Si un conclave s’ouvrait aujourd’hui, il opposerait un ratzinguérien pur jus à un modéré qui montrerait
« sa différence » (sur le motu proprio Summorum Pontificum, sur une interprétation plus libérale du Concile, etc.). L’homme idéal pour ce faire était pour l’instant le cardinal
Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, qui avait déjà rempli ce rôle lors du conclave de 2005. Mais des « révélations » (venues de plus à gauche que lui) concernant son passé lors
des dictatures militaires sont en train de couler ses chances. Il est peu probable que puisse être porté au trône de Pierre un homme qui devrait passer son temps à s’expliquer, comme il le fait
aujourd’hui, sur les « sérieuses accusations » qui pèsent contre lui quant à sa conduite alors qu’il était provincial de la Compagnie de Jésus entre 1973 et 1979 (il aurait dénoncé aux
autorités deux jésuites guerilleros).
C’est d’ailleurs la chance des ratzinguériens : les progressistes jouent au jeu de massacre contre plus
« modérés » qu’eux, qui les agacent souverainement (le cardinal hondurien Oscar Rodriguez Maradiaga, à cause de son soutien aux nouveaux maîtres du Honduras, Bergoglio…), et qui seuls
pourtant, compte tenu de la composition du Sacré-Collège, ont des chances sérieuses d’écarter un ratzinguérien. Les non-ratzinguériens n’ont plus à leur disposition que le cardinal brésilien
Hummes, Préfet de la Congrégation pour le Clergé, mais qui est fort peu médiatique.
Ils ont aussi, une personnalité de poids, Mgr Gianfranco Ravasi, exégète crypto-bultmannien, théologien
modérément moderniste, président du conseil pontifical pour la Culture. Délibérément hostile au motu proprio Summorum Pontificum et à la ligne générale du pontificat, sous les hauts plafonds de
son bureau, au Transtevere, passent et repassent les cardinaux Tauran, Kasper, les monsignori ou évêques de la Secrétairerie d’État, les amis du fort trouble cardinal Re et même ceux du cardinal
Sodano. Le malheur pour lui et pour les siens est que Ravasi n’est pas encore cardinal et qu’il lui faut absolument le devenir lors du consistoire de l’automne.
C’est pourquoi ils essayent de tirer le meilleur profit possible d’une affaire extrêmement complexe, comme le
sont la plupart des intrigues curiales, laquelle fait le bonheur ou le malheur de Mgr Fisichella, Président de l’Académie pontificale pour la Vie, et Recteur magnifique de l’Université
pontificale du Latran.
Lors de l’affaire de Recife, Mgr Fisichella avait – on s’en souvient – désavoué l’archevêque de Recife Mgr
Cardoso pour avoir annoncé que les médecins qui avaient pratiqué le double avortement de la fillette violée étaient automatiquement excommuniés. La prise de position du président de l’Académie
pontificale pour la Vie était extrêmement grave, puisque Mgr Fisichella laissait entendre que, dans certaines circonstances, l’avortement provoqué, abusivement qualifié de
« thérapeutique », pouvait être admis, étant sauve, prétendait-il, la condamnation de l’avortement par l’Église. Du coup, et malgré les appuis de Mgr Fisichella à la Secrétairerie
d’État, L’Osservatore Romano avait publié une Chiarificazione
de la Congrégation pour la doctrine de la Foi qui désavouait de fait le président de l’Académie pontificale
pour la Vie. C’était le vent du boulet. D’autant que, à Rome, en Belgique (spécialement le valeureux moraliste de Louvain-la-Neuve, Mgr Michel Schooyans), et en bien d’autres endroits, les
théologiens moralistes s’étaient vivement émus et mobilisés : le Pape ne pouvait pas laisser passer une pareille affaire.
Le plus inexpérimenté des observateurs romains savait que Mgr Fisichella ne pouvait pas avoir pris tout seul
cette initiative. On dit que c’est Mgr Caccia, assesseur du Substitut Filoni aux Affaires générales à la Secrétairerie d’État, qui aurait demandé à Fisichella de faire sa note contre Cardoso, ou
bien qui aurait modifié cette note, le tout pour donner une meilleure image de l’Église. En tout cas, Caccia fut envoyé comme nonce au Liban.
Et voici que, il y a peu, alors que Mgr Schooyans se rendait une fois de plus à Rome pour expliquer que la
morale romaine ne pouvait plus être représentée par Mgr Fisichella, on apprenait que le Pape envisageait de créer un Conseil Pontifical pour la Nouvelle Evangélisation. La création serait
annoncée par un document pontifical qui exposerait que l’Occident tout entier est désormais en état de mission. L’idée aurait été donnée au Saint-Père, par le Patriarche de Venise, le cardinal
Angelo Scola.
Opération de grand style : d’une part, elle permettrait au Pape de s’exprimer solennellement sur le sujet
du relativisme mortel dans lequel sombre l’Église d’Occident au moyen d’un texte et d’un geste symboliques forts ; d’autre part, elle caserait Fisichella dans le placard doré d’un Conseil
pontifical, c’est-à-dire dans un de ces organismes de Curie qui ont perdu toute importance sous Benoît XVI, qui n’en reçoit pratiquement jamais les Présidents, et qui se désintéresse royalement
de leur activité languissante (discours, colloques, édition d’une revue, etc.). Par le fait, Scola et le cardinal Caffarra, archevêque de Bologne, son ami, tous deux très proches de Communion et
Libération, pourraient porter un des leurs à la tête de l’Université du Latran, à savoir Leonardo Melina, actuel président de l’Institut Jean-Paul II pour la Famille, qui deviendrait aussi
auxiliaire de Rome. (Contre cette « hypothèse », les anti-ratzinguériens de l’Université du Latran en ont lancé une autre, à la manière d’un très ingénieux barrage, celle de Enrico dal
Covolo, salésien comme le cardinal Bertone, consulteur à la Congrégation pour la Doctrine de la foi). Dans cette Université, les cardinaux Caffarra et Scola furent en effet longtemps des hautes
figures ratzinguériennes, justement dans le cadre de l’Institut Jean-Paul II, qu’a longtemps présidé le premier.
En outre, Mgr Fisichella perdrait par le fait ses chances d’accéder à l’un des deux grands sièges cardinalices
italiens à pourvoir prochainement, Turin et Milan.
Les choses pourraient même être administrativement plus complexes, car Benoît XVI n’a pas renoncé à son projet
de réduire le nombre de ces Conseils pontificaux qui encombrent l’Annuaire pontifical et les locaux de la Curie : le Conseil pour la culture, actuellement dirigé par Ravasi, pourrait
absorber celui pour le Dialogue avec les non-chrétiens, et être donné à Fisichella.
Et Ravasi deviendrait ainsi disponible pour de plus hautes fonctions ! C’est du moins ce qu’il laisse dire
par des amis vaticanistes. Lesquels vaticanistes, qui sont de véritables membres officieux de la Curie, même s’ils n’apparaissent pas dans les colonnes de l’Annuario (mais
apparaissent parfois, en revanche, sur celles des subventions secrètes des dicastères…), s’empressent d’ajouter que Ravasi a dès lors les meilleures chances de recevoir le siège de Milan, le plus
important diocèse de la chrétienté, auquel Fisichella pouvait jusque-là prétendre.
Cardinal de Milan, bibliste comme Martini, plus « modéré » que lui, Gianfranco Ravasi pourrait alors
rêver aux plus hautes destinées.
Encore faudrait-il que les hauts responsables romains, tel Bertone, le Secrétaire d’État, veuillent bien lui
faire ce pontifical cadeau. Ce serait de leur part du genre : « Après nous le Déluge… » Mais Outre-Tibre, j’ai eu bien des occasions de le dire, tout est possible, même le pire. Il
n’est cependant jamais certain…