Je souhaite à tous les lecteurs de ce blog et à ceux de Riposte catholique, le réseau catholique auquel j’appartiens (merci de votre soutien financier) une très sainte fête de Pâques et un heureux temps pascal. Pour continuer à méditer dans l’esprit de la sainte Église catholique, en mettant de côté ces derniers jours les effluves de l’actualité, je vous propose aujourd’hui un nouveau texte de dom Guéranger, extrait de son Année liturgique.
De toutes les saisons de l’Année liturgique, le Temps pascal est sans contredit, le plus fécond en mystères; on peut même dire que ce temps est le point culminant de toute la Mystique de la liturgie dans la période annuelle. Quiconque a le bonheur d’entrer avec plénitude d’esprit et de cœur dans l’amour et l’intelligence du mystère pascal, est parvenu au centre même de la vie surnaturelle; et c’est pour cette raison que notre Mère la sainte Eglise, s’accommodant à notre faiblesse, nous propose a nouveau chaque année cette initiation. Tout ce quia précédé n’en était que la préparation: la pieuse attente de l’Avent, les doux épanchements du Temps de Noël, les graves et sévères pensées de la Septuagésime,la componction et la pénitence du Carême, le spectacle déchirant de la Passion, toute cette série de sentiments et de merveilles n’était que pour aboutir au terme sublime auquel nous sommes arrivés. Et afin de nous faire comprendre qu’il s’agit dans la solennité pascale du plus grand intérêt de l’homme ici-bas. Dieu a voulu que ces deux grands mystères qui n’ont qu’un même but. la Pâque et la Pentecôte, s’offrissent a l’Eglise naissante avec un passé qui comptait déjà quinze siècles : période immense qui n’a pas semblé trop longue à la divine Sagesse pour préparer, au moyen des figures, les grandes réalités dont nous sommes aujourd’hui en possession, En ces jours s’unissent les deux grandes manifestations de la bonté de Dieu envers les hommes: la Pâque d’Israël et la Pâque chrétienne ; la Pentecôte du Sinaï et la Pentecôte de l’Eglise ; les symboles accordés à un seul peuple, et les vérités livrées sans ombre à la plénitude des nations. Nous aurons à montrer en détail l’accomplissement des ligures anciennes dans les réalités de la Pâque et de la Pentecôte nouvelles, le crépuscule de la loi mosaïque faisant place au jour partait de l’Evangile; mais ne sommes-nous pas d’avance saisis d’un saint respect, en songeant que les solennités que nous célébrons en ces jours comptent déjà plus de trois mille ans d’existence, et qu’elles doivent se renouveler chaque année, jusqu’à ce que retentisse la voix de l’Ange qui criera : « Il n’y a plus de temps ( Apoc. X, 6), et que s’ouvrent les portes de l’éternité ?
L’éternité bienheureuse est la véritable Pâque ; et c’est pour cette raison que la Pâque d’ici-bas est la Fête des têtes, la Solennité des solennités. Le genre humain était mort, il était accablé sous la sentence qui le retenait dans la poussière du tombeau; les portes de la vie lui étaient fermées. Or voici que le Fils de Dieu sort du sépulcre et entre en possession de la vie éternelle ; et ce n’est pas lui seulement qui ne mourra plus; son Apôtre nous apprend qu’il « est le premier-né entre les morts » (Col. I, 18). La sainte Eglise veut donc que nous nous regardions comme déjà ressuscites avec lui. comme déjà en possession de la vie éternelle. Ces cinquante jours du Temps pascal,nous disent les Pères, sont l’image de la bienheureuse éternité. lissent consacrés tout entiers à la joie; toute tristesse en est bannie; et l’Eglise ne sait plus dire une parole à son Epoux divin sans y mêler l’Alléluia, ce cri du ciel dont retentissent sans fin les rues et les places de la Jérusalem céleste, ainsi que nous le dit la sainte Liturgie (Potificale Rom. In dedicat. Eccles.). Durant neuf semaines nous avons été sevrés de ce chant d’admiration et d’allégresse ; il nous fallait mourir avec le Christ notre victime; mais maintenant que nous sommes sortis du tombeau avec lui. et que nous ne voulons plus mourir de cette mort qui tue l’âme et qui fit expirer sur la croix notre Rédempteur, l’Alleluia est à nous.
La sage prévoyance de Dieu, qui a disposé dans une pleine harmonie l’œuvre visible de ce monde et l’œuvre surnaturelle de la grâce, a voulu placer la résurrection de notre divin Chef en ces jours où la nature elle-même semble aussi sortir du tombeau. Les champs étalent leur verdure, les arbres des forêts ont retrouvé leur feuillage, le chant des oiseaux réjouit les airs, et le soleil, type radieux de Jésus triomphant, verse des flots de lumière sur la terre régénérée. Au temps de Noël, cet astre, se dégageant avec peine des ombres qui semblaient menacer de l’éteindre pour toujours se montrait en harmonie avec l’humble naissance de notre Emmanuel, au sein d’une nuit profonde, sous les langes de l’humilité : aujourd’hui, pour parler avec le Psalmiste, « c’est un géant qui s’élance dans la carrière; et il n’est pas un être qui ne se sente ranimé par sa vivifiante chaleur. » (Ps. XVIII, 6,7.) Entendez sa voix dans le divin cantique, où il convie l’âme fidèle à s’unir à cette vie nouvelle qu’il communique à toute ce qui respire: « Lève-toi, ma colombe, lui dit-il, et viens. L’hiver a achevé son cours, les pluies ont cessé; les fleurs se sont écloses sur la terre qui est à nous ; on entend la voix de la tourterelle, le figuier pousse ses fruits, et la vigne en fleur envoie ses suaves parfums. » (Cant. II, 10-13.)
Nous avons dit au chapitre précédent pourquoi le Fils de Dieu avait choisi le dimanche de préférence a tout autre jour, pour triompher de la mort et proclamer la vie. Il ne pouvait montrer plus énergiquement que toute la création se renouvelle dans la Pâque, qu’en ouvrant l’immortalité à l’homme, en sa personne, au jour même où, quarante siècles auparavant, il avait tiré la lumière du néant. Non seulement l’anniversaire de sa résurrection glorieuse devient désormais le plus grand des jouis : mais, chaque semaine, le dimanche sera aussi une Pâque, un jour sacré. Israël, par l’ordre de Dieu, fêtait le Sabbat, pour honorer le repos du Seigneur après les six jours de son œuvre; la sainte Eglise, qui est l’Epouse, s’associe à l’œuvre même de l’Epoux. Elle laisse s’écouler le samedi, ce jour que son Epoux passa dans le lugubre repos du sépulcre ; mais, illuminée des splendeurs de la Résurrection, elle consacre désormais à la contemplation de l’œuvre divine le premier jour de la semaine, qui vit tour à tour sortir des ombres et la lumière matérielle, première manifestation de la vie sur le chaos, et celui-là même qui, étant la splendeur éternelle du Père, a daigné nous dire : « Je suis la lumière du monde. » (Johan. VIII,12.)
Que la semaine donc s’écoule tout entière avec son Sabbat ; il nous faut, à nous chrétiens, le huitième jour, celui qui dépasse la mesure du temps ; il nous faut le jour de l’éternité, le jour où la lumière ne sera plus intermittente, ni donnée avec mesure, mais où elle s’étendra sans fin et sans limites. Ainsi parlent les saints docteurs de notre foi, quand ils nous révèlent les grandeurs du dimanche, et la sublime raison de l’abrogation du Sabbat. Sans doute il était beau à l’homme de prendre pour le jour de son repos religieux et hebdomadaire celui-là même où l’auteur de ce monde visible s’était reposé ; mais il n’y avait là cependant que le souvenir de la création matérielle. Le Verbe divin reparaît dans ce monde qu’il avait créé au commencement ; cette fois il cache les rayons de sa divinité sous l’humble voile de notre chair ; il est venu accomplir les figures. Avant d’abroger le Sabbat, il veut le réaliser en sa personne, comme tout le reste de la Loi. en le passant tout entier comme un jour de repos, après les labeurs de sa Passion, sous l’arcade funèbre du tombeau; mais à peine le huitième jour a-t-il commencé son cours, que le divin captif s’élance à la vie et inaugure le règne de la gloire. « Laissons donc, dit à ce sujet le pieux el profond abbé Rupert, laissons le Juif, esclave de l’amour des biens de ce monde. se livrer à la joie surannée de son Sabbat, qui ne retrace que le souvenir d’une création matérielle. Absorbé dans les choses terrestres, il n’a pas su reconnaître le Seigneur qui a créé le monde; il n’a pas voulu voir en lui le Roi des Juifs, parce qu’il disait : Heureux les pauvres ! Notre Sabbat à nous est le huitième jour, qui est en. même temps le premier ; et la joie que nous y goûtons ne vient pas de ce que le monde a été créé, mais bien de ce que le monde a été sauvé (De divinis Officiis, lib. VII, cap. XIX.). »
Le mystère du septénaire suivi d’un huitième jour, qui est le jour sacré, reçoit une application nouvelle et plus large encore dans la disposition même du Temps pascal. Ce temps se compose de sept semaines formant une semaine de semaines, ont le lendemain se trouve être encore un dimanche, le jour de la glorieuse Pentecôte. Ces nombres mystérieux que Dieu a posés lui-même le premier, eu instituant dans le désert du Sinaï la première Pentecôte, cinquante jours après la première Pâque, lurent recueillis par les Apôtres pour être appliqués à. la période pascale des chrétiens. C’est ce que nous apprend le grand saint Hilaire de Poitiers, dont la doctrine est répétée par saint Isidore. Amalaire, Rhaban Maur, et généralement tous les anciens interprètes des mystères de ta sainte Liturgie. « Si nous multiplions le septénaire par sept, dit l’illustre docteur des Gaules. nous reconnaîtrons que ce saint temps est vraiment le Sabbat des sabbats ; mais ce qui le consomme et l’élève à la plénitude de l’Evangile, c’est le huitième jour qui suit, ce jour qui est a la lois le premier et le huitième. Les Apôtres ont attaché a ces sept semaines une institution si sacrée, que, pendant leur durée, nul ne doit fléchir les genoux pour adorer, ni troubler par le jeûne les délices spirituelles de cette fête prolongée. La même institution s’étend à chaque dimanche; car ce jour qui fait suite au samedi est devenu, par l’application du progrès évangélique, la perfection du samedi, et le jour que nous passons en fête et en allégresse (S. Hilarius, Prologus inPsalmos.). »
Ainsi donc nous retrouvons en grand dans la forme du Temps pascal le mystère que nous retrace chaque dimanche ; tout date pour nous désormais du premier jour de la semaine, parce que la résurrection du Christ l’a illuminé pour jamais de sa gloire, dont la création de la lumière matérielle n’était qu’une ombre. Nous venons de oir que cette institution était déjà ébauchée dans l’ancienne loi, bien que le peuple d’Israël n’en possédât pas le secret. La Pentecôte juive tombait le cinquantième jour après la Pâque. et ce jour était le lendemain des sept semaines. Une autre figure encore de notre Temps pascal se rencontrait dans l’une des institutions que Dieu avait données à Moïse pour son peuple, dans l’Année jubilaire. Chaque cinquantième année voyait les maisons et les champs qui avaient été aliénés pendant les quarante-neuf années précédentes retourner a leurs possesseurs, et les Israélites que la misère avait contraints de se vendre, recouvrer leur liberté. Cette année, appelée proprement l’année sabbatique, faisait suite aux sept semaines d’années qui avaient précédé, et portait ainsi l’image de notre huitième jour, dans lequel le fils de Marie ressuscité nous affranchit de l’esclavage du tombeau, et nous remet en possession de l’héritage de notre immortalité.
Les usages mystérieux dans le service divin, qui sont caractéristiques du Temps pascal dans la discipline actuelle , se réduisent à deux principaux : la répétition continuelle de l’Alléluia, dont nous avons parlé tout à l’heure, et l’emploi des couleurs blanche et rouge, selon que le demandent les deux solennités dont l’une ouvre cette période sacrée, et dont l’autre la termine. La couleur blanche est exigée par le mystère de la Résurrection, qui est le mystère de la lumière éternelle, lumière sans ombre ni tache, et qui produit dans ceux qui la contemplent le sentiment d’une inénarrable pureté et d’une béatitude ton jours croissante. La Pentecôte, qui, dès cette vie, nous donne l’Esprit-Saint avec ses feux qui embrasent, avec son amour qui consume, demandait d’être exprimée par une couleur distincte. La sainte Eglise a choisi le rouge, pour exprimer le mystère du divin Paraclet se manifestant dans les langues de feu qui descendirent sur tous ceux qui étaient renfermes dans le Cénacle. Nous avons dit plus haut qu’il ne restait que peu de traces, dans la liturgie latine, de l’antique usage de ne pas fléchir les genoux au Temps pascal.
Les têtes des Saints, qui ont été suspendues dans tout le cours de la Semaine sainte, le seront encore durant les huit premiers jours du Temps pascal; mais ensuite elles vont reparaître sur le Cycle, joyeuses et abondantes, comme de brillantes planètes autour du divin Soleil. Elles lui feront cortège dans son Ascension glorieuse ; mais telle est la grandeur du mystère de la Pentecôte, que, dès la veille de ce jour à jamais mémorable pour l’Eglise, elles demeurent encore suspendues jusqu’après l’expiration complète du Temps pascal.
Les rites de l’Eglise primitive à l’égard des néophytes qui ont été régénérés dans la nuit de Pâques, offrent encore un grand nombre de traits du plus touchant intérêt. Ce n’est pas ici le moment d’en parler; car ils ne se rapportent qu’aux deux octaves de la Pâque et de la Pentecôte.