La pression monte aux Pays-Bas pour faire entrer dans les mœurs l’euthanasie sur des patients en phase précoce de démence. Selon les agences de presse, le tout dernier rapport de la commission de surveillance de l’euthanasie, portant sur l’année 2010. révèle à la fois une progression des euthanasies « sèches » par rapport à l’année précédente (2.700 contre 2.500 en 2009 et une nette progression de ces mises à mort pratiquées sur des personnes par ailleurs en bonne santé qui ne veulent pas subir les affres d’Alzheimer, Parkinson et autres maladies neuro-dégénératives : en 2010, on a dénombré 21 cas, tous approuvés par la commission comme répondant aux critères très « stricts » de la loi…
Quand je dis euthanasies « sèches », je veux décrire les mises à morts qui constituent évidemment et directement une euthanasie – administration d’un produit létal en vue de tuer –, dont le nombre augmente donc alors même que les médecins ont de plus en plus souvent recours à la « sédation palliative », acte plus ambigu qui peut constituer une forme d’euthanasie plus sournoise dès lors qu’il a pour objectif la mort de la personne concernée.
En attendent de pouvoir vous présenter le rapport lui-même, il me paraît encore plus intéressant d’en souligner le traitement par les médias néerlandais. Le cas des euthanasies sur les personnes en voie de devenir démentes a été ouvertement traité cette année alors que l’an dernier il n’en était guère question dans la presse, tout simplement, sans doute, parce que la commission de surveillance de l’euthanasie ne l’avait pas mis en avant dans son communiqué ou dans son résumé à l’intention de la presse. Personne n’avait pris la peine d’aller fouiller dans les recoins du rapport lui-même, où les choses étaient pourtant clairement dites, comme je le signalais ici.
La presse en parle, donc, et l’on notera pour le méditer le commentaire que fait en passant une agence de presse en ligne, Nieuwsbank, pour évoquer la chose : « L’euthanasie est également possible en cas de démence. L’euthanasie en cas de démence est toujours davantage à l’ordre du jour. La génération actuelle du baby-boom va s’opposer de plus en plus à un avenir dans une institution de soins. » Le message est à peine subliminal : ce sont les cohortes de personnes qui s’apprêtent à se masser en haut de la pyramide des âges qui sont visées. Et qui, surtout, vont devoir apprendre à désirer leur propre mort…
C’est ce soir que l’émission d’informations « Nieuwsuur », diffusée par NOS, a consacré un de ses thèmes principaux – plusieurs dizaines de minutes d’antenne – à l’euthanasie, en juillet 2010, d’une femme de 63 ans en phase débutante de la maladie d’Alzheimer. Il faut savoir que la NOS est la chaîne officielle néerlandaise chargée de diffuser les informations d’Etat, les autres émetteurs historiques étant pour leur part engagés sur le plan politique ou religieux et subventionnés à raison du nombre de leurs adhérents au nom du pluralisme. NOS apparaît donc sinon comme neutre (encore que ce soit ça, l’idée), au moins comme représentant le point de vue agréé par les pouvoirs publics.
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En l’occurrence « Nieuwsuur » s’est longuement intéressé au cas de Guusje de Koning, aux prises avec des pertes de mémoire qui la gênent chaque fois un peu plus dans la vie de tous les jours. Cette femme alerte – une Brabançonne de 63 ans, en pleine forme, mariée, deux enfants – refuse l’idée de devoir terminer ses jours dans une institution et de souffrir comme l’a fait naguère son propre père, atteint lui aussi d’Alzheimer. Alors, elle demande l’euthanasie, et obtient le droit de se faire mettre à mort. Quatre jours avant la date fatidique – le rendez-vous est pris, il n’y a plus qu’à attendre – son mari filme sa dernière conversation avec ses deux enfants. Elle explique : « Je ne veux pas souffrir. » « Je ne veux pas voir toutes mes facultés diminuer. » « Continuer comme ça, vous ne trouvez pas que c’est absurde ? » « La foi catholique, ça fait longtemps que je ne l’ai plus. Je ne crois pas que quelqu’un va me punir pour ce que je m’apprête à faire. »
Elle explique ensuite, dépitée, comment il lui arrive de somnoler, 10 minutes, la tête entre les mains, sans savoir ce qu’elle fait accoudée à sa table. Insupportable ? Et comment, « trichant » pour aller tout de même seule à son cours de yoga, elle en vient parfois à se perdre tout près de la salle de sports. Trop la honte ?
Et on s’incline, bien sûr, devant son courage et son sens des réalités…
La campagne de presse commencée ce soir vise à montrer que selon la loi, Guusje de Koning a eu ce à quoi elle avait droit. Il suffit, répètent des partisans de l’euthanasie, que les « perspectives du patient soient sans espoir » – un point de vue subjectif, donc – pour qu’ils puissent en bénéficier, aucun des critères de la loi ne portant sur la présence d’une maladie mortelle ou d’une phase terminale. Les personnes en voie de devenir démentes ont même, comprend-on, tout intérêt à agir vite, puisque leur capacité d’exprimer leur volonté de manière cohérente et sans contrainte est ce qui compte. Aucun testament de vie, aucune disposition écrite préalable ne peut permettre à une personne déjà démente d’obtenir l’euthanasie. Il faut donc penser à se faire éliminer à temps.
Mais si 95 % des Néerlandais approuvent désormais l’euthanasie, selon certains sondages, seuls 33 % des médecins seraient au courant de cette « ouverture de la loi » et disposés à fournir dans ce cas la dose létale demandée.
On chercherait à pousser vers la sortie des personnes qui, demain, risqueraient de coûter fort cher à la société, on ne s’y prendrait pas autrement. Non sans avoir rendu d’abord l’idée désirable…