Plusieurs évêques ont réagi à l’attaque subie par la synagogue de la Grande Motte le 24 août dernier.
Notamment Mgr Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais dans l’Oise :
Samedi 24 août, peu de temps avant l’office de Shabbat, un attentat terroriste antisémite a visé la synagogue Beth Yaacov de La Grande Motte.
Une nouvelle fois, la communauté juive est touchée dans sa foi et dans son existence même.
Je tiens à exprimer ma révolte contre cette nouvelle atteinte à la liberté de conscience et de religion. Dans notre Pays, nul ne doit pouvoir être menacé en raison de sa religion, dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à l’ordre public et respecte tout être humain quel qu’il soit. C’est pourquoi, j’exprime mon profond respect, ma proximité et ma solidarité envers les membres des communautés juives de notre Pays, en particulier ceux de La Grande Motte et ceux de l’Oise.
Nous assistons à la résurgence de discours et d’actes antisémites. Trop nombreux sont celles et ceux qui font l’amalgame entre des situations politiques complexes, la religion juive et le fait d’être juif. L’antisémitisme se fraye de nouveaux chemins pour sévir et se justifier. Certains propos sont dangereux, voire irresponsables. Ils ouvrent la voie à de graves incivilités. Les réseaux sociaux ajoutent trop souvent à ce climat délétère de stigmatisation et de violences.
Aucune conscience chrétienne ne saurait se laisser entrainer dans ces voies. Comme chrétiens, selon le témoignage donné par Jésus Christ, nous devons tenir des propos et des comportements de respect, de fraternité et de solidarité universelles qui prennent racine dans l’intention du Créateur et du Sauveur. Souvenons-nous des paroles de Saint Jean-Paul II lors de sa visite à la Synagogue de Rome (13 avril 1986), s’adressant aux Juifs : « Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire, nos frères aînés ».
Comme chrétiens, nous devons nous rappeler que l’antisémitisme porte atteinte à la voie par laquelle Dieu s’est révélé et a révélé sa bienveillance et sa miséricorde envers tous les êtres humains. Il n’est pas pensable et acceptable d’imaginer que Dieu puisse réaliser son projet d’avenir et de vie pour tous les êtres humains en ordonnant à « ses croyants » de mettre à feu et à sang le monde entier ! (Qu’on ne vienne pas nous opposer des paroles et des comportements passés, aux antipodes de cette position actuelle, puisque le Concile Vatican II et bien d’autres positions de l’Église catholique ont exprimé depuis, leur dépassement et les regrets dans ce domaine, vis à vis du passé.
Ma prière accompagne le policier municipal qui a été touché par le souffle d’une explosion.
Ma reconnaissance va enfin à toutes les forces de sécurité qui, dans le respect des lois de la République, protègent nos concitoyens et constituent un acteur nécessaire au service de notre projet commun : vivre dans un Pays de liberté et de fraternité. Qu’elles reçoivent, ici, l’expression de la gratitude des communautés chrétiennes pour leur mobilisation, entre autres, lors des offices religieux.
+ Mgr Jacques Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais, Noyon et Senlis
Dimanche 25 aout 2024
Et évidemment Mgr Turini, évêque de Montpellier dans l’Hérault :
La communauté catholique de l’Hérault et son archevêque Monseigneur Norbert TURINI, réagissent à l’odieux attentat criminel qui a visé la synagogue Beth Yaacov de La Grande Motte.
Communiqué de Mgr Norbert Turini, archevêque de Montpellier.
Toucher à la communauté juive, c’est toucher également à la nôtre.
Et je tiens à exprimer en mon nom propre et en celui des catholiques du diocèse de Montpellier, notre profonde tristesse et notre colère devant cet acte antisémite inqualifiable. Solidaires et proches par le cœur et la prière, nous assurons Madame Sabine Atlan, Présidente de l’Association cultuelle Israélite de la Grande Motte et tous les membres de la synagogue de notre soutien absolu, fraternel et spirituel.
Nous n’oublions pas et nous ne renierons jamais les racines juives du christianisme qui nous lient au Peuple de la Première Alliance au point que le Pape St Jean-Paul II rappelait avec force que tout chrétien doit considérer les juifs comme « ses frères aînés dans la foi ». Jean-Paul II à la synagogue de Rome 14 avril 1986. Le Pape Benoît XVI n’hésitait pas à dire lui aussi « vous êtes nos pères dans la foi »
Dans ce sens nous catholiques, continuerons à « dénoncer les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme dirigées contre la communauté juive » (Déclaration Nostra Aetate, Concile Vatican II).
Cet acte indigne doit être condamné avec la plus grande fermeté. Il n’empêchera jamais la poursuite de notre dialogue d’amitié pour la paix et la justice avec la communauté juive. Nous restons unis.
Samedi 24 août 2024
+Norbert Turini, Archevêque de Montpellier
Mgr Ulrich, évêque de Paris, a abordé le sujet au cours de son homélie pour la messe du 80e anniversaire de la libération de Paris, ce 25 août :
« Voulez-vous partir, vous aussi ? » C’est Jésus qui interroge ses disciples alors que se signalent les premières défections dans leurs rangs, après son grand discours sur le pain de vie qu’Il est lui-même en annonçant qu’il donnera sa vie pour la multitude des hommes. Et ceci provoque la réaction immédiate de Pierre, le premier des apôtres. Réaction vive, spontanée et assurée ! Chacun sait que Pierre sera surpris, plus tard, au moment de la grande épreuve de l’arrestation de Jésus, à renier celui qu’il entourait pourtant de sa confiance et de son affection : cette faiblesse humaine, Jésus la comprendra et la pardonnera, remettant même la conduite de l’Église à ce témoin, aussi fragile qu’il est impulsif !
Retenons en tout cas, d’une part que personne de nous ne mérite la confiance que le Seigneur distribue pourtant généreusement ; mais d’autre part aussi, que Jésus se révèle, dès cet épisode, comme un homme d’une immense liberté qui autorise chacun à prendre sa propre responsabilité pour la conduite de sa propre vie, voire à se détourner de lui, au moment même où il fait une promesse magnifique et gratuite de vivre pour toujours dans la lumière et la paix. Cette question interroge les disciples du Christ, de génération en génération, jusqu’à aujourd’hui et pour les siècles à venir ; mais elle appellera toujours une réponse libre.
Cette question et cette réponse s’entendent dans une longue tradition de liberté spirituelle que prône le Dieu de la Bible, que l’on soit dans la première alliance, dite autrement ancien testament, ou dans la seconde alliance, le nouveau testament. Pour preuve la première lecture que nous avons entendue il y a quelques minutes. C’est Josué, un nom que l’on peut déjà écrire : Jésus, qui, conduisant le peuple de Dieu en terre promise après la mort de Moïse, lui demande de professer sa foi au Dieu qui l’a sorti de l’esclavage d’Égypte. Là encore, le peuple est sollicité de choisir entre ce Dieu-là et ceux des cultes traditionnels de la terre où ils résident maintenant. L’histoire de ce peuple le montrera souvent infidèle à son choix, l’inconstance est décidément bien humaine ! Mais l’inconstance n’empêche pas le désir de revenir, de faire mieux, de croire que la fidélité est toujours possible et encouragée.
Ce que Josué rappelle, comme argument principal, ce n’est pas la promesse d’un avenir éternel qui n’est pas encore inscrit dans les intelligences d’alors, mais c’est le souvenir des hauts faits de l’histoire biblique, ces hauts faits que sont les événements de la libération d’Égypte pour le peuple d’Israël.
Cette lecture se comprend bien dans la circonstance où nous sommes de la commémoration de la Libération de Paris, il y a tout juste quatre-vingts ans. C’est à juste titre que l’on peut parler de la libération d’Égypte pour le peuple d’Israël comme on parle de la Libération de Paris du joug de l’occupation nazie. De la même façon dans les deux cas, il a fallu la conjugaison de grandes volontés guidées par une vision d’avenir qui ne s’envisageait pas autrement que sous la forme de la liberté, et d’innombrables volontés anonymes et inaperçues, portant aussi un idéal de justice et de paix, de droit et de respect de chaque vie humaine. Comme dans tout combat, les courageux lutteurs de la liberté voient se lever contre eux, non seulement les tenants de l’ordre injuste et violent mais aussi les raisonneurs qui regrettent bien d’être projetés devant un choix trop marqué : dans le peuple hébreu déjà, il y avait ceux qui se souvenaient des oignons d’Égypte : oui, disaient-ils, on était esclave, mais on avait à manger ! L’action humaine est toujours prise entre feux et contre-feux, le combat pour la liberté se déroule toujours entre nuit et brouillard : personne n’est assuré d’avance du succès, la joie de la liberté reconquise vient de la fidélité à cet idéal de travailler pour la paix, pour la justice, pour le bien des peuples.
Mais le jour de la libération n’est pas le jour de la liberté définitivement reconquise. Il faut encore du courage et une grande détermination pour la maintenir, pour tenir en éveil permanent ce goût du respect de l’autre, ce désir d’une fraternité qui reconnaît les différences et les assume sans jamais les mépriser. Le général de Gaulle dont nous honorons la mémoire et l’action victorieuse le savait bien, qui portait haut son ambition pour ce moment et pour son action future. Il écrit, dans ses Mémoires de guerre : « J’ai moi-même fixé à l’avance ce que je dois faire dans la capitale libérée. Cela consiste à rassembler les âmes en un seul élan national, mais aussi à faire paraître tout de suite la figure et l’autorité de l’État. » Il connaissait l’esprit de division qui peut s’emparer des peuples, et le nôtre bien sûr, dans la lutte autant que dans les lendemains de victoire ! L’action politique est par ailleurs appréciée par chacun, et aussi portée au jugement de l’Histoire évidemment. Mais là était l’intention aussi bien exprimée que manifestée.
En faut-il une belle image, emportée par l’enthousiasme coutumier de Maurice Schumann lors de la célébration du cinquantenaire de cette libération, en 1994 ? Le porte-parole de la France Libre en oublie le jour de ce moment unique, le 26 et non pas le 25 août :
« Un peu plus de quatre ans après l’Appel d’un unique 18 juin, de Gaulle, un unique 25 (sic) août, entre dans la cathédrale qui, depuis quelques heures, a cessé d’être celle de la capitale profanée. Bruyante et mystérieuse, une fusillade l’accueille. Quelle sera la riposte ? Le cantique de la Sainte Vierge qui a donné son nom au sanctuaire. Quelle voix sera la première à l’entonner ? La question est bien vaine : ensemble, tous les présents ont obéi au même instinct surnaturel. Il fallait un tel jour, il fallait un tel lieu, pour porter à sa plénitude l’hymne à Celui qui a “confondu les pensées des superbes“ et “renversé les puissants de leur trône”. Il fallait un tel lieu, il fallait un tel jour, pour que le Français qui croyait au ciel et le Français qui n’y croyait pas pussent pareillement ressentir combien les lèvres de tout homme recru d’épreuves ont soif du Dieu vivant. »
Les différences se sont accentuées dans nos sociétés, depuis 1944 et davantage encore depuis 1994 : entre celui croit au ciel et celui qui n’y croit pas, celui qui pratique une autre forme de croyance que celle qui a dominé en France pendant des siècles, celui qui n’est préoccupé d’aucune forme de religion ; et cela nous oblige tous à accroître le respect mutuel si nous visons à établir une véritable fraternité. Malheureusement des événements quotidiens nous montrent que des actions menées contre des Juifs comme hier encore à La Grande Motte, contre des Musulmans aussi ou contre des Chrétiens s’expriment sans retenue partout dans le monde. Nous ne pouvons nous abstenir de crier : assez, cela suffit ! Tenir la dimension religieuse de l’existence de nos contemporains pour négligeable ou nuisible ne pourra jamais prétendre à faciliter cette unité, cette construction d’une « amitié sociale » comme l’appelle volontiers le pape François. Le croyant chrétien, le disciple dont parle l’évangile de ce matin, entend la voix du Seigneur qui l’invite à le suivre, à espérer la réalisation de la promesse faite pour tous et la révélation plénière d’une unique famille humaine désirée par Dieu ; et ceux que cette promesse ne convainc pas et n’attire pas entendent cependant, à travers de tels événements, un appel à grandir en humanité et en fraternité.
Nous ne sommes pas encore dans Notre-Dame reconstruite après le terrible incendie qui l’a gravement blessée il y a un peu plus de cinq ans ; nous y serons dans moins de quatre mois, et ce sera aussi comme une victoire ; mais dès le 15 avril 2019 la ferveur mondialement partagée confondait dans le même cri et la même imploration toutes les voix humaines. Cette nuit-là nous a montré une telle communion que nous pouvons espérer que le moment tant attendu du 7 et du 8 décembre prochain nous révèle une même aspiration au rassemblement, à l’unité.
Que la prière des croyants et notre attitude profonde, nous qui sommes ici ce matin, en donnent le témoignage.
Mgr Laurent Ulrich
archevêque de Paris