Un lecteur répond ainsi à mes demandes d’éclaircissement du 19 janvier sur l’antijudaïsme, et apporte
d’utiles précisions:
Il y a des confusions entre les concepts suivants:
– hébreux
– « juifs » avant la redéfinition du judaïsme par les pharisiens au premier siècle / judaïsme du second
temple
– « juifs » après cette redéfinition / judaïsme actuel (rabbinique / talmudique)
Hébreux:
Le concept d’ «Hébreu» fait référence à une peuplade de race sémitique, à sa langue et à sa
religion.
Si beaucoup d’Hébreux étaient polythéistes, la codification de la loi par Esdras a fini par imposer le
monothéisme.
Le peuple hébreu cessa d’exister aux premiers siècles après Jésus Christ, parce que:
– une grande partie se convertit au christianisme et se mélangea aux autres peuples;
– le reste s’endurcit dans la voie pharisienne, mais fut exterminé: ceux d’Afrique du Nord par l’empereur Trajan,
ceux de Palestine par l’empereur Hadrien (qui devint un pays interdit aux Juifs jusqu’à l’invasion arabe).
Il y eut quelques Juifs qui survécurent ponctuellement, comme à Babylone. Le prosélytisme étant autorisé par la
religion pharisienne, ils eurent des convertis parmi les autres peuples, si bien qu’on ne peut plus parler de la survivance d’un « peuple hébreu».
Au contraire, un peuple du sud de la Russie se convertit en masse au Moyen-Âge au judaïsme (d’où les juifs
ashkénazes) et il y eut beaucoup de conversions au Maghreb (d’où les juifs sépharades).
Les « Juifs » d’aujourd’hui ne sont absolument pas des Hébreux. Le mot «antisémite» n’a pas de sens pour
les Juifs des deux derniers millénaires, car ces Juifs ne sont pas de race sémitique.
« Juifs » avant la redéfinition du judaïsme par les pharisiens au premier siècle (judaïsme du second
temple):
Après leur retour d’exil de Babylonie, les Hébreux reconstruisent le temple de Jérusalem. On désigne donc cette
période comme celle du « second temple ». Elle s’achève avec la destruction de ce second temple en 70 après Jésus Christ, sous l’empereur Titus.
Le monothéisme, codifiée dans les lois d’Esdras finit par s’imposer à l’ensemble du peuple. Cependant, ce
monothéisme reste « large », comme celui des chrétien, et n’est pas strict comme le sera celui des Juifs après cette période ou comme le sera celui des musulmans.
Beaucoup de Juifs croyaient en une « seconde puissance » dans le ciel, une sorte de “binité” où on peut
voir certaines affinités avec la trinité chrétienne. Beaucoup adoraient aussi les anges, à l’instar de la vénération des chrétiens pour les saints ou pour la vierge Marie. La diversité de ce
judaïsme peut se voir à travers les écrits de la littérature hénochite ou avec celle des rouleaux de la Mer Morte. Le monothéisme chrétien a sa place parmi ce judaïsme du second temple large
d’esprit, et c’est uniquement dans ce sens qu’on peut dire que Jésus de Nazareth, Paul et les autres disciples du Christ étaient « juifs ».
« Juifs » après cette redéfinition / judaïsme actuel (rabbinique / talmudique):
Le succès du christianisme entraîna une réaction hostile des pharisiens et une polarisation. Après la révolte
nationaliste juive en Palestine tous les Juifs présents en Palestine furent exterminés par les armées de Titus. Ceci fit aussi disparaître les membres des courants nationalistes juifs (y compris
ceux ce la diaspora montés prêter main forte en Palestine). Cela laissa alors le champ libre aux extrémistes religieux et ce furent donc les pharisiens qui prirent le dessus sur la communauté
juive. Ils redéfinirent de manière étroite les concepts de «judaïsme» et de «juif», de manière à exclure les chrétiens. Ils mirent par écrit au cours des siècles leur tradition orale (dénoncée
par Jésus dans l’évangile de Saint Marc), donnant naissance au Talmud, le “Nouveau Testament” des juifs. Ils modifièrent l’Ancien Testament dans un sens anti-chrétien (par exemple la «vierge»
dans la prophétie d’Isaie est transformée en «jeune fille»). La découverte des rouleaux de la Mer Morte a permis de montrer que l’Ancien Testament grec (la version des Septantes), utilisé par les
chrétiens des premiers siècles et par l’Église orthodoxe grecque est plus proche du texte original et que la version masorétique (Ancien Testament en hébreu datant de l’an 1000 environ) a été
volontairement «retouché». Voici le sens du mot «juif» actuel, et tel qu’on le trouve déjà dans certains écrits tardifs du Nouveau Testament et très négatifs envers les «juifs», le mot ne
désignant déjà plus dans ces passages les juifs de second temple, mais étant employé comme synonyme de «pharisien».
C’est à la lumière des deux définitions (et contextes où elles s’appliquent) du mot «juif» que vous pourrez
comprendre les propos de Benoît XVI. Il est possible que les confusions régnantes au sujet de ce mot soient entretenues à cause de certains événements du XXe siècle.