont venus dans l’enthousiasme de poursuivre une œuvre dont souvent ils avaient eux-mêmes bénéficié. Après eux beaucoup d’autres hélas ne cherchaient qu’un emploi quand d’autre part, rythmes scolaires et vacances ont attiré un grand nombre de femmes. Tous ces nouveaux venus sont souvent porteurs des «lumières» de 68. Ils se méfient de tout ce qui ressemble à l’autorité, qu’il s’agisse de savoir vivre, de discipline ou de pédagogie On veut mettre l’enfant «au centre de la classe» … en attendant de mettre le professeur dehors. On peut se demander si d’ailleurs, en certains endroits ce ne serait pas le mieux. Leur culture «in vitro» ne favorise plus aucun enracinement.
L’arrivée massive de ces laïcs qui ont appris les vertus du libéralisme et de la tolérance, la disparition des «cornettes» et des soutanes qui manifestaient une appartenance, ont fait rapidement tomber l’obstacle qui pouvait encore écarter des familles, qu’elles soient hostiles à toute espèce d’éducation religieuse ou simplement indifférentes. Rassurées, elles sont entrées en nombre dans l’enseignement catholique, n’y cherchant désormais que la garantie d’une meilleure qualité de l’instruction et de l’éducation. Malheureusement de ce fait elles ont pris peu à peu le pouvoir dans les conseils de classe, les conseils d’administration et les associations de parents d’élèves, négligeant ou rejetant même parfois toute préoccupation d’éducation chrétienne. Sans doute y a-t-il d’heureuses exceptions et on a plaisir à le reconnaître, mais il faut bien admettre qu’on assiste à une sécularisation progressive de l’enseignement privé catholique tendant à l’assimiler à l’enseignement public et laïc.
Où sont les foules de 1984 ? Le service unique contre lequel elles se sont alors levées se met en place aujourd’hui sans douleur suivant la règle du PPCD (plus petit commun dénominateur). Y a-t-il de l’insolence à se demander si un tel résultat est dû au machiavélisme des concepteurs du système, conscients du pouvoir dissolvant du nombre et de l’argent, ou à la naïveté de ceux qui ont cru y trouver le salut ?
Dans une commune d’un département de l’Ouest, n’existe qu’une seule école pour le niveau CE1/CE2, et c’est une école privée. Des parents protestent, réclamant leur droit à une école publique. Mais pourquoi donc ? Cri du cœur de l’instituteur catholique : « Nous ne faisons aucune formation religieuse ! » Emblématique, n’est-il pas ? Et de même, dans une ville voisine, ce grand lycée catholique où les élèves ne trouvent aucune proposition de la foi.
Quelle conclusion tirer de ce constat ? Que ce qui devait sauver l’enseignement catholique a gommé son «caractère propre» et qu’en conséquence, une seule solution se présente : le retour à la situation antérieure où, reprenant la main,
l’Eglise, «éducatrice des peuples» puisse reprendre la place qui fut la sienne pendant des siècles au service de la foi et de la culture.