Je citais, en terminant mon dernier article (voir ici) sur la situation de faillite l’Église belge qui se cristallise dans la disparition annoncée du sacerdoce, cette déclaration du
cardinal Danneels : « Ce que l’Église a perdu en quantité, elle l’a gagné en qualité ».
Il avait, à sa manière naïve, précisé cette renversante « analyse », en confiant au journal “Dimanche” (12 octobre 2006), hebdomadaire qui couvre l’actualité religieuse : « C’est terrible et
dramatique. Je ne sais pas à quoi c’est dû… En Belgique, nous sommes au plus bas de l’Europe. Je me torture les méninges pour comprendre. Je ne suis pas convaincu qu’il faille changer de modèle ».
Et le pauvre homme concluait : « Il ne faut pas chercher le nombre ! »
Cependant, Godfried Danneels, Primat de Belgique, qui s’apprête à quitter de la sorte son siège d’archevêque de Malines-Bruxelles, n’est pas l’incapable que de tels propos pourraient laisser
croire. Il est seulement une personnalité totalement inadaptée à la situation écrasante à la tête de laquelle il a été propulsé.
Né à Kanegem, en Flandres, le 4 juin 1933, prêtre en 1957, licencié en philosophie, docteur en théologie de l’Université grégorienne, il a enseigné au séminaire de Bruges, est devenu évêque
d’Anvers en 1977, et archevêque de Malines-Bruxelles en 1979 (à l’époque où Jean-Marie Lustiger était nommé évêque d’Orléans, pour être promu en 1981 à l’archevêché de Paris). Godfried Danneels
succédait ainsi à Léon-Joseph Suenens (selon l’usage – qui n’est pas une loi –, depuis la querelle linguistique, à un primat francophone doit succéder un primat néerlandophone). Et en 1983, il
devenait cardinal de l’Église romaine.
Tout naturellement, il présidait en outre la conférence épiscopale belge. C’était en fait, à l’origine, un prélat retenu comme wojtylien, et destiné infléchir la ligne montinienne de son calamiteux
prédécesseur, le cardinal Suenens. Ses rapports avec le cardinal Ratzinger furent au début empreints de cordialité : le cardinal de Malines, théologien réputé fiable, avait été nommé membre de la
Congrégation de la Doctrine de la foi.
Mais cette confiance, qui tient une place si importante dans les relations que noue Joseph Ratzinger, s’est bien vite dégradée, notamment parce que Godfried Danneels, très soucieux de ne faire de
peine à personne et modifiant son discours selon ses interlocuteurs, sans être un homme faux, a pu apparaître comme tel au Préfet du Saint-Office. Quoi qu’il en soit, de « centriste » qu’il était
considéré à l’origine et nommé pour réparer les dégâts causés par le charismatique Suenens (charismatique en ce sens qu’il avait un « charisme conciliaire » et qu’il a, pour finir, versé, comme un
certain nombre de progressistes repentis, dans un charismatisme de compensation), Godfried Danneels fut de plus en plus classé comme «progressiste». Il s’est rapproché par le fait de la ligne
Martini, archevêque de Milan, qui fut longtemps considéré comme le papabile opposé à Joseph Ratzinger.
Mais le cardinal Danneels restait un progressiste prudent, en face de l’identitaire timide qu’était Mgr Léonard, évêque de Namur. Car, somme toute, ses prises de position en faveur du « moindre mal
» (autrement dit, l’usage du préservatif pour « ne pas mettre en danger la vie d’autrui ») en matière de morale sexuelle étaient aussi hétérodoxes, mais pas davantage, que celles du cardinal
Lustiger, du cardinal Schönborn ou de Mgr Bruguès. Liturgiquement, s’il lui est arrivé de tenir des propos presque ratzinguériens sur les formes qui sont « reçues » et n’ont pas à être « inventées
», il a surtout été d’une immense faiblesse.
On cite à charge contre lui les funérailles, célébrées en mars 2007, par son auxiliaire et dauphin, Mgr Josef De Kesel, dans la cathédrale de Bruxelles, du chanoine de Locht, défenseur du planning
familial (au point de justifier le recours à l’avortement dans certains cas) et notoirement en consonance avec l’Université libre (maçonnique) de Bruxelles (ULB), Mgr De Kesel présentant le
sulfureux défunt comme un personnage « courageux », ayant fait des «choix responsables». A charge également, la messe dont j’ai déjà parlée, permise pour la paroisse de N.-D. du Bon Secours par la
« Communauté du Christ libérateur » à l’occasion de la Gay Pride. Sans oublier les gloses sur le thème d’Assise, par exemple dans le cadre de Bruxelles-Toussaint 2006 (« concert interreligieux »
islamo-charismatique à N-D. Immaculée et « veillée interreligieuse » corano-évangélique à St.-Roch).
On comprend qu’en 2005, il se soit placé délibérément, lors de la préparation du conclave, du côté de l’alliance anti-Ratzinger. Mais comment comprendre qu’il ait manifesté son dépit de l’élection
de Benoît XVI en refusant la traditionnelle invitation du nouveau Pape à partager sa table le lendemain du conclave ? Godfried Danneels avait-il caressé le rêve d’appliquer à l’Église universelle
le modèle belge ? Devant une fillette de onze ans qui, à son retour de Rome, l’interrogeait pour le journal des enfants de la chaîne publique flamande VRT sur le nom il aurait choisi s’il avait été
l’élu du conclave, lui échappait cette naïve réponse : « J’aurais aimé être Jean XXIV ! »…