« Revers pour le Vatican » écrivait hier l’Agence France Presse dans une dépêche de son service
anglais de Washington. « Selon la Cour suprême américaine, le Vatican peut être tenu responsable », renchérit Le Monde ce soir.
De quoi s’agit-il ?
D’une décision prise hier par la Cour suprême des États-Unis de ne pas donner suite à la demande d’immunité sollicitée par l’avocat du Saint Siège aux États-Unis dans une pénible
affaire de prêtre pédéraste. Cette décision n’était assortie d’aucun commentaire de la juridiction suprême.
Il faut rappeler brièvement que les relations diplomatiques entre le Vatican et les États-Unis n’ont été formellement établies qu’en 1984, et qu’en vertu du Foreign Sovereign Immunity
Act de 1976, les tribunaux américains ne peuvent pas poursuivre des États.
Depuis une décennie, au moins dix procès ont été instruits par les tribunaux civils américains, dans lesquels le Saint Siège était poursuivi. La plupart de ces procès portaient sur des cas d’abus
sexuels sur des mineurs par des membres du clergé, et les avocats des victimes (réelles ou alléguées) entendaient impliquer la responsabilité du Vatican, confondant sans doute l’Église du Christ
avec le conseil d’administration d’une multinationale… Six de ces procès ont été jugé en faveur du Saint Siège, les juges s’étant déclarés incompétents du fait de l’immunité du Vatican. Quatre
sont en cours.
Celui qui nous occupe, et qui a motivé la décision de la Cour suprême d’hier, a été initié en 2002.
Un plaignant anonyme de l’Orégon – John V. Doe – avait déposé une plainte cette année-là contre le Vatican pour avoir été à plusieurs reprises abusé sexuellement en 1965, alors
qu’il était adolescent – vous avez dit “pédophilie” ? – par un prêtre, le P. Andrew Ronan, décédé en 1992. Ce prêtre pédéraste irlandais avait déjà tout un passé d’abus sexuels
en Irlande et fut expédié d’abord à Chicago (Illinois) puis à Portland (Oregon) où il continua ses exactions.
On notera, sans faire de commentaires, que le plaignant a attendu 45 ans avant de porter plainte et qu’il l’a fait, le prêtre étant mort depuis 18 ans, non contre l’évêché de Portland où auraient
eu lieu les abus sexuels, mais contre le Saint Siège tenu pour employeur du prêtre et responsable de ses changements de poste.
Le jeudi 24 juin, l’avocat du Saint Siège aux États-Unis, Jeffrey Lena, et l’avocat de John V. Doe ont séparément adressé à la Cour suprême un
Amicus Curiæ, le premier pour demander à ce que la juridiction suprême statue en faveur de l’immunité du Saint Siège – ce qui était l’opinion de l’administration d’Obama
–, le second pour qu’elle ne le fasse pas. La juridiction d’appel du 9ème Circuit avait elle préalablement estimé qu’il y avait des exceptions à la règle de l’immunité et qu’il y avait
suffisamment de preuves, selon la loi de l’Orégon, pour estimer que Ronan était bien un employé du Vatican et que la responsabilité du Saint Siège pouvait être engagée dans
l’affaire. Ce qui est une absurdité.
La Cour suprême, qui compte six baptisés catholiques sur neuf membres, a curieusement opiné dans le sens de la juridiction d’appel puisqu’elle n’a pas retenu l’argumentation de
l’avocat Jeffrey Lena.
La cour d’appel peut donc poursuivre le jugement de cette affaire. Si elle jugeait le Vatican responsable, les avocats du Saint Siège devraient de nouveau se pourvoir devant la Cour suprême. Une
sacrée bataille en perspective…