Dans un article mis en ligne le 25 octobre, la revue Catholic Review expose l’idée exprimée par le père Louis-Marie de Blignières, de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier :
Alors que les pèlerins se rassemblent à Rome pour le 13ème pèlerinage annuel « Summorum Pontificum » consacré à la Messe latine traditionnelle du 25 au 27 octobre, les catholiques traditionalistes en France discernent une nouvelle idée : un ordinariat personnel pour les catholiques qui se consacrent aux formes liturgiques et sacramentelles romaines plus anciennes qui pourrait leur donner une stabilité pastorale et un évêque qui pourrait parler en leur nom et répondre directement au Saint-Père.
Le nom du pèlerinage est le même que celui de la lettre apostolique de 2007 du pape Benoît XVI, qui a permis à presque tous les prêtres de rite romain de célébrer la messe selon le missel romain de 1962, communément appelée la messe latine traditionnelle.
Avec son motu proprio « Traditionis Custodes », le pape François est revenu sur des points essentiels du document du pape Benoît XVI et a imposé, le 16 juillet 2021, de sévères restrictions à la célébration de la messe traditionnelle en latin.
Le père dominicain français Louis-Marie de Blignières a proposé pour la première fois l’idée d’un « ordinariat traditionnel » en septembre 2023, mais il continue à la développer aujourd’hui. Âgé de 75 ans, il est le fondateur et l’ancien prieur de la Fraternité Saint Vincent Ferrier, d’inspiration dominicaine, dont les prêtres célèbrent l’ancienne forme de la liturgie romaine. Son couvent est situé dans le village pittoresque de Chémeré-le-Roi, au sud de la Normandie.
Pour le Père de Blignières, la situation est « très compliquée » en France aujourd’hui pour les catholiques attachés à l’ancien rite romain utilisé par l’Église latine avant le Concile Vatican II, communément appelés catholiques traditionalistes.
« Tout s’est durci depuis la publication du motu proprio ‘Traditionis Custodes’ en juillet 2021 », a-t-il déclaré à OSV News. « Les possibilités de célébrer des messes et des sacrements dans l’ancienne liturgie ont été sévèrement restreintes par ce texte du pape François. »
Visage du catholicisme traditionaliste en France, le père de Blignières a souligné que « les évêques de France s’efforcent de suivre les instructions reçues de Rome » et que « des lieux de culte ont été fermés ».
« La célébration des confirmations et des mariages donne lieu à des négociations tendues, voire à des bras de fer », a-t-il précisé. « Beaucoup d’évêques sont agacés et les fidèles sont exaspérés.
Pour le Père de Blignières, « il y a des incompréhensions de part et d’autre ». D’un côté, les évêques « ont du mal à comprendre notre attachement au rite traditionnel ». De leur côté, les catholiques attachés à l’ancienne forme du rite romain, « sans idéaliser le passé, y trouvent des richesses liturgiques qui nous sont chères et qui font notre charisme ». Un point de friction concerne la concélébration avec l’évêque lors de la messe chrismale de la Semaine Sainte, à laquelle nous ne voulons pas participer. Nous pensons qu’il est préférable que chaque prêtre célèbre la messe personnellement. C’est un point de divergence ».
Il précise toutefois que cela « n’implique aucune déloyauté de notre part à l’égard de la hiérarchie, ni aucun jugement désobligeant sur les prêtres qui concélèbrent ».
Le Père de Blignières insiste :
« Nous reconnaissons la validité des messes célébrées selon le Missel de Paul VI, et nous reconnaissons que le Concile Vatican II – même s’il contient des passages ambigus qui demandent à être clarifiés – est substantiellement en continuité avec la tradition de l’enseignement de l’Eglise. Cela nous distingue clairement de ceux qui ont suivi Mgr Lefebvre dans le schisme de 1988. C’est pourquoi nous sommes surpris et blessés par la sévérité avec laquelle les autorités du Vatican nous ont traités ».
Le père de Blignières a rappelé que saint Jean-Paul II avait publié le motu proprio « Ecclesia Dei » en 1988, lorsque l’archevêque français Marcel Lefebvre avait consacré des évêques sans l’approbation du pape et contre son avis. À l’époque, le souverain pontife avait créé la commission « Ecclesia Dei », chargée de faciliter les choses pour les communautés attachées à l’ancien rite romain.
« L’Eglise nous a accueillis tels que nous étions, sans nous obliger à célébrer selon le nouveau rite », précise le Père de Blignières. « Et le motu proprio ‘Ecclesia Dei’ demandait aux évêques d’accorder une permission ‘large et généreuse’ de pratiquer la liturgie pré-conciliaire ».
En 2007, lorsque le motu proprio du pape Benoît a élargi l’usage du rite, « c’était une période d’apaisement, un temps béni », a commenté le père de Blignières.
Mais en 2021, « Traditionis Custodes » a fortement insisté sur le fait que la liturgie issue de Vatican II est « l’expression unique » du rite romain de l’Église latine. Ce qui est aujourd’hui le Dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements a précisé que l’ancien rite était « abrogé » et ne pouvait être utilisé que dans des circonstances exceptionnelles.
« Depuis lors, les craintes d’un nouveau rétrécissement des possibilités de célébrer la messe traditionnelle sont constantes », a déclaré le père de Blignières. « Les fidèles sont inquiets lorsque de telles rumeurs circulent.
C’est pourquoi, depuis septembre 2023, le Père de Blignières invite à réfléchir à l’idée d’un ordinariat personnel qui offrirait un cadre stable et apaisé aux personnes attachées à l’ancien rite romain. Il a développé cette idée dans la revue « Sedes Sapientiae », ou « Siège de la Sagesse », publiée par la Fraternité Saint-Vincent Ferrier.
« Cela ne concerne que la France », souligne-t-il. « Dans chaque pays, la situation est différente.
« De tels ordinariats existent déjà ailleurs », a souligné le Père de Blignières. Il fait référence à l’administration apostolique personnelle mise en place au Brésil en 2002, pour l’Union sacerdotale Saint Jean-Marie Vianney, qui était auparavant liée à Mgr Lefebvre mais s’était rapprochée du Saint-Siège.
En 2011 et 2012, trois ordinariats personnels ont été créés par le pape Benoît, en vertu de sa constitution apostolique de 2009 « Anglicanorum Coetibus », pour être effectivement des diocèses catholiques avec des traditions anglicanes, dirigés par leurs propres ordinaires, afin de permettre aux anglicans souhaitant rejoindre l’Église catholique de conserver leurs propres traditions distinctives, y compris les formes liturgiques approuvées, et de les utiliser pour évangéliser en tant que catholiques à part entière.
Les évêques de ces ordinariats personnels sont directement responsables devant le pape, par l’intermédiaire du Dicastère pour la doctrine de la foi, et supervisent leurs églises locales de la même manière que les évêques diocésains territoriaux, en réglementant la liturgie et le clergé, tout en répondant aux besoins pastoraux particuliers de leur troupeau. Ils travaillent également en coopération avec les évêques diocésains et sont membres à part entière de la conférence épiscopale du pays.
Pour le père de Blignières, un « ordinariat traditionnel » en France, dirigé par un évêque, permettrait aux fidèles de recevoir tous les sacrements dans l’ancien rite et de bénéficier des « pédagogies traditionnelles de la foi » – spiritualité, discipline, catéchisme et autres enseignements.
« Il s’agirait d’une structure hiérarchique complémentaire qui ne couperait pas les fidèles du diocèse dont ils dépendent localement », a-t-il insisté. « Ce serait comparable au diocèse des armées en France, qui est un ordinariat militaire. Un soldat peut demander à se marier dans ce cadre, mais il reste dépendant de l’évêque du lieu où il vit. »
En juin 2024, le Père de Blignières répond dans la même revue aux craintes qu’un tel ordinariat « enferme les traditionalistes » dans une sorte de « ghetto ».
« Ces craintes ne sont pas fondées. « Au contraire, cela créerait un climat plus favorable à la liturgie traditionnelle. Elle pourrait même faciliter l’adoption de mesures juridiques plus souples de la part des autorités ecclésiastiques ».
« L’évêque qui la dirigerait soulagerait les évêques de France de leur préoccupation pour ces communautés de rite traditionnel », a ajouté le Père de Blignières. « Et en tant que membre de la conférence épiscopale, il comprendrait mieux leurs points de vue. De manière pragmatique, les deux parties pourraient mieux unir leurs forces pour l’évangélisation et la mission », a-t-il ajouté.
« La possibilité que cette proposition débouche sur des résultats concrets, à court ou moyen terme, est modeste », a conclu le Père de Blignières. « Mais elle peut susciter d’autres idées, plus judicieuses ou plus pratiques. L’important est de proposer respectueusement quelque chose de positif, plutôt que de se plaindre ou de récriminer. Il faut aller de l’avant de manière constructive ».