Un des problèmes ecclésiologiques les plus brûlants du post-concile est celui de la délimitation des frontières de ce qui est ou n’est pas catholique au critère du Credo et du catéchisme de
l’Église : de nombreux fidèles, prêtres, professeurs d’universités catholiques, journalistes s’exprimant dans des revues tenues pour officiellement catholiques, écrivent, voire enseignent des
propositions contraires à la foi de l’Église. En toute impunité, et en l’absence, le plus souvent, de tout avertissement officiel, pour le plus grand dommage de la foi.
Un exemple particulièrement fort est donné par la toute récente réédition (août 2009) par les éditions Bayard (groupe qui édite notamment La Croix) d’une scandaleuse traduction
française de la Bible, parue pour la première fois en 2001. Une série d’auteurs, catholiques ou non (François Bon, Alain Marchadour, Daniel Marguerat) avaient voulu y donner « un témoignage
exceptionnel de la réception contemporaine des Écritures ». Leurs choix « surprenants » correspondent, est-il expliqué en préface de la réédition, « à une interrogation sur le texte reçu
».
Les choix sont, en effet, pour le moins « surprenants ». D’abord quant à la forme. Par exemple, l’hymne de l’épître aux Philippiens (2, 6 et sq) est ainsi rendu : « Lui-même forme de Dieu n’a
pas pourchassé l’égalité avec Dieu – lui-même s’est vidé a pris forme d’esclave est devenue copie humaine ». Mais ce type de traduction provocatrice n’est pas le plus grave.
C’est surtout quant au fond, autrement dit au regard de la foi catholique, que la traduction des Éditions Bayard est souvent « surprenante ». Ainsi, en Isaïe 7, 14, le mot hébreu « almah
», est traduit par « jeune femme », ce qui est en soi possible : « La jeune femme porte un fils ». Une note pourrait cependant informer le lecteur que la Septante, la
version grecque d’Alexandrie, avait compris et traduit l’« almah » de la prophétie de l’Emmanuel, par « parthenos », c’est-à-dire par « vierge ». Or, non seulement la
bible des éditions Bayard n’en dit mot, mais en Mt 1, 23, où est cité le texte de la Septante, elle rend seulement « parthenos » par « jeune fille » : « Une jeune fille
deviendra enceinte ». En outre, en Lc 1 27, la « parthenos », Marie, en qui se réalise la prophétie, devient une « jeune femme ». Et pour le coup, le lecteur a droit a une
explication en note : de ce terme de « parthenos » vient « la connotation de virginité qui lui est habituellement associée »… Dans le Prologue de l’Évangile selon saint Jean
(1, 1), la traduction des Éditions Bayard porte : « Au commencement, la parole – la parole avec Dieu – Dieu, la parole ». Autrement dit, le verbe « était » dans « Dieu était
le Verbe » (« Theos ên o Logos ») est traduit par une virgule, c’est-à-dire escamoté : « Dieu, la parole »… Et ainsi de suite.
Mgr Guillaume, alors évêque de Saint-Dié, avait exprimé, à titre personnel, son étonnement dans la revue Kephas (janvier 2002) : « Sous prétexte de mieux rendre le sens des mots
hébreux […], l’on va jusqu’à mettre en doute le bien-fondé de la traduction grecque de la Septante, base de la connaissance de la Bible chez les premiers chrétiens de langue grecque. Ainsi,
lorsque, dans le Nouveau Testament, l’on consent à traduire psychè par âme, nous lisons cet avertissement : “Les lecteurs veilleront à ne pas le lire au sens de la Septante ou de la théologie
classique” »
Bien entendu, les éditions Bayard n’ont demandé aucun imprimatur pour un texte aussi peu orthodoxe. Mais elles n’ont pas non plus encouru une quelconque condamnation, ni même un avertissement
officiel. Osera-t-on souhaiter une mise en garde semi-officielle ? Je pense à la manière dont ont été traitées les hétérodoxies du P. Gustave Martelet, sj, sur le péché originel dans son livre
Libre réponse à un scandale (Cerf, 1986). Elles avaient été épinglées par La Civiltà Cattolica, la revue des jésuites italiens, organe officieux du Vatican (les numéros sont
relus ligne à ligne à la Secrétairerie d’État avant leur parution), en janvier 1989, comme « des points de doctrine non entièrement compatibles avec l’enseignement de l’Église ». C’était
peu de chose, mais au moins l’article du journal romain permettait-il de dire que Rome n’acceptait pas les déviances du P. Martelet. Ne pourrait-on pas imaginer quelque chose de semblable à
l’encontre de cette Bible scandaleuse – scandaleuse au sens strict : elle induit à la perte de la foi ? Par exemple un article de L’Osservatore Romano qui épinglerait les hétérodoxies de
la traduction des éditions Bayard ?