De passage en France pour promouvoir son nouvel ouvrage « Comment retrouver le goût de Dieu dans un monde qui l’a chassé », l’écrivain et journaliste américain Rod Dreher était à l’abbaye Sainte-Marie de La Garde, en construction, près d’Agen. Il raconte sur son blogue :
[…] Arrivé à la messe ce matin, j’ai trouvé la chapelle absolument bondée et les fidèles débordant dans le hall attenant. Je ne voulais pas être impoli, mais j’aurais pu rester longtemps à regarder leurs visages. La douceur de ces gens de la campagne, la piété douce mais intense. J’ai pensé à ce jeune homme, François, que j’avais rencontré à Paris. Il m’a dit qu’il s’était converti au christianisme (à partir de rien) après avoir écouté les conférences de Jordan Peterson sur la Bible. Il entrera bientôt au séminaire, pour la Fraternité traditionaliste Saint-Pierre. « J’espère qu’un jour la Providence me permettra de remercier Jordan Peterson pour ce qu’il m’a donné », a déclaré François. Eh bien, lui ai-je dit, la Providence t’a rendu visite ce matin ; je connais Jordan et je serais heureux d’enregistrer un message de ta part et de le lui envoyer. J’ai cru qu’il allait s’évanouir, mais il s’est repris et m’a permis de filmer un message qui aurait pu être prononcé par le cher ecclésiastique dans la version cinématographique de Bresson du Journal d’un curé de campagne. […]
La messe de ce matin était, bien sûr, la messe tridentine, avec le chant grégorien. Lorsque les moines ont chanté le Kyrie, j’ai fermé les yeux et je l’ai laissé couler dans mon cœur. Ces paroles saintes étaient comme un aigle qui survolait les collines et les vallées de mon cœur. J’ai pu suivre l’office avec un missel anglais-latin. J’ai été surpris de découvrir que le TLM [Traditional Latin Mass] utilise les Psaumes autant que nous le faisons dans l’Église orthodoxe. Un prêtre traditionnel que j’ai rencontré lors de ce voyage m’a demandé si j’avais déjà assisté au TLM aux États-Unis, lorsque j’étais catholique. J’ai répondu par l’affirmative, mais j’ai été découragé en partie par la colère et la rigidité palpables des congrégations. Ils semblaient très en colère contre l’Église, et j’y ai vu une tentation pour moi, car à l’époque, je luttais aussi contre la colère. Une catholique très conservatrice (mais pas tradi, comme on les appelle ici) qui sympathise avec les tradis est intervenue pour dire qu’elle avait vu la même chose dans certaines paroisses TLM ici en France.
Eh bien, il n’y avait pas du tout cet esprit dans ce monastère aujourd’hui. L’assemblée était composée de jeunes avec de jeunes enfants, de personnes d’âge moyen et de personnes âgées. En priant avec ces frères et sœurs catholiques dans le Christ, j’ai ressenti intensément pourquoi des gens comme eux aiment l’ancienne messe, et j’ai senti monter en moi une vague de colère et de tristesse face au fait que les tradis sont tellement persécutés par leur propre Église et par le Pape. D’un autre côté, je suppose que les rénovateurs de la génération Vatican II comprennent bien la menace que cette messe représente pour leur utopie progressiste. Je soupçonne que tout jeune catholique qui fait l’expérience du type de transcendance et de solennité de la messe grégorienne célébrée ce matin au sommet de cette colline aurait beaucoup de mal à revenir aux affaires courantes. Dans mon livre, j’explique qu’on ne peut pas forcer l’enchantement, que le mieux que nous puissions faire est de nous préparer pour que, lorsqu’une comète traverse le ciel (c’est-à-dire lorsque Dieu nous donne un signe de sa présence), nous puissions la reconnaître et y réagir. Croyez-moi, une comète a traversé le sommet de la colline ce matin, et je suis convaincu que tous ceux qui ont célébré le culte ce matin sont repartis mieux préparés à percevoir la présence de Dieu dans leur propre monde au cours de la semaine à venir.
La lecture de l’Évangile d’aujourd’hui était le récit de la Transfiguration par saint Matthieu. Quelle illustration parfaite de ce que j’entends par enchantement chrétien ! Au sommet du mont Thabor, Pierre, Jacques et Jean ont vu Notre Seigneur entouré de lumière et accompagné de Moïse et d’Élie. C’est-à-dire qu’ils ont observé de leurs yeux la pleine vérité de la réalité. Être enchanté en tant que chrétien, c’est donc vivre dans la conscience que le monde entier est, d’une certaine manière, un Thabor, si nous étions capables de le voir tel qu’il est réellement – et d’agir à partir de cette conscience. J’ai pensé au pèlerin Dante demandant à Béatrice, au cours du voyage, pourquoi il ne peut pas la voir dans la plénitude de sa gloire. Elle l’avertit que si elle se révélait à lui dans cet état, il ne pourrait pas supporter la lumière. Dans l’orthodoxie, nous croyons que plus notre cœur est pur, plus nous sommes capables de percevoir la présence de Dieu. Donc, si vous voulez faire l’expérience de l’enchantement chrétien, purifiez-vous. Facile à dire, difficile à faire. Croyez-moi, j’ai prié ce matin au sujet de mes propres luttes avec mon cœur pécheur. Le Carême est un moment privilégié pour cela, n’est-ce pas ?
Plus tôt, lorsque j’ai parlé au Père Abbé du rôle des monastères traditionalistes dans l’Église catholique d’aujourd’hui en France, il a parlé avec une véritable charité de la façon dont il essaie de construire des ponts de fraternité avec tous les catholiques. Cela m’a impressionné, car parfois les tradis que je connais sont manifestement méprisants à l’égard de leurs frères du Novus Ordo (encore une fois, c’est l’une des grandes choses qui m’ont empêché de devenir un pratiquant du TLM à l’époque où j’étais catholique). Quelle bénédiction ce fut d’écouter l’abbé parler d’un lieu de grand amour. Une bénédiction et un exemple. […]