Autre sodanien, le cardinal Pio Laghi, décédé au début de l’année, était à dire vrai, à l’origine,
bien plus un homme du cardinal Silvestrini (autrement dit de la « gauche » vaticane). Et, cependant, il joua sans état d’âme pour le camp Sodano, lequel a d’ailleurs toujours
maintenu des liens et des ponts avec le camp Casaroli/Silvestrini.
Bien plus Américain que le cardinal Martino, dont j’ai parlé dans mon dernier article sur les réseaux du cardinal
Sodano (voir ici), le cardinal Laghi fut pour Angelo Sodano une espèce de compétiteur,
mais en apparence seulement. Il est possible que Jean-Paul II, après l’effondrement du communisme, au moment du grand tournant de 1990, ait pensé à choisir le pro-nonce aux Etats-Unis,
Laghi, pour remplacer le cardinal Casaroli, l’homme de l’Ostpolitik, à la Secrétairerie d’État. Mais comme on sait, ce fut le Angelo Sodano, Substitut pour les Relations avec les États, qui fut
préféré.
Pio Laghi, était un Romagnol, comme le cardinal Silvestrini, né en 1922 près de Forli. Entré à la Secrétairerie
d’État en 1952, ce diplomate-né eut des postes au Nicaragua et en Palestine en 1969, où il se trouva au moment de la Guerre des Six jours. Nonce en Argentine de 1974 à 1980, de concert avec
Sodano qui était nonce au Chili (de 1977 à 1988), il fit office de médiateur, au nom du Saint-Siège, pour mettre fin au conflit entre les ennemis de toujours, l’Argentine et le Chili, à propos de
leur sempiternel conflit frontalier sur les îles de la Terre de Feu. Le traité sera ratifié par les deux pays le 2 mai 1985.
Mgr Laghi avait déjà quitté l’Argentine pour les Etats-Unis, où il était nommé délégué apostolique en 1980, avec
mission de remodeler l’épiscopat selon la ligne wojtylienne (faisant nommer notamment les futurs cardinaux Law et O’Connor). C’est là qu’advint son heure de gloire lorsque, grâce à ses bonnes
relations avec Ronald Reagan (qu’il fit monter de six points dans les sondages), il parvint en 1984 à établir des relations diplomatiques officielles entre le Saint-Siège et les Etats-Unis, qui
n’avaient jusque-là jamais échangé d’ambassadeurs. Il reçut du coup le titre de pro-nonce.
C’était d’ailleurs un homme d’amitié : ami personnel de Golda Meir ; ami de Ronald Reagan ; plus
tard ami de Georges Bush, auprès duquel il fut chargé de la délicate mission d’exprimer la position défavorable de l’Église sur l’invasion de l’Irak ; ami aussi (on le lui a assez reproché!)
des juntes militaires successives qui gouvernèrent l’Argentine de 1976 à 1983 (en réalité il était surtout proche des financiers humanistes ou catholiques qui les sponsorisaient, et qui
appuieront ensuite Carlo Menem, lequel les amnistia)… Au point que la redoutable Commission Nationale sur la Disparition des Personnes impliqua Pio Laghi pour responsabilité morale dans les
actions de la dictature. Ce qui, par parenthèse, était, pour un proche de Jean-Paul II, une accusation d’un tout autre calibre que celles dont on accabla Benoît XVI et le cardinal Castrillón
à propos de leur « gestion » de l’affaire Williamson, et qui cependant ne provoqua pas une ride sur le lac de la Curie de Jean-Paul II…
Il revint donc à Rome en 1990, non comme Secrétaire d’État, mais comme pro-Préfet – puis Préfet dès qu’il reçut le
chapeau de cardinal, l’année suivante – de la Congrégation pour l’Education catholique, dont Mgr Marchisano, aujourd’hui cardinal, dont j’ai déjà parlé (voir ici et ici), pivot
« progressiste » du système Sodano, resta durant 20 ans Sous-Secrétaire.
En 1994, un article du Time considérait le cardinal Pio Laghi comme papable, ce qui n’inquiéta nullement
Angelo Sodano (qui en revanche s’alarma trop peu de la montée en popularité du cardinal Ratzinger, déjà largement commencée).
Pio Laghi mourut à Rome le 11 janvier dernier, muni des sacrements de l’Église.
(à suivre)