Le vaticaniste Sandro Magister, que je lis toujours avec beaucoup d’intérêt, a publié la semaine dernière une étude intitulée « Tir ami sur Benoît XVI. Par la faute d’un préservatif ». Magister résume les critiques de personnalités catholiques, engagées dans le combat pour la vie et dans le combat pour une doctrine fidèle à la Tradition et […]
Et si on rajoute le paragraphe suivant, les propos de Magister sur ces erreurs de traductions prennent une autre signification:
« Il y a deux inexactitudes dans la traduction italienne du passage.
La première : “una prostituta” au féminin au lieu de “un prostituto” au masculin, comme c’est le cas dans l’original en allemand : “ein Prostituierter”.
La seconde : “Vi possono essere singoli casi giustificati” d’utilisation du préservatif, où le mot “giustificati” apparaît excessif par rapport à l’original en allemand : “Es mag begründete Einzelfälle geben…”, mieux traduit dans l’édition américaine par : “There may be a basis in the case of some individuals…”.
Cependant il faut noter que ni la première ni la seconde inexactitude de la version italienne du livre n’ont été considérées par l’auteur, c’est-à-dire Benoît XVI, comme portant atteinte à son raisonnement. Le père Lombardi a clarifié ce point d’une part dans le communiqué publié dimanche 21 novembre, qui a été vu et approuvé personnellement par le pape, et d’autre part en indiquant, mardi 23, ce que le pape avait répondu à une question précise qu’il lui avait posée à ce sujet :
“Ce qui compte, c’est la responsabilité dans le fait de tenir compte de la mise en danger de la vie de la personne avec qui on a le rapport. Que ce soit un homme, une femme, ou un transsexuel qui le fasse, c’est pareil”. »
Je pense que cette affaire laissera des traces. Tout cela pose deux problèmes : le choix pour un Pape d’intervenir en théologien privé, et le fond de son propos. En tant que théologien privé, son propos n’a aucune autorité particulière pour acter la communion dans l’Eglise et entre les pasteurs de l’Eglise. Ce n’est plus qu’un propos intellectuellement intéressant et soumis à la controverse, exceptées les questions qui ont été sanctionnées par le jugement magistériel de l’Eglise. Il y a donc dans ce positionnement du Pape un déssaisissement objectif de sa fonction. C’est un choix qui le regarde, mais on en connaît fort bien les conséquences désastreuses, qui sont les conséquences désastreuses d’une forme temporaire de soustraction à l’exercice d’un ministère dédié au bien de l’Eglise tout entière en ces temps difficiles.
Quant au propos lui-même, qu’il me soit permis de mettre en doute la notion de progrès possible vers une quelconque moralisation humaine, lorsque l’on persiste dans des comportements intrinsèquement mauvais qui établissent chacun et ensemble une pratique sexuelle contre nature, et donc une régression morale caractérisée. Il n’y a pas de progrès humain possible dans la régression comportementale volontaire, fût-elle tempérée par l’attention aux conséquences dans le comportement lui-même. Tout au plus peut-on légitimement attribuer cette possibilité de progrès à la seule grâce de Dieu qui travaille tout homme, même le pécheur le plus enfoncé, afin qu’il entende dans son désastre l’appel à retrouver un comportement formellement humain, et non à “cheminer” vers celui-ci dans et par le maintien de son désordre. On ne notera jamais assez le désastre pastoral qui consiste à approuver positivement, fût-ce de façon prudente et éloignée, des progrès qui, formellement et objectivement n’en sont pas, et ne peuvent jamais constituer les étapes d’un “cheminement” dans la conduite morale ou vers une moralisation de la conduite humaine.
Il s’ensuit – même si ce n’est ni le voeu ni le propos du Pape – des conceptions de la miséricorde et du salut qui sont complètement déconnectées de la création et du devoir moral de ne jamais agir contre ses indications premières.
Que l’on ne soit pas en situation de péché mortel par le seul fait qu’on soit en désordre objectivement grave, c’est un fait.
Que la grâce et la miséricorde travaillent ceux qui se sont enfoncés en pareille situation,y compris de façon gravement coupable, c’est un fait.
Que l’accompagnement de l’Eglise soit attentif, délicat,humble,compétent, soucieux de guetter les moindres signes que Dieu fait conduisant à la conversion des comportements, c’est un devoir. Dans ce sens, l’Eglise peut-être amenée à repérer chez tel sujet gravement enfoncé et sous l’effet de la grâce de Dieu, un certain retour à la conscience morale (on ne peut pas tout se permettre), alors que ce sujet n’a pas encore renoncé à l’ensemble des comportements volontaires qui concourent à son désordre objectif, et qu’il commence à parer volontairement aux conséquences matérielles de ses actes.
Mais elle ne peut pas en conclure que le sujet est en situation morale – ce que le Pape ne dit pas – ni même qu’elle est en route vers une moralisation – ce que le Pape dit – parce que la moralisation est l’acquisition d’une perfection comportementale qui passe par l’abandon des conduites intrinsèquement mauvaises, et l’accumulation de conduites positives au regard du bien objectif de la personne. Il n’y a donc pas de progrès vers la moralisation en situation immorale, et tant qu’on n’y a pas effectivement renoncé, pour entrer dans la seule gradualité qui tienne la route, celle qui se joue dans l’acquisition habituelle d’un mode de vivre et de se comporter, qui constitue l’historicité propre à la vie humaine. Celle-ci sera faite de décisions franches, de chutes, de résurrections inouïes, sous la grâce qui ne nous abandonne jamais et ne désespère jamais de nous rendre à nous-mêmes et à la maîtrise humaine de notre vie.
On devinera enfin l’impact théologique, pastoral, humain et même socio-politique de ces conceptions erronées du “cheminement” moral et même spirituel, qui peuvent maintenant s’appuyer sur des propos peu limpides et peu aptes à favoriser la conversion des personnes, des sociétés, et même la communion pastorale dans l’Eglise.
Entre autres postures vaticanesques et pagailles mentales en tous genres dans l’Eglise, on aurait pu s’éviter une fragilisation supplémentaire du Magistère et du dépositaire du Magistère, à travers ce qui n’est franchement pas une “étude de cas”, mais un pas de clerc en morale fondamentale et en éclairage pastoral des autres pasteurs, du peuple chrétien, et de l’ensemble des sociétés humaines.
Bravo à ” Christian”; analyse magistrale et pleine de bon sens ,sans critiquer le Pape Benoit XVI mais sans complaisance pour ce qu’il a malheureusement écrit et publié , voilà une mise au point nécessaire et une conclusion sur la prudence que le Pape doit avoir en publiant un livre dans lequel il aborde un sujet brulant dans notre société hypertrophiée par le sexe et le désir ardent d’être “du monde”…et ou la croix est devenue un scandale alors qu’elle est et sera toujours source de notre salut jusqu’à la fin du monde.
“sans critiquer le Pape Benoit XVI mais sans complaisance pour ce qu’il a malheureusement écrit et publié”: superbe!