Le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, a consacré un éditorial au projet de loi relatif à la bioéthique. Le voici :
L’élaboration de ce projet a été précédée par une large consultation à travers toute la France. Beaucoup se sont exprimés à ce sujet. Le Conseil d’Etat a rédigé une Etude. A été également publié un Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques. Les évêques de France, sous la conduite de Mgr d’Ornellas, archevêque de Rennes, ont apporté leur contribution à ce débat (1). Ils ont rédigé une « Note sur un projet de loi relatif à la bioéthique » (2 décembre 2010). Ce projet veut prendre en compte l’intérêt de l’enfant à naître. Il faut le souligner. C’est ce qui lui fait interdire :
- le dépistage de la trisomie 21 lors d’un diagnostic préimplantatoire
- la gestation pour autrui
- le transfert d’embryons et l’insémination post mortem
- le recours à l’Aide médicale à la procréation pour les célibataires et les couples de femmes
Trois dispositions de la loi sont heureuses :
- l’information concernant les anomalies génétiques graves
- le don croisé d’organes
- la prise en compte des cellules de sang du cordon ombilical
Par contre, les dispositions sur quatre sujets sont problématiques et méritent un vrai débat. Elles concernent :
- l’information donnée à une femme enceinte sur les examens de diagnostic prénatal
- la levée de l’anonymat pour l’aide médicale à la procréation avec tiers donneur
- l’aide médicale à la procréation et la « conservation des embryons »
- la recherche sur les embryons humains
Je n’aborderai dans cet éditorial que ce dernier point qui est traité dans les articles 23 et 24 du projet de loi (2).
Respect ou instrumentalisation de l’embryon : une contradiction interne
Ce projet de loi est traversé ici par une contradiction interne. D’un côté, il maintient l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires humaines. Cette disposition redit l’importance du respect de l’embryon humain. Elle est en cohérence avec l’ensemble de notre corpus juridique sur la protection de la vie de l’être humain, et notamment avec la règle fondamentale posée à l’article 16 du Code civil qui énonce le respect de tout être humain « dès le commencement de sa vie ». La loi a toujours vocation à protéger le plus vulnérable et qu’y a-t-il de plus vulnérable que l’enfant à naître ? (3) . Pour le législateur, l’embryon ne saurait être considéré comme un « amas de cellules » pouvant servir de simple matériau de laboratoire. La loi interdit d’ailleurs d’en créer pour la seule recherche scientifique. Dans son Etude le Conseil d’Etat affirmait : « La recherche sur l’embryon humain soulève des oppositions éthiques car elle porte atteinte non à une chose mais…à une personne humaine potentielle, qui ne saurait donner lieu à instrumentalisation. » (p. 20).
Mais, en même temps qu’il affirme le principe du respect de l’embryon, le projet de loi établit une dérogation en faveur de la recherche scientifique. Dans certaines conditions, les embryons surnuméraires pourront être utilisés pour la recherche et pourront être ainsi détruits. La loi de 2004 avait établi une dérogation pour une durée de cinq années, en espérant qu’elle ne serait bientôt plus nécessaire. Le projet de loi actuel rend permanente cette dérogation. Mais on ne voit pas pourquoi ici l’éthique devrait s’effacer devant les progrès supputés de la recherche scientifique. Celle-ci n’autorise pas tout. Elle n’autorise pas par exemple la commercialisation du corps humain. Et cette interdiction n’admet pas de dérogation. Le projet de loi met comme condition à l’utilisation de l’embryon pour la recherche s’ « il est impossible, en l’état actuel des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons ». Mais les découvertes scientifiques sur les cellules souches adultes n’ouvrent-elles pas une voie à une méthode alternative ?
Des distinctions non-pertinentes
Pour échapper à ce dilemme, certains se risquent à des distinctions. Faut-il distinguer entre deux stades de développement, celui du « préembryon » et celui de « l’embryon humain » ? Mais à quel moment faire passer la frontière entre ce qui ne serait pas humain et ce qui le deviendrait ? Nous sommes devant un développement continu de ce qui deviendra un enfant si on lui permet d’aller à son terme : « Le corps d’un être humain, dès les premiers stades de son existence, n’est jamais réductible à l’ensemble de ses cellules. Ce corps embryonnaire se développe progressivement selon un « programme » bien défini et avec une finalité propre qui se manifeste à la naissance de chaque enfant. » (Instruction Dignitatis humanae de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 8 décembre 2008) (4).
Le projet de loi fait une distinction entre les embryons congelés qui font l’objet d’un projet parental et ceux qui n’en feraient plus l’objet. Ceux-ci, après autorisation expresse des « parents », pourraient être affectés à la recherche. Certes, l’environnement parental, et donc un projet parental, est important pour l’enfant à naître et pour l’enfant qui est né mais pas au point d’être le critère de l’humanité de l’embryon. Celui-ci est déjà pleinement humain en lui-même (5). Ce n’est pas parce que les parents l’estiment désormais inutile qu’il l’est.
Tenir ensemble : recherche scientifique et questionnement éthique
Il faut espérer que les débats que l’étude de ce projet de loi va susciter ne vont pas s’égarer dans une fausse problématique : une opposition frontale entre la science et l’éthique. C’est justement la grandeur de l’homme d’articuler la nécessité de la recherche scientifique avec l’importance vitale du questionnement éthique. Nous savons bien aujourd’hui dans le domaine de l’écologie, par exemple, que tout ce qui est possible de faire n’est pas forcément souhaitable. Pourquoi en serait-il autrement pour l’écologie humaine ?
Le Rapport des Etats Généraux autour de la bioéthique affirme : « Les citoyens attendent de l’Etat qu’il soit en mesure de protéger chacun, en particulier les plus vulnérables, contre les dérives mercantiles, les expérimentations et les pratiques qui bafouent le principe d’intégrité du corps humain » (p. 20). En protégeant de façon inconditionnelle l’être vulnérable par excellence, l’embryon humain, la loi civile ne répondrait-elle pas ainsi pleinement à cette attente ? C’est ce que l’on peut souhaiter et demander.