Maintenant qu’après le temps de fêtes les passages évangéliques reprennent, dans la liturgie, une plus grande importance, demandons-nous quelle est l’intention de l’Église, en nous présentant un épisode de la vie de Notre Seigneur, par exemple : aujourd’hui le miracle des noces Cana. Le miracle est un événement historique et l’Église cherche certainement à nous édifier par les actions de Notre Seigneur et de la Sainte Vierge. Cependant ce n’est pas là son but principal. L’Église raconte le passé mais elle pense au présent. Elle veut nous dire : ce qui s’est passé, il y a 1900 ans, s’accomplit encore mystiquement en nous et particulièrement, actuellement, à la messe. Le Christ ne se contente pas d’avoir changé, il y a 1900 ans, de l’eau en vin, il veut faire aujourd’hui quelque chose de semblable et d’une réalité plus élevée. Nous pouvons même aller plus loin. Le miracle que Notre Seigneur fit alors, il le fit moins pour le miracle lui-même qu’en considération de l’avenir. Tous les miracles de Jésus, toute sa vie, ne sont qu’une image de son action dans son Église, car le but de toutes ses œuvres terrestres était le salut des hommes. Nous pouvons donc dire que le premier miracle du Christ, à Cana, est un symbole de ce que le Christ accomplit dans son Église, de ce qu’il veut accomplir aujourd’hui, à la messe. Nous comprenons maintenant quelle importance a pour nous la vie du Christ. Nous apprenons par là ce que le Christ veut faire parmi nous. Les circonstances historiques nous apprennent quelle attitude nous devons avoir devant cette action du Christ. Il s’ensuit que nous devons vivre cet épisode évangélique et, pour ainsi dire, jouer notre rôle dans cette scène. Représentons-nous comme les hôtes ou même l’époux ou l’épouse. Le Christ et sa Mère sont au milieu de nous. Cela n’est que fiction dira-t-on ; mais il y a une réalité, c’est le don de la grâce, c’est le salut qui nous est accordé aujourd’hui.
Demandons-nous maintenant comment s’y prend la liturgie pour nous conduire aux noces de Cana ? Elle emploie un double moyen. a) Elle nous fait célébrer, à la messe, les noces de Cana d’une manière vivante ; b) dans la Prière des Heures, elle fait revivre ces noces pendant toute la journée.
a) Où est-il question à la messe des noces de Cana ? En deux endroits : à l’Évangile et à la Communion. Que signifie cela ? Par l’annonce liturgique de l’Évangile, l’Église ne se contente pas de nous raconter un événement de la vie du Christ, mais elle met symboliquement le Christ et cet événement devant nous. Car ce n’est pas en vain que l’Église entoure la lecture de l’Évangile des plus grandes marques d’honneur qui ne peuvent s’adresser qu’au Christ regardé comme présent (les cierges, l’encens, le baiser, l’attitude debout, les signes de croix, l’ambon). Ainsi donc, dans l’Évangile, l’Église nous représente aujourd’hui le premier miracle. Ce miracle se reproduit d’une manière plus élevée encore dans l’Eucharistie. D’où vient que l’Église fait chanter, pendant le banquet eucharistique, quelques phrases de l’Évangile (et autrefois, quand le chant de la Communion avait toute son étendue, elle les faisait répéter sans cesse, peut-être jusqu’à dix fois) ? Pourquoi cela au moment le plus sacré, quand Notre Seigneur s’unit à notre âme et devient un avec elle ? N’y a-t-il pas là une déviation ? Non, l’Église dit : Voyez, c’est maintenant la vérité, le Seigneur a gardé jusqu’à maintenant le meilleur vin de l’Eucharistie, le miracle se réalise d’une manière plus haute au Saint-Sacrifice et dans la Communion.
b) Dans la prière des Heures aussi, la liturgie nous fait revivre les noces de Cana. La prière des Heures doit sanctifier chaque jour, l’accompagner de ses bénédictions, mais elle doit aussi développer les idées et les sentiments du jour. Le jour commence avec le lever du soleil et se termine avec son coucher. Ces deux moments sont pour la liturgie les plus saints. Car dans le soleil elle voit le symbole du Christ, le divin Soleil de justice, qui se lève pour nous le matin et se couche le soir. Ces deux moments sont comme les foyers d’une ellipse où se concentrent tous les rayons, c’est là que l’Église rassemble ses pensées les plus sublimes du jour. C’est alors qu’elle célèbre ses deux Heures solennelles : Laudes (la prière du matin) et. Vêpres (la prière du soir). Dans chacune de ces Heures, il y a un point culminant : le Benedictus (le salut au Soleil qui se lève sur les hauteurs) et le Magnificat (l’action de grâces pour la Rédemption). Comment ce divin soleil se lève et se couche chaque jour, le refrain de ces deux chants, l’antienne, nous l’apprend. Prenons celles d’aujourd’hui. L’antienne de Benedictus nous dit : « A Cana, il y eut des noces et Jésus s’y trouva ainsi que Marie sa Mère. » Que veut nous enseigner par là l’Église ? D’une manière simple et sobre, elle nous présente l’événement du jour. Maintenant, nous, dit-elle, vivez ce mystère, vous êtes assis aux noces avec Jésus et Marie. Toute la journée appartient à cette pensée. Que nous chantions ensuite le Benedictus, cela signifie que le Christ, le divin Soleil qui se lève, sera pour nous aujourd’hui le divin thaumaturge de Cana et qu’il nous apportera les grâces de Rédemption qui sont mystique ment contenues dans ce premier miracle. Le soir quand le soleil se couche, l’Église chante : « Quand le vin fit défaut, Jésus fit remplir les cruches d’eau et l’eau fut changée en vin, A1leluia. »
Ces paroles expriment brièvement l’accomplissement du miracle, et dans son chant, l’Église veut nous dire : aujourd’hui vous avez reçu une grâce semblable mais plus belle encore que le bienfait de ce miracle : l’eau de votre esprit terrestre et pécheur a été changée en vin précieux de la vie divine qui est le Christ lui-même. En un mot, le miracle de Cana se renouvelle. aujourd’hui, d’une manière plus élevée, dans le mystère eucharistique, et je dois en vivre, toute la journée du lever au coucher du soleil.
Dom Pius Parsch