Décidément, la grosse presse est bien mal en point. Le vespéral “quotidien de référence” a offert une
tribune à un certain Pierre Desjardins, dont on apprend par la même occasion (ce qui ne devrait pas bouleverser les foules…) qu’il est “auteur et professeur de philosophie au
collège pré-universitaire Montmorency”. J’ignore quelle est sa spécialité, mais il doit assez mal connaître les questions religieuses en général, et catholiques en particulier.
Sous le titre tout en nuances “Benoît XVI : un “ghostbuster” sur le trône de Saint-Pierre !”, on découvre effaré
que “le Vatican” a “vertement pointé du doigt” (on jurerait le style du regretté maire de Champignac dans Spirou!…) le “lobby juif américain de New York”. Bigre!
Vous ne suivez pas? Vous ne voyez pas de quoi ky koz, le mossieur? Pas de panique, le sieur Desjardins explique la
vie aux durs de la feuille que nous sommes: “Suivant le Vatican, le scandale médiatique des prêtres pédophiles soulevé par le New York Times n’est qu’un vil subterfuge pour se
débarrasser de Benoît XVI, un pape qui, par son dogmatisme et son conservatisme, contrevient aux valeurs de la société de consommation soutenues par le lobby juif américain.”
On serait évidemment bien en peine de citer une seule déclaration de Benoît XVI sur ce thème.
Ah! ça y est, voici l’origine de cette idée amusante: “Sans qu’on s’y attende, le prédicateur de la maison
pontificale a eu le culot de comparer le pape à une victime d’antisémitisme.” Ce qui évidemment était une façon déguisée d’accuser le lobby juif américain. J’envie les élèves qui découvrent la
philosophie avec M. Desjardins! Je ne sais pas si Benoît XVI est un “ghostbuster”, mais en tout cas notre auteur pourchasse des moulins à vent…
Pour étayer ces propos justiciers, Pierre Desjardins n’hésite pas à faire appel aux arguments les plus “éprouvés”:
le coup de l’ex-membre des jeunesses hitlériennes, le coup de la “version latine de la prière du Vendredi saint” (sic, Desjardins ne doit pas savoir que la messe de Paul VI aussi se célèbre en
latin!), le coup de Mgr Williamson (dont, curieusement, l’auteur nous signale que Ratzinger a levé l’excommunication quand il était cardinal – d’où tient-il cette “information”? mystère!)… La
totale, quoi!
Au chapitre du n’importe quoi pour étayer du n’importe quoi, ce petit chiffre: “4 392 prêtres ont déjà été accusés
d’actes pédophiles. Sans vouloir faire de tous les prêtres catholiques des pédophiles [mais si, mais si…], il reste que cela représente environ 4,5 % de l’effectif du clergé. C’est un prêtre
sur 20.”
Notez qu’il est question des prêtres “accusés”. La question n’est pas de savoir s’ils sont coupables ou non, mais
de savoir s’ils sont accusés. A ce rythme, il suffira bientôt d’une lettre anonyme pour se retrouver au mitard jusqu’à la fin de ses jours… Mais revenons aux chiffres. Peut-être que M.
Desjardins dispose d’une connexion internet. Auquel cas, je lui suggère de regarder dans un moteur de recherche quelconque combien il y a de prêtres dans le monde. Le dernier chiffre que j’ai
sous la main est celui de 2007: 408 024. Un prêtre sur 20, en tout cas avec ma méthode (un peu vétuste, il est vrai, puisqu’il s’agit de la très réactionnaire règle de 3…), ça ne fait pas
vraiment 4392. Mais, peu importe, l’essentiel, c’est que le lecteur retienne qu’en allant voir un prêtre, il a une chance sur 20 de tomber sur un détraqué!
Allez, nous n’allons pas nous quitter comme ça, sur une bête querelle de chiffres! Alors, en supplément
exclusif, pour ceux de mes lecteurs qui aiment bien rire, voici une petite page de théologie:
“Tout comme le Christ qui, torturé à mort par les juifs, se voyait autorisé à obtenir de son père le pardon pour
les péchés du monde, le pape, de même persécuté aujourd’hui par le lobby juif américain, pourrait se considérer, lui aussi, autorisé à obtenir le pardon quant à sa mauvaise gérance des dossiers
de prêtres pédophiles. Ce serait également là un merveilleux prétexte pour dénigrer les valeurs libérales.”
Dieu sait que je n’ai pas beaucoup d’illusion sur la qualité des médias français, mais j’avoue que je n’imaginais
que le quotidien censé donner le la en matière de haute culture et de puissante réflexion en soit réduit à publier ça…