Mon confrère d’Osservatore vaticano, Vini Ganimara, signe un long article sur la situation de Thiberville. Le voici :
Dimanche 20 février, l’abbé Michel devrait célébrer sa dernière messe comme curé de Thiberville. Fin janvier, son recours auprès du Tribunal suprême de la Signature apostolique a en effet été rejeté – toujours pour des questions de forme, et non de fond.
D’après nos informations, les conseillers juridiques de l’abbé Michel disposaient encore d’au moins une « cartouche », mais il semble qu’ils aient préféré l’utiliser pour négocier avec l’évêque d’Evreux, Mgr Nourrichard. Le dossier est donc loin d’être clos. Et le 20 février n’en marquera sans doute pas la conclusion. Cependant, selon toute vraisemblance, ce 20 février marquera la fin d’une « manche » : l’abbé Michel ne devrait plus être curé de Thiberville. Et c’est pour nous l’occasion de tirer un premier bilan de cette affaire et d’envisager la suite des événements.
La première chose qui saute aux yeux, c’est que l’évêque a sciemment choisi de détruire ce qui « marchait » le mieux dans son diocèse. Quoi que l’on pense par ailleurs de la logique de fusion des « secteurs pastoraux » (qui ressemble fort à une logique de syndic de faillite, mais qui est peut-être réellement la seule possibilité disponible), il est évident que fermer une paroisse qui « tourne » est suicidaire. Et aucun argument sur la « pastorale d’ensemble » ne tient sérieusement la route : à qui fera-t-on croire qu’il n’aurait pas été possible de maintenir cette paroisse particulière, au moins tant que l’abbé Michel était physiquement capable d’assumer sa responsabilité ? Rien n’empêche, que je sache, de traiter différemment des cas différents.
Le deuxième élément à prendre en compte, c’est que l’évêque ne s’est pas comporté en pasteur, mais en bureaucrate, ou, si l’on préfère, la version soviétique, en apparatchik. Il a pris une décision brutale sans faire le moindre effort pour écouter les arguments de l’abbé Michel, ni a fortiori les souffrances des fidèles (car, dans cette Eglise dite « proche du peuple », la clérocratie règne en maître : quelques fonctionnaires de curie diocésaine sont supposés savoir mieux que les fidèles ce qui est bon pour eux).
Le troisième point à noter, c’est qu’il y avait un véritable enjeu « idéologique ». Ce qui était reproché à l’abbé Michel était en somme d’être un curé de paroisse « à l’ancienne », à tous les sens du mots : curé se sentant responsable des âmes de ses paroissiens, et curé désireux d’enseigner la foi traditionnelle de l’Eglise catholique (et désireux d’appliquer le motu proprio Summorum pontificum). Evidemment, la chose devait souverainement déplaire à un évêque qui n’a pas craint de participer à un simulacre d’ordination de femmes anglicanes – au moment même où Rome accueillait les clercs anglicans révoltés par ce viol manifeste de la Tradition apostolique !
Il faut remarquer, à ce propos, que l’évêque et ses collaborateurs ont utilisé une méthode assez malhonnête pour écraser toute opposition de la part de l’abbé Michel ou de ses fidèles. Ils ont toujours laissé entendre qu’ils avaient, si je puis dire, des « dossiers » sur l’abbé Michel. Ne connaissant pas personnellement ce dernier et n’étant pas son confesseur (ça tombe bien, je suis laïc… comme les soi-disant « ordonnées » de Mgr Nourrichard !), j’ignore si ces allégations sont fondées ou non et cela ne me regarde ni de près ni de loin. Je n’ai même jamais réussi à savoir la teneur exacte des allégations en question (plus exactement, j’en ai entendu plusieurs versions différentes). Ce que je sais, c’est que procéder ainsi par insinuations, jamais assumées, est assez révoltant. Soit l’abbé Michel a commis des actes répréhensibles et il fallait le démettre de ses fonctions franchement. Soit ces « dossiers » sont vides et on se trouve dans le domaine de la pure calomnie. Il n’est déjà pas très ragoûtant de voir ces procédés utilisés lors des campagnes électorales, mais qu’ils aient cours dans l’Eglise est fort inquiétant.
Enfin, on ne peut que s’étonner de l’absence complète de négociation. Ce qui nous ramène à un précédent qui a parfois été invoqué, celui de Port-Marly. On se souvient que cette paroisse avait été « occupée » contre l’avis de l’évêque et du curé par une communauté traditionaliste. Mais l’évêque de Versailles, Mgr Thomas, sans doute moins bureaucrate que son confrère ébroïcien, avait négocié et Port-Marly est désormais une très belle paroisse traditionnelle parfaitement insérée dans la « pastorale d’ensemble », tout en conservant ses légitimes différences.
Naturellement, cette présentation semble accabler Mgr Nourrichard et faire la part belle à l’abbé Michel. Ce qui serait injuste : l’abbé Michel porte sans doute, lui aussi, sa part de responsabilité dans l’envenimement des relations. Mais, dans le mal comme dans le bien, le supérieur est toujours le responsable et on voit mal comment exonérer Mgr Nourrichard de sa responsabilité accablante.
Désormais, que va-t-il se passer ?
Si je comprends bien, la paroisse de Thiberville aura cessé d’exister le 20 février. A sa place naîtra une anonyme circonscription administrative, desservie par ce que l’on appelle désormais un modérateur, qui viendra peut-être occasionnellement célébrer la messe dans ce petit village qui voulait rester une terre chrétienne. Soit. Mais cela ne résout rien. L’abbé Michel, n’ayant nulle part où aller, demeurera sans doute à Thiberville. On imagine mal qu’il célèbre la messe dans le placard à balais du presbytère. Par conséquent, il est vraisemblable que l’un des élus locaux de son ancienne paroisse – et pourquoi pas, celui de Thiberville même – lui confie les clés de l’église du village et la communauté paroissiale continuera à se réunir autour de l’abbé Michel. Autrement dit, alors que Mgr Nourrichard aurait pu sans problème trouver une solution, sans doute « bancale » au plan canonique, du style de celle de Port-Marly après 1988, où l’église était pour ainsi dire « occupée » avec l’autorisation tacite de l’évêque, en attendant la régularisation qui est venue un peu plus tard, il a choisi l’opposition frontale, sans aucun bénéfice visible ni pour lui-même, ni pour son « modérateur », ni pour l’abbé Michel, ni surtout pour les fidèles… Brillant résultat en vérité !
NB : En toute hypothèse, pour la suite des événements, il faut prendre en considération un fait majeur : tous les maires dont les villages se trouvent sur la paroisse de l’abbé Michel soutiennent ce dernier. Et la situation politique actuelle est extrêmement favorable au statu quo : dans un mois auront lieu les cantonales, prélude à la longue campagne présidentielle et législative de 2012. Au moins pour les cantonales, la droite part plutôt pour limiter la casse que pour triompher. On voit mal les dirigeants de l’actuelle majorité faire beaucoup de zèle pour aider Mgr Nourrichard (qui est évidemment en droit l’affectataire des églises en question) à faire appliquer ses décisions… et risquer de perdre ainsi quelques précieuses voix d’électeurs et de grands électeurs !