Il y a des moments où une toute petite goutte d’eau fait déborder le vase. En l’occurrence, j’ai “craqué” en
lisant ce matin un texte déjà ancien d’un évêque français à propos de la “saine laïcité”. Inutile de nommer cet évêque ou de citer son texte, ce ne sont pas eux qui sont en cause.
Mais j’ai craqué. J’en ai, je l’avoue, ras la casquette (que je ne porte pas) de ces expressions-valises qui ne
veulent plus rien dire.
Pie XII a certes parlé de saine laïcité. Il a même parlé de juste (ou de légitime, selon les traductions)
laïcité. C’était dans un discours du 23 mars 1958.
Voici le passage: “Il y a des gens, en Italie, qui s’agitent parce qu’ils craignent que le christianisme enlève
à César ce qui est à César. Comme si donner à César ce qui lui appartient n’était pas un commandement de Jésus ; comme si la légitime et saine laïcité de l’Etat n’était pas un des principes de la
doctrine catholique ; comme si ce n’était pas une tradition de l’Eglise, de s’efforcer continuellement à maintenir distincts, mais aussi toujours unis, selon les justes principes, les deux
Pouvoirs ; comme si, au contraire, le mélange entre le sacré et le profane ne s’était pas plus fortement vérifié dans l’histoire quand une portion de fidèles s’était détachée de l’Eglise.” (Ceux
qui veulent lire l’allocution intégrale pourront par exemple la trouver ici)
Mais, on le voit d’un coup d’oeil, cette “laïcité” n’a rien à voir avec la “saine laïcité” dont l’immense
majorité des organes du catholicisme nous rebattent les oreilles et qui n’est rien d’autre que ce qu’on appelle aussi la “laïcité apaisée”. Dont les principes sont toujours aussi radicaux, mais
qui spolie moins brutalement l’Eglise catholique et ne tue plus les fidèles qui viennent défendre le Saint-Sacrement des profanations.
En revanche, en 2010 comme en 1905, comme toujours avec la laïcité “à la française”, le projet n’est pas de
lutter contre le cléricalisme au sens d’une “ingérence” de la hiérarchie cléricale dans les affaires politiques; mais bien de soumettre l’Eglise à l’Etat.
C’est ce que déclarait naguère le candidat Chirac à la présidentielle de 1995: “Non à une loi morale qui
primerait sur la loi civile!” (A ma connaissance, seul Mgr Lagrange, alors évêque de Gap, avait protesté publiquement. Honneur à lui!)
Mais, plus grave, comme en écho, on a la déclaration du cardinal Ricard au Figaro le 30 janvier 2004: “Toutes
les composantes religieuses doivent avoir droit de cité, publiquement, à la condition de savoir aussi donner leur place aux autres et de ne pas se mettre en contradiction avec les grands
principes de la République.”
Même quand les “grands principes” exigent de sacrifier à la déesse Raison? Même quand les grands principes
exigent le meurtre des enfants à naître? Même quand les grands principes exigent une indifférenciation telle entre homme et femme que l’on en vient à réclamer le “mariage”
homosexuel?
La vérité, c’est que la saine laïcite fonctionne exactement à l’inverse de la “laïcité réelle”: alors que la
religion catholique n’est acceptable, pour la laïcité républicaine, qu’à condition d’être conforme aux “grands principes” (qui ne sont rien d’autre que les “droits de l’homme sans Dieu”), la
laïcité n’est acceptable, pour un catholique, qu’à condition de laisser l’Eglise parfaitement libre d’enseigner ses fidèles, y compris à s’opposer frontalement aux “grands
principes”…
Comme, avec le même mot, nous disons des choses fort différentes et presque contradictoires, et comme la
république laïciste a l’antériorité de l’usage du mot, je suggère, Messeigneurs, que vous trouviez un autre terme pour parler de notre “saine et légitime laïcité” catholique!