Quittons un moment les rivages fangeux des scandales pédérastiques. Je viens de lire un très intéressant livre
d’entretiens entre l’éditeur français Stephen de Petiville et le philosophe allemand Robert Spaemann (“Nul ne peut servir deux maîtres”, Hora Decima). Livre sur lequel je reviendrai, car il
contient une mine de réflexions sur la situation contemporaine de l’Eglise. Robert Spaemann est un exact contemporain de Benoît XVI et extrêmement proche intellectuellement de ce
dernier.
Il décrit, p. 119, une anecdote extrêmement significative sur le fonctionnement actuel du Pape
actuel:
“Un jour, j’ai organisé avec le cardinal Ratzinger un colloque à Rome sur l’évolution. Un professeur de la
Grégorienne fit un exposé de dix minutes qu’un étudiant traduisait en allemand. C’était compliqué, concentré et très rapide. Pendant que le professeur parlait, Ratzinger était en train de lire
des lettres. Tout d’un coup, il délaissa ses lettres et écrivit. Quand, à la fin, l’étudiant déclara qu’il n’était pas capable de traduire, Ratzinger ferma sa sacoche et dit qu’il allait tenter
la chose. On pensait qu’il n’avait pas écouté, mais il n’en était rien: il avait mémorisé l’ensemble du discours quasiment mot à mot et avait même un peu amélioré celui-ci. Il demanda ensuite à
son collègue s’il était d’accord. Ce dernier répondit que oui et que le cardinal avait même réussi à faire ressortir le fondement de son opinion. “J’en suis très heureux, déclara ce dernier. Et
maintenant que vous m’avez dit que je vous ai bien compris, je dois maintenant vous dire pourquoi je ne suis pas d’accord.” C’était d’une grande intelligence. Commencer par exprimer l’opinion de
l’autre, lui faire dire qu’il est satisfait de ce compte rendu, que sa pensée a été bien comprise, puis finalement répondre, voilà qui est admirable. Or, il faut savoir que c’était la règle dans
les discussions médiévales. Aujourd’hui, il est courant de répondre à l’interlocuteur qu’il ne vous a pas compris. Ce confort de la discussion est cependant très inhabituel, car dans la majeure
partie des cas on se heurte à un mur d’incompréhension.”
En dehors du témoignage sur les exceptionnelles qualités intellectuelles de Joseph Ratzinger, cette petite
anecdote me semble extrêmement révélatrice du “fonctionnement” du Pape: confiance en la raison, écoute de l’interlocuteur, fidélité à la vérité, respect de la force des arguments…
En ce domaine, comme en d’autres, on voit que l’Eglise est le dernier rempart pour la nature humaine. Les
prétendus humanistes contemporains méprisent à ce point l’homme véritable qu’ils n’ont aucune confiance dans les vertus de la recherche du vrai par la raison.
Voici donc encore une “bonne” raison pour le monde contemporain de haïr le Pape: ces qualités intellectuelles
qui en font bien plus un théologien du Moyen Âge qu’un de ces praticiens post-modernes de l’éthique procédurale!…