Comme je le disais ce matin, je n’ai pas eu le temps de vérifier les affirmations de Messainlatino concernant les informations nouvelles touchant l’instruction d’application du motu proprio. Un ami bien introduit a pu le faire et me fait parvenir ce texte qui confirme à la fois les propos de Messainlatino et donne des explications sur les implications futures.
Rome garde très jalousement ses secrets, mais Rome est aussi, plus que jamais, une maison de verre : on ne sait théoriquement rien de ce qui se passe dans les bureaux des dicastères, mais en fait on connaît presque tout. Ce qui fait que tout bouge et tout peut bouger tout le temps. Est-ce le cas pour l’Instruction pour l’application de Summorum Pontificum ?
Il faut savoir aussi qu’en droit canonique une Instruction est un texte (approuvé parfois par le Pape, comme celui-ci) explicitant les dispositions d’une loi, qui s’adresse à ceux qui doivent veiller sur son application (canon 34). Autrement dit, le paradoxe de ce texte-là est qu’il est préparé par la Commission Ecclesia Dei, essentiellement pour son propre usage, puisque c’est elle qui est chargée de veiller sur le Motu Proprio.
En raison de la matière, cette préparation se fait sous haute surveillance : celle des adversaires à divers degrés du Motu Proprio (y compris dans sa propre maison, le Saint-Office) ; et aussi celle des usagers, en premier lieu, ce qu’il est convenu d’appeler désormais le Tradiland, dont les réactions se répondent et se démultiplient d’un bout à l’autre de la planète presque instantanément. Une « prise de parole » des laïcs, voulue par le Concile, mais qui est pour le coup assez redoutable, et que certains clercs ont beaucoup de mal à supporter.
Nous ne revenons pas ici sur les informations successives données sur ce blogue, ni sur celles du blogue italien particulièrement bien renseigné Messa in latino. A cette heure, les rumeurs divergent sur le fait que le Pape a ou non déjà donné son approbation, ce qui, à la limite, n’est pas très important, car on sait qu’il attend les toutes dernières retouches (surtout celles qu’il demande lui-même) pour donner sa signature, et on sait aussi qu’un texte déjà approuvé peut encore être modifié.
Au total, il est avéré qu’un projet interprétant très largement le Motu Proprio, examiné par les instances de la Congrégation pour la Doctrine de la foi à la fin de 2010, a été envoyé à une partielle refonte, parce que trop favorable. C’est au cours de ce processus (vers la fin du processus), que l’alerte a été donnée dans le monde anglo-saxon (le site Rorate Caeli), et tambourinée sur tous les continents, et surtout dans ce Sixième Continent qu’est la Curie romaine. Il n’est pas impossible que la pression Internet ait d’ailleurs aidé les réviseurs (l’ont-ils favorisée ?) à revenir sur une ligne d’interprétation plus favorable.
Malheureusement, deux points très négatifs, imposés lors du passage devant la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et connus dès l’origine, n’ont pas (pratiquement pas) bougé :
– Les rits latins non romains resteraient exclus du Motu Proprio. Cela touche essentiellement le très important rit ambrosien, qui concerne en fait l’Italie traditionaliste la plus « militante ». La Commission Ecclesia Dei, si la mesure se maintenait, reviendrait sur sa propre jurisprudence, car elle avait expressément statué en sens inverse. C’est l’archevêque de Milan qui aurait ainsi à élaborer et à faire appliquer son propre Motu Proprio ! Mais par une espèce de tour de passe-passe juridico-liturgique, les « usages religieux », autrement dit le rit dominicain, chartreux, etc., resteraient quant à eux soumis au Motu Proprio. Mais les supérieurs religieux pourraient tout de même… Comprenne qui pourra. Et chacun fera ce qu’il voudra, comme d’habitude.
– Plus gravement, l’ordination resterait pour l’instant exclue du champ du Motu Proprio. Cela veut dire que si un séminariste diocésain (ou assimilé : le candidat d’un Institut « extraordinaire » de droit diocésain) demandait à être ordonné selon la forme extraordinaire, l’évêque diocésain devrait désormais solliciter la permission à la Commission Ecclesia Dei. Le motif : la suppression par Paul VI (une des plus désastreuses de la réforme liturgique) des ordres mineurs et du sous-diaconat, remplacé par de simples « ministères ». Si cette disposition était maintenue, elle serait considérée, en France notamment, où le nombre des séminaristes diocésains de tendance traditionnelle est en croissance continue, comme un signe très négatif.
Sans entrer ici dans les détails, pas encore connus et surtout toujours modifiables, cette disposition défierait le bon sens (et l’ecclésiologie de Vatican II !) : le curé sera ainsi traité plus favorablement que l’évêque, puisqu’il pourrait répondre sans problème à la demande d’un groupe « extraordinaire », alors que l’évêque diocésain, sollicité par des séminaristes « extraordinaires », devrait quant à lui demander la permission à une commission romaine. Ou bien renvoyer les vocations diocésaines à un Institut Ecclesia Dei. Ou bien les renvoyer à la vie civile…
Mais la restriction serait surtout incohérente du point de vue théologique : tous les sacrements, comme dit saint Thomas, sont « ordonnés » à l’eucharistie, « soleil des sacrements », et particulièrement l’ordre ; si donc la messe extraordinaire a « droit de Cité », l’ordination extraordinaire ne peut qu’avoir le même statut.
Les « milieux bien informés » disent qu’on préparerait déjà les traductions de l’Instruction, ce qui une manière de faire passer le message : « Tout est désormais bouclé, passez votre chemin ! » Mais les plus novices des vaticanistes savent que, même à ce stade, des modifications peuvent encore intervenir. L’important est donc la date de publication de l’Instruction : peut-être datée du 22 février, elle aurait pu être publiée début mars, puis publiée vers le 20 mars, mais elle semble à ce jour programmée pour début avril. A moins que…