C’est donc l’autre aspect de mon analyse, qu’il bien sûr est loisible à tout meilleur connaisseur du monde romain de contester : s’il règne Outre-Tibre une étrange atmosphère de non-gouvernement (voir, par exemple, l’anarchie surréaliste de la communication vaticane), une certaine féodalisation étant toujours la conséquence de ce type de situation, dans le même temps se mettent en place un ensemble de « barons », moins disparates que n’étaient les Re, Ratzinger, Sodano, Sandri, de l’époque curiale passablement désordonnée elle aussi que fut la fin du règne de Jean-Paul II, mais qui pourraient jouer le même rôle subsidiaire qu’ont tenu ces derniers à partir de la fin des années 90. Sauf qu’aujourd’hui, la ligne des nouveaux « barons » serait plus cohérente. Mais on ne peut l’imaginer que très timide, se modérant, s’autocensurant, s’autolimitant, se jetant à tout moment dans des compromis d’attente, de « patience ».
En tout cas, dans les quelques mois qui vont suivre, entre la présente mise en sommeil traditionnelle des dicastères en période d’été et le Consistoire qui s’annonce comme le grand événement de l’automne, sans doute en novembre, le pontificat de Benoît XVI pourrait bien prendre un tournant notable, de type « fin de règne » (laquelle pourrait durer au reste plus d’une décennie) : dans la meilleure des hypothèses, on y verrait une ratzinguérie suppléant à l’âge du Pape Ratzinger.
Car l’année sacerdotale a été particulièrement exténuante pour les forces du Pontife romain, assailli par une campagne médiatique d’une particulière virulence. Même si elle semble l’avoir moins affecté personnellement que celle du même ordre qui a été orchestrée, jusque de l’intérieur, avec l’affaire Williamson, ou même que les précédentes campagnes, celle qui a pris prétexte du discours de Ratisbonne, ou encore celle qui a cherché à faire valoir les « révélations » à propos du conclave, les 83 ans du Souverain Pontife s’accusent fortement dans sa forme physique et dans l’allant qui va avec. D’autant que d’autres campagnes suivront immanquablement (lors du voyage en Angleterre, par exemple), sur le mode de la provocation grossière et délibérée. Il est probable que les grandes décisions prendront encore plus de temps, que les nominations épiscopales ne seront toujours pas le souci des soucis, et qu’aux textes normatifs seront encore davantage préférées les incitations exhortatives ou les méditations de haute volée.
Pendant ce temps, la Curie pourrait se repositionner pour continuer une Restauration à progression lente. Car la Restauration, à tous ses niveaux, est une machine qui ne fonctionne qu’à 1% de ses possibilités. Mais qui avance. En fait, la ratzinguérie et les ratzinguériens sont certes issus de la visée de Restauration constamment affirmée personnellement par Joseph Ratzinger depuis son Entretien sur la foi de 1985, mais ils sont aussi eux-mêmes – comme l’était déjà le Pape Wojtyla, et lui, le Pape Ratzinger, comme le plus éminent – des produits d’une vague de « retour » vers une liturgie classique ou même « extraordinaire », vers la doctrine traditionnelle, vers une figure sacerdotale identifiable –vague que rien ne peut plus endiguer sérieusement : « l’esprit du Concile » faisant de moins en moins recette, même à la mode Filoni (le néo-catéchuménat) ou à la mode gallicane. Vague de « retour » qui n’est pas un raz-de-marée, d’abord parce que les eaux catholiques continuent à s’assécher dramatiquement, ensuite parce que ces ratzinguériens sont bien, quant au charisme de gouvernement, des hommes de leur époque. Mais à cette vague – vaguelette dirons certains – rien ne s’oppose frontalement, sauf l’avancée inexorable du Sahara de la sécularisation sur le Sahel du post-concile.
(à suivre)