Mgr Matthieu Rougé , évêque de Nanterre, qui fut secrétaire du cardinal Jean-Marie Lustiger, a été interrogé dans Le Point suite au décès du cardinal Vingt-Trois. Extraits :
Le cardinal Vingt-Trois était un homme profondément dévoué à sa mission, enraciné dans la méditation des Écritures, attentif au fond des choses et pas à leur écorce. C’était un homme d’écoute et de discernement sans concession à l’égard des modes et de la mondanité.
Que retenez-vous du prélat, comme archevêque de Paris et président de la CEF ?
Je n’oublie pas ma première rencontre avec le père Vingt-Trois. Il achevait sa mission de secrétaire particulier du cardinal Lustiger pour prendre notamment la responsabilité du service diocésain des vocations. C’est à lui que je me suis présenté pour la première fois – j’étais en terminale – afin d’exprimer mon désir de devenir prêtre. Je le revois encore – c’était en février 1983 – dans un petit bureau d’accueil au deuxième étage de l’archevêché. J’ai aimé sa liberté de ton et sa façon de me prendre au sérieux. Ce sérieux et cette liberté de ton ont caractérisé son rapport avec la société française : il parlait et agissait posément, sans concession ni outrance. Une de ses formules continue de faire mouche : face aux tentations de transgressions éthiques dans notre société, il ne s’agit pas nécessairement pour les catholiques de « manifester » mais bel et bien toujours de « se manifester ».
Pouvez-vous nous rappeler son parcours ?
Il est entré au séminaire en quelque sorte tout simplement dans la foulée de ses études au lycée Henri IV. Le cardinal Marty, prédécesseur du cardinal Lustiger, et Mgr Pézeril, évêque auxiliaire, ont remarqué ses qualités d’intelligence et de service. Il a ensuite enchaîné les missions, à la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal, au séminaire d’Issy-les-Moulineaux, puis au service de l’ensemble du diocèse de Paris comme vicaire général et évêque auxiliaire, avant de devenir archevêque de Tours puis archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France. Interrogé sur son parcours, je suis sûr que le cardinal Vingt-Trois aurait répondu comme dans l’Évangile : « Je suis un serviteur inutile, je n’ai fait que mon devoir. »
Quel est le souvenir le plus marquant que vous avez de lui ?
Ce qui m’a marqué chez Mgr Vingt-Trois, c’est moins tel ou tel événement particulier, que, de manière globale, ce recul, cette distance spirituelle, cette profondeur pudique qui lui permettaient de persévérer dans sa mission en dépit de toutes les bourrasques. Je garde aussi un fort souvenir de notre collaboration régulière et confiante pour ajuster la parole publique de l’Église au moment des débats de bioéthique dans les années 2010. Enfin, j’ai été très touché de la simplicité avec laquelle il s’est glissé au milieu des prêtres âgés de la maison de retraite des diocèses de la région parisienne. Je l’y retrouvais régulièrement en allant rendre visite aux prêtres de mon diocèse de Nanterre, simple et priant.
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Qu’a-t-il apporté au catholicisme parisien ?
Il me semble qu’il a renforcé ce que, depuis le pape François, on appelle la « transformation missionnaire » du diocèse de Paris. Je me rappelle en particulier sur ce point son discours programme au terme d’une assemblée diocésaine à Notre-Dame de Paris, invitant à enrichir notre pastorale de l’accueil par une pastorale plus intense de l’invitation. Ce que nous vivons aujourd’hui avec l’afflux des catéchumènes s’inscrit notamment dans ce sillage. Le cardinal d’ailleurs sortait de sa réserve habituelle, c’était très touchant, le jour de « l’appel décisif » des catéchumènes au début du Carême, tant il était heureux de manifester à chacun la sollicitude du Seigneur et de l’Église. […]