Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, a été longuement interrogé dans La Croix. Extrait :
[…] Mon expérience personnelle, c’est qu’en France, curieusement, la parole de l’Église reste attendue sur beaucoup de sujets. Si on choisit bien le moment et la manière d’intervenir, notre parole est généralement reçue avec intérêt, voire avec reconnaissance. Mais cela ne veut pas dire qu’elle est forcément obéie – ce n’est pas l’Église qui fait la loi en France –, ni qu’elle est entendue par tout le monde.
L’humanité, en tout cas occidentale, fait de mauvais choix depuis longtemps et cela m’inquiète. Je n’ai aucun goût pour le pire, mais je ne crois pas que nous allions vers un monde plus juste, vrai, fraternel, et qui réjouisse le Créateur. Cela dit, l’Ancien Testament nous montre comment l’humanité ne cesse de résister à Dieu, et ça n’empêche pas Dieu d’essayer de la sauver.
Comment réagissez-vous face à la polarisation croissante de la société, dont les catholiques ne sont pas exempts ?
« Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes », dit saint Paul (Philippiens 2, 3). Cet appel m’impressionne beaucoup ; il me juge par certains côtés. Je crois vraiment que l’attitude de fond du chrétien doit être d’admirer le travail de la grâce chez les autres, qui suscite des expériences, des engagements, des manières de comprendre différentes. Je considère que c’est mon rôle d’évêque d’encourager cela.
Dans une France de plus en plus sécularisée, quelle est la mission de l’Église et des catholiques ?
Le cardinal Lustiger l’avait magnifiquement expliqué ici à Reims, au moment de l’anniversaire du baptême de Clovis : la caractéristique de la France n’est pas qu’elle aurait été une société parfaitement catholique, c’est qu’elle a engendré des saints. Pour moi, c’est ça la mission de l’Église. On rencontre des gens qui vivent une très grande générosité et sont saints à bien des égards, souvent sans le savoir. C’est ce que le pape François appelle « la classe moyenne de la sainteté ». Si cela a un effet social, tant mieux, et tant mieux pour l’humanité.
Dans l’avenir, l’Église en France, très minoritaire, doit-elle se penser comme une contre-culture ou une ressource dans la société ?
Je n’aime pas beaucoup l’idée d’une contre-culture. Nous, catholiques, sommes consubstantiels à l’histoire de France dans les périodes de grande ferveur et celles de refus de Dieu, c’est à la fois une croix et une ressource. Je porte assez fortement l’idée que l’âme française est catholique. Nous ne pouvons donc pas nous vivre comme une minorité comme les autres. Le catholicisme possède d’immenses ressources spirituelles pour vivre dans l’espérance les grands défis à venir, en particulier celui du changement climatique et les bouleversements qu’il peut entraîner.
À quoi va ressembler l’Église de demain en France, avec moins de prêtres ?
Ce qui est certain, c’est qu’elle vivra toujours de la parole de Dieu, de l’Eucharistie et, j’espère, du sacrement du pardon. Avec moins de prêtres, ce qui ne veut pas forcément dire moins de ferveur ni d’engagement, bien au contraire. Je suis toujours impressionné par la capacité d’intériorité des jeunes catholiques français. J’espère en un catholicisme qui cultive cette intériorité, et qui soit vécu comme une singularité plutôt que comme un conformisme social.
Quelle forme institutionnelle cela prendra-t-il ? Je n’en sais rien. Dans le diocèse de Reims, j’ai essayé de mettre en place un dispositif pastoral correspondant à nos forces actuelles et prévisibles, qui puisse tenir pendant quinze ou vingt ans. La suite appartient à Dieu qui agit.
Voyez-vous des signes de renouveau du catholicisme français ?
Les catéchumènes sont un signe certain d’espérance. Nous verrons comment ils transforment nos communautés. Leur nombre croissant ne se traduit pas encore par des engagements dans la vie religieuse ou dans le sacerdoce ministériel. Or, il n’y a jamais de christianisme sans des formes de radicalité, au sens d’un don total de soi. Qui seront les nouveaux saint François d’Assise, sainte Claire ou saint Benoît de demain ?