université dirigée par les Jésuites [1] vient de se voir confirmer par la Cour suprême du Missouri (par 6 voix contre 1) qu’elle n’est ni sous le contrôle de l’Église catholique ni sous celui de
la foi catholique… Y a-t-il vraiment de quoi faire sauter des bouchons de “champagne”californien ?
Ce pitoyable arrêt mérite quelques explications.
La SLU s’étant mis en tête de construire un stade à la fin des années 1990, le devis de 80 millions de $ la pressa de chercher des financements. 30
millions de $ pouvant être couverts par des dons (12 millions le furent par la seule libéralité d’un ancien étudiant de SLU aujourd’hui habitant Chicago)
et 42 par différents emprunts bancaires, restaient 8 millions à trouver. Or, en vertu de la Tax Increment Financing (TIF) la ville de St. Louis est autorisée à prêter des fonds pour des entités qui s’engagent à bonifier des zones urbaines dégradées. Précisément, le lotissement sur
lequel la SLU entend construire son stade, à l’angle des avenues Compton et Laclède [2], relevait du TIF et
la ville accorda donc le prêt.
Ce ne fut pas du goût de la Masonic Temple Association, l’organisation locale des francs-maçons qui, avec le soutien de l’Americain Civil Liberties Union (l’équivalent en plus riche et plus puissant de la Ligue des droits de l’homme), esta en
justice, en 2004, au motif que la constitution de l’État du Missouri interdit à ce dernier de subventionner ou de financer « tout établissement d’enseignement supérieur ou université […] sous le
contrôle d’une foi religieuse, d’une église ou de toute dénomination sectaire ». Les travaux furent bloqués et l’affaire remonta jusqu’à la Cour suprême de l’État.
Quelle défense adopta la SLU ? Celle que soutint devant la Cour suprême le Père Lawrence Biondi, s.j.,
président de la SLU : « Le contrôle – le projet de la tradition jésuite – est fondamentalement entre les mains des 42 membres du conseil d’administration,
et que sur ces 42 membres seuls 9 sont des Jésuites, tous les autres étant des laïcs. On trouve des hommes et des femmes qui professent différentes fois, des protestants, des juifs, et je
subodore même qu’un ou deux n’ont aucune foi ». Ainsi, précise le Père Biondi « les 9 administrateurs jésuites n’ont pas la majorité qui leur permettrait
d’agir au nom de l’université » [3]. Le clou n’étant peut-être pas suffisamment enfoncé, la défense de la SLU devant la Cour suprême en rajoute : malgré sa
« tradition jésuite » l’université n’exige pas de ses salariés et de ses étudiants « qu’ils aspirent à l’idéal jésuite, qu’ils soient catholiques ou qu’ils aient une quelconque adhésion
religieuse. Sur les 1 275 membres du personnel de l’université, moins de 35 sont des Jésuites (ce qui correspond à environ 2,7 % de l’effectif). Moins de la moitié des étudiants inscrits à la
SLU se dit catholique (…) Bien des institutions qu’on caractérisait comme catholiques au XIXe siècle, y compris la St. Louis University, ont entrepris des changements au cours du
temps. Elles se sont adaptées, avec leurs structures d’entreprise et leurs missions, pour servir un monde devenu largement sécularisé. ».
Devant une telle “adaptation” (qui a toutes les apparences d’un reniement), la Cour suprême ne pouvait que donner raison à la défense : la décision de la ville de St. Louis d’accorder un prêt de
8 millions de $ à la SLU ne contrevient ni à la constitution de l’État du Missouri ni à la constitution fédérale des États-Unis.
Secrétaire général du conseil d’administration, William Kauffman a beau prétendre « qu’en aucun moment nous n’avons esquivé ou caché notre identité
catholique jésuite », on n’est pas obligé de le croire. Et pas davantage le Père Frank Reale, s.j., responsable de l’apostolat à SLU quand il déclare : « La SLU a changé depuis 1818, mais une chose qui n’a pas changé du tout c’est notre identité jésuite ». Encore faudrait-il nous la préciser
tant son contour est flou… Laisser entendre, en outre, que les Jésuites, et leur « identité » à géométrie variable, étaient présents dès 1818 est un petit mensonge. En 1818, c’est Mgr Louis du Bourg, un Français, évêque de Louisiane, qui fonda à St. Louis la St. Louis Academy dont la direction échue à un
autre Français l’abbé François Niel. En 1820, l’établissement fut renommé St. Louis College mais quand Mgr du Bourg sollicita les Jésuites du Maryland pour venir s’en occuper, ces derniers s’y refusèrent jusqu’en 1824, et ce n’est qu’en 1827 qu’ils acceptèrent de le
prendre en charge. L’université ne reçut l’agrément officiel de l’État du Missouri qu’en 1832.
Judas, selon l’Écriture, trahit son Maître pour 30 sicles d’argent. Les Jésuites de la SLU ont trahi également mais
en mettant la barre plus haut : 8 millions de $. Est-ce un progrès ?
[1] Sur les Jésuites aux États-Unis, voyez mes deux précédents articles : americatho.over-blog.com/article-6141347.html et americatho.over-blog.com/article-6143861.html
[2] Le Français Pierre Laclède, né en 1729, fonda St. Louis en 1764, qui s’appelait d’ailleurs alors Laclede
Village. On le considère comme le « premier citoyen » de St . Louis. Une statue en bronze du fondateur trône devant l’Hôtel-de-Ville de la capitale du Missouri.
[3] Précisons que cette situation n’est en rien la conséquence d’un “complot laïciste” qui aurait réussi à se saisir de l’université : le recours aux laïcs, et à des laïcs de plus en plus
nombreux – jusqu’à devenir ultra-majoritaire dans les conseils d’administration, comme dans le cas le la SLU
est une décision des Jésuites eux-mêmes prise après le Concile de Vatican II. Les Jésuites de la SLU se flattent
d’ailleurs d’avoir été les premiers à recourir aux laïcs dès 1967.