Ce fut là un petit mystère qui excita les vaticanistes et autres spécialistes : pour la première fois dans l’histoire, la version latine d’une encyclique papale – version habituellement
considérée comme définitive et de référence – ne fut pas publiée en même temps que les versions en différentes langues vernaculaires. Pis encore, la troisième encyclique de Benoît XVI,
Caritas in Veritate, est datée du 29 juin, mais la version latine n’est parue qu’il y a moins de trois semaines, dans les derniers jours du mois d’août : deux mois plus tard…
Ce n’est pas un complot “moderniste” qui est à incriminer, mais, plus simplement, la maladie qui a frappé un… Américain.
Et quel Américain ! Puisque le Père Reginald Foster, un carme déchaux natif de Milwaukee, est assurément le plus fin latiniste travaillant au Vatican – et, peut-être le plus fin latiniste
au monde. Né en 1939, le religieux arriva à Rome dans les années 1960 pour parfaire ses études et fut recruté en 1969 par le Saint Siège qui avait eu connaissance de ses extraordinaires capacités
en latin. Il travailla donc à ce qui était alors la « Secrétairerie des Brefs aux Princes » – elle avait un cardinal à sa tête, autres temps… – qui fut renommée plus prosaïquement
l
e Département de langue latine de la Première section de
la Secrétairerie d’État. C’est là que travaillait le Père Foster depuis près de quarante ans. Je parle à l’imparfait puisque cet incontournable latiniste eut la mauvaise idée de se casser
le fémur en 2008. Il semblait s’en remettre quand survint début 2009 une infection suivie d’une intervention en chirurgie cardiaque qui l’obligea à retourner à Milwaukee au printemps dernier pour
sa convalescence. Certes, un autre Américain, qui fut son élève, le Père Daniel Gallagher, un Michigan, tente de suppléer cette absence qui fait grand défaut à la petite équipe de sept
latinistes surchargés de travail, mais reconnaît qu’il est impossible de la remplacer : « Il est unique ! ».
De mauvaises langues ont même prétendu que c’est en raison des retards pris dans la traduction latine de l’encyclique que cette dernière fut si retardée par rapport à la date annoncée de
parution. Il n’en est rien ! Les latinistes attaquèrent dès qu’ils le purent ce volumineux document – la plus longue encyclique jamais publiée. Et l’équipe de traducteurs ne manqua pas d’adresser
son travail par DHL au Père Foster qui ne manqua pas à son tour de faire ses corrections depuis son lieu convalescence à Milwaukee.
Le retour du Père Foster à Rome est très attendu par l’équipe des traducteurs mais aussi par ses nombreux élèves qu’il forme sans doute d’une manière peu orthodoxe et facétieuse (sa phrase
préférée est : « Le latin n’est pas réservé aux experts ! Les clodos et les putes de l’ancienne Rome parlaient le latin ! »), mais très efficacement (photo le Père Foster donnant un cours sur l’ablatif absolu en 2004…). Ce retour ne devrait plus trop se faire attendre car cette ronde silhouette toujours
vêtue d’un bleu-de-chauffe, tenue ordinaire des plombiers américains (son père était plombier ainsi que ses oncles…) même si elle n’est pas vraiment du style “Curie” manque beaucoup au Saint
Siège comme à la langue latine !