Voici le discours du pape aux journaliste set communicateurs (?), samedi dernier :
Chers frères et sœurs, bonjour !
Je vous remercie tous d’être venus si nombreux et de tant de pays différents, de loin et de près. Je suis heureux de vous voir tous ici. Je remercie les invités qui se sont exprimés avant moi – Maria Ressa, Colum McCann et Mario Calabresi – et je remercie le maestro Uto Ughi pour le don de la musique, qui est un moyen de communication et d’espérance.
Notre rencontre est le premier grand événement de l’Année Sainte consacrée à un « monde vital », le monde de la communication. Le Jubilé est célébré à un moment difficile de l’histoire de l’humanité, alors que le monde est encore blessé par les guerres et la violence, par l’effusion du sang de nombreux innocent. C’est pourquoi je tiens tout d’abord à remercier tous les professionnels de la communication qui risquent leur vie pour rechercher la vérité et dénoncer les horreurs de la guerre. Je souhaite me souvenir dans la prière de tous ceux qui ont sacrifié leur vie au cours de l’année écoulée, l’une des plus meurtrières pour les journalistes. Prions en silence pour vos collègues qui ont signé leur reportage avec leur propre sang.
Je veux aussi me souvenir avec vous de tous ceux qui sont emprisonnés simplement pour avoir été fidèles à la profession de journaliste, de photographe, de vidéaste, pour avoir voulu aller voir de leurs propres yeux et pour avoir essayé de rapporter ce qu’ils ont vu. Ils sont nombreux ! Mais en cette Année Sainte, en ce jubilé du monde de la communication, je demande aux gouvernants de faire en sorte que tous les journalistes injustement emprisonnés soient libérés. Qu’une « porte » leur soit également ouverte, par laquelle ils puissent retrouver la liberté, car la liberté des journalistes accroît notre liberté à tous. Leur liberté est la liberté de chacun d’entre nous.
Je demande – comme je l’ai fait à maintes reprises et comme l’ont fait mes prédécesseurs avant moi – que la liberté de la presse et la liberté d’exprimer ses pensées soient défendues et protégées, de même que le droit fondamental d’être informé. Une information libre, responsable et correcte est un patrimoine de connaissances, d’expériences et de vertus qui doit être préservé et promu. Sans cela, nous risquons de ne plus distinguer la vérité du mensonge ; sans cela, nous nous exposons à des préjugés et à des polarisations croissantes qui détruisent les liens de la coexistence civile et empêchent de reconstruire la fraternité.
Le métier de journaliste est plus qu’une profession. C’est une vocation et une mission. Vous, les communicateurs, avez un rôle fondamental à jouer dans la société d’aujourd’hui, en racontant les faits et en les racontant de la manière dont vous les racontez. Nous le savons : le langage, l’attitude, le ton peuvent être décisifs et faire la différence entre une communication qui ravive l’espérance, construit des ponts, ouvre des portes, et une communication qui, au contraire, accroît les divisions, les polarisations, les simplifications de la réalité.
Votre responsabilité est particulière. Votre tâche est précieuse. Vos outils de travail sont les mots et les images. Mais avant eux, l’étude et la réflexion, la capacité de voir et d’écouter ; de vous mettre du côté de ceux qui sont marginalisés, de ceux qui ne sont ni vus ni entendus, et aussi de raviver – dans le cœur de ceux qui vous lisent, vous écoutent, vous regardent – le sens du bien et du mal et la nostalgie du bien que vous racontez et dont, en le racontant, vous êtes les témoins.
Je voudrais, au cours de cette rencontre spéciale, approfondir le dialogue avec vous. Et je suis heureux de pouvoir le faire en commençant par les réflexions et les questions que deux de vos collègues ont partagées tout à l’heure.
Maria, tu as parlé de l’importance du courage pour initier le changement que l’histoire exige de nous, le changement nécessaire pour vaincre le mensonge et la haine. C’est vrai, il faut du courage pour amorcer le changement. Le mot courage vient du latin cor, cor habeo, qui signifie « avoir du cœur ». C’est cet élan intérieur, cette force qui vient du cœur, qui nous permet d’affronter les difficultés et les défis sans être submergés par la peur.
Avec le mot courage, nous pouvons résumer toutes les réflexions des Journées mondiales de la communication de ces dernières années, jusqu’au Message d’hier : écouter avec le cœur, parler avec le cœur, chérir la sagesse du cœur, partager l’espérance du cœur. Ces dernières années, c’est donc le cœur qui m’a dicté la ligne directrice de notre réflexion sur la communication. Je voudrais donc ajouter à mon appel à la libération des journalistes un autre « appel » qui nous concerne tous : celui de la « libération » de la force intérieure du cœur. De chaque cœur ! Cet appel, il n’appartient à personne d’autre qu’à nous de le relever.
La liberté, c’est le courage de choisir. Saisissons l’occasion du Jubilé pour renouveler, pour redécouvrir ce courage. Le courage de libérer le cœur de ce qui le corrompt. Remettons le respect de ce qu’il y a de plus haut et de plus noble dans notre humanité au centre du cœur, évitons de le remplir de ce qui le pourrit. Les choix de chacun comptent, par exemple pour expulser cette « pourriture du cerveau » causée par l’addiction au défilement permanent, le « scrolling » sur les médias sociaux, défini par le dictionnaire d’Oxford comme le mot de l’année. Où trouver le meilleur remède à cette maladie sinon en travaillant, tous ensemble, sur l’éducation, en particulier celle des jeunes ?
Nous avons besoin d’une éducation aux médias, pour nous éduquer et éduquer les autres à la pensée critique, à la patience du discernement nécessaire à la connaissance, et pour promouvoir l’épanouissement personnel et la participation active de chacun à l’avenir de sa communauté. Nous avons besoin d’entrepreneurs courageux, d’ingénieurs logiciels courageux, afin que la beauté de la communication ne soit pas corrompue. Les grands changements ne peuvent être le résultat d’une multitude d’esprits endormis, mais commencent plutôt par la communion de cœurs éclairés.
Saint Paul avait un tel cœur. L’Église célèbre aujourd’hui même sa conversion. Le changement qui s’est opéré en cet homme a été si décisif qu’il a marqué non seulement son histoire personnelle, mais aussi celle de l’Église tout entière. La métamorphose de Paul a été provoquée par sa rencontre directe avec Jésus ressuscité et vivant. Le pouvoir de s’engager sur la voie d’un changement transformateur est toujours généré par une communication directe entre les personnes. Pensez au pouvoir de changement potentiellement caché dans votre travail chaque fois que vous réunissez des réalités qui, par ignorance ou par préjugé, sont en opposition ! La conversion de Paul est née de la lumière qui l’a enveloppé et de l’explication qu’Ananie leur a donnée plus tard à Damas. Votre travail aussi peut et doit rendre ce service : trouver les mots justes pour ces rayons de lumière qui peuvent frapper le cœur et nous faire voir les choses différemment.
Je voudrais ici m’attarder sur le thème du pouvoir transformateur des récits, de la narration et de l’écoute des histoires, que Colum a mis en lumière. Revenons un instant sur la conversion de Paul. L’événement est raconté trois fois dans les Actes des Apôtres (9,1-19 ; 22,1-21 ; 26,2-23), mais le noyau reste toujours la rencontre personnelle de Saul avec le Christ ; le mode de narration change, mais l’expérience fondatrice et transformatrice reste inchangée.
Raconter une histoire correspond à une invitation à vivre une expérience. Lorsque les premiers disciples s’approchèrent de Jésus en lui demandant : « Maître, où demeures-tu ? » (Jn 1,38), il ne leur répondit pas en leur donnant l’adresse de leur maison, mais leur dit : « Venez et voyez » (v. 39).
Les histoires révèlent notre appartenance à un tissu vivant, l’entrelacement des fils qui nous relient les uns aux autres. Toutes les histoires ne sont pas bonnes et pourtant, elles aussi doivent être racontées. Le mal doit être vu pour être racheté, mais il doit être bien raconté pour ne pas user les fils fragiles de la coexistence.
En ce Jubilé, je vous lance donc un nouvel appel, à vous qui êtes réunis ici et aux communicants du monde entier : racontez aussi des histoires d’espérance, des histoires qui nourrissent la vie. Que vos récits soient aussi des récits d’espérance. Lorsque vous racontez le mal, laissez la place à la possibilité de réparer ce qui est déchiré, au dynamisme du bien qui peut réparer ce qui est brisé. Semez des questions. Raconter l’espérance, c’est voir les miettes cachées du bien même quand tout semble perdu, c’est permettre l’espérance même contre tout espérance. Cela signifie remarquer les pousses qui germent lorsque la terre est encore couverte de cendres. Raconter l’espérance, c’est avoir un regard qui transforme les choses, qui les fait devenir ce qu’elles pourraient être, ce qu’elles devraient être. C’est faire marcher les choses vers leur destin.
C’est le pouvoir des histoires. Et c’est ce que je vous encourage à faire : raconter l’espérance, la partager. C’est – comme le dirait saint Paul – votre « bon combat ».
Merci, chers amis ! Je vous bénis tous de tout cœur, ainsi que votre travail. Et, s’il vous plait, n’oubliez pas de prier pour moi.