Derrière (ou plutôt devant) ce que j’ai raconté avant-hier (voir
ici), il y a tout un théâtre à l’italienne.
Les « sociaux » de la CEI ont fait pression sur Dino Boffo pour que L’Avvenire parle contre la vie privée de Berlusconi. Dino Boffo
avait été mis en place par le cardinal Ruini, ancien président de la CEI, et qui a été en 2005 le plus important des grands électeurs de Benoît XVI. Boffo, professionnellement très
compétent, est devenu l’analyste de prédilection et le conseiller du très ratzinguérien cardinal Bagnasco, successeur de Ruini à la présidence de la CEI.
Boffo a fini par céder, plus ou moins à contrecœur, à la pression des « sociaux » en donnant pas mal de place aux critiques contre les mœurs de Berlusconi, au point de troubler
fortement les relations entre le Saint-Siège et le gouvernement italien.
Le cardinal Bertone a alors cherché à calmer le jeu (long entretien très apaisant donné à L’Osservatore Romano et organisation d’une rencontre
avec Berlusconi à L’Aquila, le soir du 28 août, à l’occasion de la fête du Pardon instituée par le pape Célestin V).
Mais, coup de théâtre, au matin du 28 août, Il Giornale (propriété du frère de Berlusconi), titrait sur pleine page contre la vie privée de Dino
Boffo accusée d’être peu naturelle (et disant que Boffo avait exercé des pressions sur l’épouse d’un homme avec lequel il entretenait une relation), le tout reprenant des rumeurs qui circulent
depuis qu’il est directeur du journal des évêques italiens.
Boffo clame son innocence. Le cardinal Bagnasco réagit très fort : « attaque médiatique inqualifiable ». Les blogs ratzinguériens font chorus. Le cardinal Bertone soutient Boffo et
annule le dîner de L’Aquila. Tout cela est de bonne tactique : on ne bronche pas sous l’orage et on s’occupera de clarifier le cas de Boffo plus tard.
Mais, le 3 septembre, nouveau coup de théâtre : Dino Boffo démissionne « irrévocablement » de ses fonctions par une lettre d’une grande dignité et parfaitement dans les règles de
la guerre : il couvre ses supérieurs ecclésiastiques en disant n’avoir jamais senti la moindre baisse de confiance de ses supérieurs (en revanche, le directeur de l’Osservatore Romano, non
cité, a droit à une paronomase assassine: Vian, vanesio, vanvera: “Un vaniteux qui a parlé vainement [inconsidérément]”) et il leur offre un thème de contre-attaque en accusant un
complot laïciste savamment articulé dont le but dépasse de loin sa propre personne.
D’où des questions insolubles.
Pourquoi Il Giornale,
c’est-à-dire Berslusconi (qui bien entendu s’est tout de suite « désolidarisé » d’ll Giornale…), a-t-il attaqué Boffo contre son propre
intérêt d’apaiser ses relations avec l’Église ? Et pourquoi, après avoir défendu Boffo comme elles l’ont fait, les plus hautes autorités de l’Église l’ont-elles laissé
démissionner ?
Berlusconi a-t-il cédé à son penchant naturel à la provocation en lâchant les chiens et présumant que les bénéfices dépasseraient les dégâts ? A-t-il laissé un os à ronger anticlérical à ses
alliés laïques, Umberto Bossi et la Ligue du Nord ? Les plus hautes autorités de l’Église ont-elles cédé à une tentation d’extrême prudence, comme dans l’affaire de l’évêque auxiliaire de
Linz, dont elles ont accepté la démission en pleine tempête lorsque le cardinal Schönborn a fait valoir qu’un mauvais dossier pouvait être utilisé par les medias contre lui ?
Le plus clair de l’affaire est que le « faible » cardinal Bagnasco (qui l’est peut-être parfois, mais qui a été ici très ferme) est, pour le coup, réellement affaibli : la CEI,
jadis menée d’une main de fer par le cardinal Ruini (mais c’était avant Benoît XVI et sa ligne nouvelle qui divise la CEI), devient ingouvernable. Derrière le cardinal Bagnasco, Tarcisio
Bertone est touché. Et derrière ce dernier, le Pape.
Qui saura jamais le fin mot de cette affaire ?