Je parlais avant-hier de l’engagement de Mgr N’Koué pour la réforme de la réforme. Comme souvent, cet engagement va de pair avec un zèle remarquable (surtout si on compare avec le peu d’enthousiasme des épiscopats européens) pour l’application du motu proprio Sulmmorum Pontificum, dont parle également Christophe St-Placide. Mgr N’Koué a ainsi écrit à Mgr Pozzo, secrétaire de la commission Ecclesia Dei au sujet du bilan de l’application de ce motu proprio:
“Personnellement, je dois avouer que la célébration dans l’ancienne forme est une chance pour mon jeune clergé et tout le diocèse. Elle permet de valoriser davantage l’autel (prières au bas de l’autel), le silence sacré, les secrètes, la multiplicité des signes de croix et de génuflexions et même le fait qu’on soit tous tournés vers la Croix (position ad orientem). Bref, le rite tridentin nous donne l’occasion de mieux connaître et de mieux apprécier le rite dit de Paul VI.
Plusieurs de mes prêtres, sans aucune pression de ma part, ont commencé spontanément à apprendre à célébrer la messe de Saint Pie V ou plus exactement la messe du Pape Jean XXIII. Evidemment plus on insiste sur l’”ars celebrandi”, plus les deux formes s’influencent positivement. Quand les rubriques sont intériorisées, la liturgie touche les fidèles par sa beauté et sa profondeur ; et on n’a plus besoin de se quereller sur le mystère, le sacré, l’adoration, la majesté de Dieu et la participation active. Cela va de soi. En outre, le Canon Romain et les gestes liturgiques dans l’ancien rite sont plus proches de notre religiosité et sensibilité africaine. Je parle uniquement pour mon diocèse.
Mon souhait est qu’un beau jour, tout prêtre sache célébrer dans les deux formes. Ce n’est pas impossible, surtout si on les introduit dans nos Séminaires. Mais ici à Natitingou, nous ne pouvons pas appliquer l’ancien rite purement et simplement sans tenir compte de la lumière de « Sacrosanctum Concilium ». Tout est là. La forme extraordinaire ne peut pas ignorer le Concile Vatican II, tout comme la forme ordinaire ne peut pas ignorer l’ancien rite sans s’appauvrir. Il y a un équilibre à garder.”
Je note que l’évêque voit le motu proprio Summorum pontificum comme une grâce et non comme un pensum imposé par un Pape rétrograde.
Je note aussi le déséquilibre entre les deux “formes”: selon Mgr N’Koué, la forme ordinaire ne peut ignorer la forme extraordinaire, tandis que la forme extraordinaire ne peut ignorer… non pas la forme ordinaire, mais le concile Vatican II.
Enfin, je note encore que le rite romain traditionnel répond mieux aux attentes spirituelles des peuples africains – ou, du moins, de ceux du diocèse de Mgr N’Koué. Cela va tellement à l’encontre des préjugés occidentaux qu’il vaut la peine d’insister.
En appliquant à reculons “Summorum pontificum”l’Eglise de France a perdu une merveilleuse occasion de lancer la nouvelle Evangélisation
Qu’il soit permis, même si cela déplait çà et là, de ne souhaiter pour l’heure aucune “réforme de la réforme”, mais la simple application loyale de l’ordo de Paul VI dans sa lettre et dans son esprit.Y compris avec cet élément de participation à la visibilité et à la sacramentalité qu’est le fait de “voir” l’action eucharistique opérée par le ministère du prêtre. Ce qui entraîne logiquement (même si ce n’est pas strictement obligatoire) la célébration de la partie eucharistique “versus populum”. Cela va sans doute faire crier, mais il faut oser le dire. Par contre, il conviendra que tous s’effacent devant l’action sacrificielle sacrée qui s’accomplit à l’autel. Cela exige beaucoup d’ascèse de la part de tous et du célébrant en particulier. J’estime cependant que le décentrement théologal n’exige nullement la célébration ad orientem, même si celle-ci est vénérable et possible.
D’une façon générale, la dite “réforme de la réforme” introduit dans la célébration des prises de position fort subjectives au regard de l’esprit et de la lettre du Missel de Paul VI. Alors, si on a du mal avec – ce qui est possible – on s’en tient à la forme extraordinaire avec tout ce qu’elle implique. Mais on ne trafique pas – fût-ce à la marge et même dans une interprétation possible mais moins fidèle de ses textes – le Missel de Paul VI pour opérer une sorte de synthèse quasiment “praeter legem”. Par ailleurs, rappelons que le gouvernement de la liturgie appartient au Saint-Siège, et aux évêques et conférences d’évêques seulement selon le droit. Plaise à Dieu que la soit-disante “réforme de la réforme” n’engendre pas çà et là une sorte de progressisme d’un nouveau genre entièrement animé et régenté par des “tradis”. On a assez souffert de celui des années 70, on n’a pas besoin du progressisme tradi des années 2010 qui, partant des mêmes principes de libre examen privé et communautaire, arrivera au même résultat. Les prêtres qui veulent de façon stable célébrer dans leurs paroisses la prière de l’Eglise selon ses normes n’ont aucun besoin de se faire parasiter par des insatisfaits de toutes tendances ; il faut quand même savoir que de lourdes pressions agissent en tous sens paur dépacifier et désorienter l’exercice de leur ministère liturgique ; ils n’ont franchement pas besoin de cela, surtout quand ils appliquent loyalement les textes et leur interprétation la plus recevable. Alors que chacun commence à rester à sa place, y compris des évêques qui n’ont qu’un pouvoir limité en la matière. Que la participation des laïcs à la lutte contre les abus liturgiques soit nécessaire et officiellement approuvée c’est un fait. Que l’ouverture à la forme extraordinaire soit grandement facilitée au moins officiellement, c’est un grand bien pour la paix dans l’Eglise. Mais les prêtres qui célèbrent proprement avec le sens du sacré chevillé au corps – et cela est possible y compris “versus populum” – ont tout simplement le droit à ce qu’on leur fiche la paix dans l’exercice de leur ministère liturgique tant que le Saint-Siège n’a pas publié d’autres rites qui introduisent par le fait-même des changements légitimes et obligatoires. On échappera ainsi à la multiplication des rites du Père untel et le la communauté Une telle, et à la propagation des frustrations en termes de pouvoir et de reconnaissance sociale dans l’Eglise…Trop polluée actuellement, cette pseudo bonne idée de la “réforme de la réforme” n’a à mon sens et pour l’heure aucun avenir, car elle n’est habitée par aucune sagesse mais par un manque criant de maîtrise de soi. Par contre, que l’on retrouve le respect des rites et des attitudes spirituelles et profondes auxquelles ils conduisent, voilà une lourde tâche à accomplir, que ce soit dans la forme ordinaire ou extra. Pour que chacun se rappelle qu’il s’agit de la prière de l’Eglise et non pas du fruit de ses recherches ou de ses envies, et s’en nourrisse intérieurement en remplissant intégralement sa fonction ou son ministère catholique selon le droit et dans le respect de l’Eglise.
Sans doute,Christian, il n’empêche que la Messe à l’envers est la révolution qui a déboussolé la Messe de Paul VI.Ce n’est pas parce que les progressistes l’ont emporté dans les années 70,qu’il ne faut pas réagir. Si l’on n’arrive pas à redresser la barre la barque va couler avec la Messe ordinaire.
Permettez-moi de dire mon complet accord avec Christian – que du reste je ne connais pas.
A partir du moment où les rites sont célébrés dignement et avec le sens du sacré, à partir du moment où les rituels sont respectés, leur valeur iniatique est éloquente quels qu’ils soient.
La position liturgique “versus populum”, qui n’est en effet pas obligatoire dans le rituel de Paul VI – mais est privilégiée le plus souvent, y compris par le Saint Père – a une justification théologique et ecclésiale aussi puissante que la position “versus orientem”, puisqu’elle signifie sacramentellement la prévenance de Dieu lui-même dans la convocation de l’assemblée célébrante.
La multiplication des rituels eucharistiques depuis les origines chrétiennes, du reste, est un gage de la richesse de la foi, et la focalisation sur l’un d’entre eux aux dépens des autres, très certainement un appauvrissement de cette même foi.
“La multiplication des rituels eucharistiques depuis les origines chrétiennes, du reste, est un gage de la richesse de la foi”. Oui, l’abbé, à un tout petit détail près: un rite se forme par croissance organique, pas par fabrication en bureau. Quand on sait que la prière eucharistique IV a été écrite en une nuit “di lavoro quasi forzato” (dixit A. Bugnini) et que la II, la supposément antichissima prière d’Hippolyte de Rome, a été remaniée par dom Botte et le P. Bouyer sur une table de bistrot pendant une pause déjeuner… A moins que ce ne soit là le retour à “la table du Seigneur”?
Si tant est que cette prière ait réellement été écrite en une nuit (ce dont je doute un peu), c’est bien que ce travail de mise sur le papier n’était que l’aboutissement d’un processus beaucoup plus long de maturation dans un cadre bien précis. En ce sens, cette “nouvelle” prière eucharistique n’est probablement pas aussi révolutionnaire que vous voulez bien le dire…
Pour les modernistes le renversement de l’autel était nécessaire, un symbole, l’on tournait le dos à la lumière et le reste a suivi,le Christ et son tabernacle au rencart,plus d’agenouilloir,plus de confessionnaux etc.
Je suppose que Christian et Benoît sont prêtres, j’aurais bien voulu être moine mais je sentais bien que j’en étais incapable. Dans les années 40 des amis prêtres devenaient ouvriers,je les y encourageais,_ils sont devenus marxistes,ils voulait convertir le monde et c’est le monde qui les a convertis.
J’ai quitté l’Eglise en laquelle je ne croyais plus.L’Eglise non, l’Evangile oui.
Depuis le Seigneur a eu pitié de moi et m’a converti en 93, ” à “la Vraie Vie en Dieu” écartée par les “tradis” et les modernes mais j’y ai retrouvé le Dieu de ma jeunesse, la joie de la contemplation, je suis retourné à la messe quotidienne,comme avant, je me présente à la communion à genoux,la bouche ouverte,certains prêtres me refusent la “Nourriture”,mon Evêque et mon curé,vicaire Episcopal,refusent de me recevoir;comment participer à la nouvelle évangelisation?
Je termine par cette phrase du cardinal Ratzinger dans l’Esprit de la Liturgie,p.68:
“La position du prêtre,tournée vers le peuple a fait de l’assemblée priante une communauté refermée sur elle-même”
Yves, il n’y a guère de raison de douter que la prex IV ait été écrite en une nuit: Mgr Bugnini l’atteste dans ses mémoires et Mgr Jounel a donné un témoignage dans le même sens dans La Maison Dieu. Les deux références sont faciles à retrouver si cela vous intéresse. Quant au fait que cela aurait été le produit d’une longue maturation, oh oui… une maturation d’environ deux mois. En février 1967, le Groupe 9 du Consilium s’était réuni à Orselina, près de Lugano, pour fabriquer de nouvelles prières eucharistiques, sur la base de celles d’une dizaine de confessions protestantes, anglicanes et vieilles-catholiques. Comme l’un d’entre elles a été rejetée à la plénière du Consilium d’avril 1967, il a fallu en catastrophe en composer une autre. en une nuit. C’est au cours de cette même session d’avril 1967 que dom Botte et le P. Bouyer ont remanié dans un bistrot du Transtévère la prex II, supposément d’Hyppolite de Rome. Elle date donc d’avril 1967, ce qui est effectivement beaucoup plus ancien que le canon romain.
Le rite dit “traditionnel” et son coté “mystérieux” n’ont de toute évidence plus satisfait la majorité (dont vous ne faites pas partie) en occident. Alors, réjouissez vous d’avoir en Afrique un nouveau “marché” prometteur! Le folkore aussi permet de belle évocations du passé .. et méritera bientôt le voyage.
Restera ce qui mérite de rester
Michael, votre raisonnement me semble bien a prioriste. Vous ne comptez que les gens qui sont (restés) dans les églises. Parlez un peu avec le sacristain de ma paroisse (pour ne prendre que cet exemple): il vous dira combien de dizaines de personnes qu’il connaît sont parties au moment de l’aggiornamento et seraient heureuses de revenir si la “forme extraordinaire” leur était de nouveau proposée.
Ceci rejoint les sondages menés par Paix Liturgiques dans plusieurs pays: on constate qu’un pourcentage non négligeable de catholiques non pratiquants recommenceraient à pratiquer dans la “forme extraordinaire” si elle était disponible dans leur paroisse. Par ailleurs, une constante de ces sondages est de montrer qu’au moins 1/3 des pratiquants désirent avoir accès à cette forme liturgique. En d’autres termes, pour avoir une demande il faut d’abord proposer une offre. C’est cela que vous oubliez de prendre en compte.
Restera ce qui mérite de rester! Les regrets et la nostalgie du passé ne mènent à rien.