La distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction appparaît à la fin du XIIe siècle et se déploie jusqu’au concile Vatican II en Occident. Le concile Vatican II n’utilise plus cette distinction.
A contrario, pour justifier le bien-fondé des sacres par Mgr Lefebvre, les théologiens de la FSSPX, comme l’abbé Gleize, insistent sur la différence de nature, dans l’épiscopat, entre le pouvoir d’ordre (transmis par les rites sacrés de la consécration) et le pouvoir de juridiction (transmis par l’injonction du Souverain Pontife). Il affirme une « parfaite séparabilité » de ces deux pouvoirs. Le schisme consisterait seulement à vouloir transmettre (comme les évêques chinois dans les années cinquante) le pouvoir de juridiction sans l’accord du pape. La pure transmission du pouvoir d’ordre constituerait au maximum une désobéissance, et elle serait justifiée dans certains cas de nécessité.
Pourquoi évoquer ce sujet aujourd’hui ? Parce que, selon Sandro Magister, dans les réunions de pré-conclave, les cardinaux ont discuté pour savoir s’il fallait poursuivre ou non les processus entamés par le Pape François concernant le gouvernement de l’Église. Le pape Léon XIV a donné un premier signal de continuité en nommant, le 22 mai, une femme comme secrétaire du Dicastère pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, ce même dicastère à la tête duquel le Pape François avait installé une autre sœur comme préfète le 6 janvier dernier, Simona Brambilla, toutefois flanquée d’un cardinal-gardien, l’espagnol Ángel Fernández Artime, affublé du titre anormal de pro-préfet.
La nomination de la part de Léon XIV d’une simple baptisée à une fonction-clé de la Curie romaine a été accueillie par les médias comme un pas supplémentaire vers la modernisation du gouvernement de l’Église. Le cardinal Stella a mis le feu aux poudres aux réunions de pré-conclave, avec une intervention qui a fait grand bruit par la sévérité des critiques adressées au Pape François. Le cardinal Stella a non seulement contesté l’absolutisme monarchique avec lequel François avait gouverné l’Église, en violant systématiquement les droits fondamentaux de la personne et en modifiant selon son beau plaisir et de manière désordonnée les normes du droit canon. Mais il lui a également reproché d’avoir voulu séparer les pouvoirs d’ordre, c’est-à-dire ceux qui découlent du sacrement de l’ordination épiscopale, des pouvoir de juridiction, c’est-à-dire ceux qui sont conférés par une autorité supérieure, en optant pour les seconds afin de pouvoir nommer également de simples baptisés, hommes et femmes, à la tête de fonctions-clés de la Curie vaticane et donc du gouvernement de l’Église universelle, sur simple mandat du pape.
En réalité, cette façon de faire, bien loin d’être un signe de modernisation constituait, au jugement du cardinal Stella et de nombreux experts en droit canon, un retour en arrière à une pratique discutable typique du Moyen-Âge et des Temps modernes, où il était fréquent qu’un pape confère à des abbesses des pouvoirs de gouvernement pareils à ceux d’un évêque, ou confie la charge d’un diocèse à un cardinal qui n’avait été ordonné ni évêque ni prêtre. En remontant un peu plus loin dans le temps, ces formes de transmission du pouvoir déconnectées du sacrement de l’ordre étaient totalement inconnues au premier millénaire. Et c’est précisément à cette tradition des origines que le Concile Vatican II a voulu revenir, dans la constitution dogmatique sur l’Église « Lumen gentium », en reprenant conscience de la nature sacramentelle, avant d’être juridictionnelle, de l’épiscopat et des pouvoir qui y son liés, non seulement ceux de sanctifier et d’enseigner, mais également celui de gouverner. Lors du Concile, 300 Pères sur environ 3000 ont voté contre cette réforme.
Avec la nomination de sœur Merletti comme secrétaire du Dicastère pour les religieux, le Pape Léon, pourtant compétent en droit canon, a montré qu’il ne voulait pas se détacher, sur cette question controversée, de l’option adoptée par son prédécesseur.
Ce qui est étonnant, c’est que la FSSPX critique aussi cette nomination, qui marque, selon elle, une banalisation des nominations de femmes à des postes de responsabilité au sein de la Curie romaine, banalisation qui réjouira les progressistes, mais qui attristera et inquiétera ceux qui de solides notions théologiques et ecclésiologiques, et qui discernent un chemin vers une voie sans issue et catastrophique pour l’unité de l’Eglise.
La constitution apostolique Praedicate Evangelium, promulguée le 19 mars 2022, destinée à réformer la Curie romaine, prévoit la nomination de laïcs à la tête de dicastères, séparant de facto la juridiction du sacrement de l’Ordre. En critiquant cette constitution, la FSSPX scie la branche sur laquelle elle a construit son argumentation…