L’abbé Pierre-Yves Chrissement donnait en juin dernier des nouvelles de la Mission de la FSSPX en Nouvelle-Calédonie – il y a une chapelle à Païta, une des communes qui a connu le plus de troubles, depuis le début du nouvel épisode de troubles graves au printemps; depuis, les émeutiers se sont aussi attaqués à l’Église catholique, en brûlant deux églises (Saint-Louis, Vao sur l’île des Pins), une chapelle (Touho), deux presbytères (Saint-Louis et Thio-Mission) et un couvent (Saint-Louis).
“Il est temps de vous donner quelques nouvelles de la Mission. Le projet de loi sur le dégel du corps électoral n’est pas apprécié des Kanaks (environ 40% de la population). Un comité d’action a mobilisé une partie de ceux-ci pour se livrer à toute une série de destructions et paralyser l’île. Le 13 mai, des centaines d’émeutiers se sont répandus essentiellement dans Nouméa et autour et ont brulé des dizaines de magasins, d’écoles, de commerces, de bureaux et de maisons individuelles.
Du jour au lendemain, le pays s’est retrouvé en état de guerre civile. Heureusement ils n’ont pas pu détruire des centres névralgiques tels que les centrales électriques. Les sites les plus sensibles ont été protégés rapidement par les forces de l’ordre (y compris l’armée) : l’hôpital appelé Médipôle, l’aéroport, les casernes,… Un commissariat a cependant été attaqué. Des morts (enregistrés ou non) sont venus couronnés leurs actions. Cette insurrection a pris tout le monde de court. Les magasins pillés, incendiés ou tout simplement fermés, les gens ont dû se débrouiller avec leurs réserves personnelles souvent très limitées.
Il est devenu impossible de circuler : l’un des premiers morts est un bébé dont la mère n’a pas pu accéder au Médipôle pour accoucher. Très rapidement les forces de l’ordre étant complètement submergées, les gens se sont organisés. Par quartier ou résidence, ils ont fabriqué des barrières, des postes de contrôles et filtré les gens pour empêcher les émeutiers de détruire leur maison ou leur travail. Jour et nuit, des équipes de voisins se sont succédées sur ces points de contrôle pour protéger leurs familles et leurs biens. Nos fidèles ont tous été concernés. La chapelle, heureusement située à l’entrée d’un lotissement, bien qu’un peu isolée n’a pas été vandalisée. L’aéroport a été fermé immédiatement. Le Père qui aurait dû venir fin mai n’a donc pas pu et j’ai essayé d’y aller dès que possible mais tous les vols étaient annulés les uns après les autres. Et puis lundi 10 juin dans l’après-midi, j’apprends qu’un vol AirCalin décollera mardi matin d’Auckland. Je me dépêche d’acheter un billet mardi matin à 6.30 de Wanganui à Auckland, je passe les consignes à l’abbé Stephens pour s’occuper des écoles et du prieuré et boucle mes bagages avec un gros sac de riz, des pâtes, du chocolat et du café (denrées devenues précieuses).
Après un vol sans histoire (nous n’étions qu’une centaine dans l’avion), un père de famille vient me chercher à l’aéroport, complètement vide mais cerné par les forces de l’ordre, avec la voiture de la Mission et me propose de déjeuner chez eux avant de rejoindre la chapelle. Je découvre alors les routes jonchées de débris, jalonnées de carcasses calcinées de voitures et de banderoles proclamant le respect pour les martyrs de la cause kanak. Après avoir échangé mon café contre du pain (il n’y a plus de farine non plus), je quitte leur résidence. Malheureusement, alors que j’approche de Païta (la commune de la chapelle), je vois des gens s’agiter sur la route, des feux, de la fumée, des drapeaux. Je reste à une distance prudente mais après une heure d’attente, il faut se rendre à l’évidence : les forces de l’ordre ne viendront pas dégager ce barrage. Je suis contraint de faire demi-tour et ayant informé la famille où j’ai déjeuné, ceux-ci me proposent de rester pour la nuit. Ce que j’accepte volontiers.
Mercredi matin, je suis prêt à 6h pour suivre d’autres voitures de la résidence qui se rendent en convoi à Nouméa. On emprunte une autre route, bien plus longue mais dégagée chaque matin par les forces de l’ordre : la fameuse RT 1. Et j’arrive enfin à la chapelle. Dieu merci, elle est là, intacte. J’ouvre, je prépare la Messe et je m’installe au confessionnal. En ce premier jour, seulement 6 personnes viennent. Après la Messe, discussion avec ces courageux paroissiens puis direction un magasin qu’on m’a signalé comme ouvert et pas vide. Effectivement, on ne peut pas manquer la file des gens qui font la queue pour entrer. Je prends place et patiente. On entre par groupe d’une douzaine dans une espèce d’épicerie où notre temps est chronométré mais les quantités ne sont pas limitées. Sauvé ! Il y a du coca et même du jambon. J’achète de quoi tenir une semaine. Les gens sont résignés mais relativement sereins, heureux de sortir de chez eux mais pressés d’y retourner. Il faut se dépêcher de rentrer avant qu’un barrage ne s’installe entre vous et votre maison. Je fais connaissance de Manaté, le voisin immédiat de la chapelle. Il y a aussi une famille qui habite dans le lotissement qui vient à la Messe depuis quelque temps déjà.
Je passe ma première nuit tout seul à la chapelle. Malgré le couvre-feu, quelques véhicules circulent en provocant avec de la musique tonitruante. Parfois ils tirent aussi quelques coups de feu. Je me dis que si les émeutiers choisissent de transformer la chapelle en barbecue géant, je finirais comme Saint Laurent. Mais si Saint Joseph, le saint patron de la chapelle, l’a protégée jusque là, il n’y a pas de raison qu’il ne continue pas : il n’est pas en grève, lui ! Et en effet, le jeudi matin, la chapelle et moi sommes toujours là. Les fidèles sont plus nombreux. Une douzaine. Puis encore plus vendredi et samedi. Une famille très courageuse vient de Plum, alors que la route vient à peine d’être réouverte et qu’elle est la scène de violences quotidiennes, notamment de carjacking soit par des voyous qui guettent le long de la route, soit par des « résistants à la colonisation » qui tiennent les barrages.
Je préfère circuler le matin mais les visites au centre de santé où j’ai deux malades à voir ne sont autorisées que l’après-midi. Je décide donc d’y aller vers 13.30. C’est juste à côté du Médipôle. Je prépare soigneusement mon itinéraire pour éviter les axes les plus aléatoires. Un ancien élève, aujourd’hui dans la gendarmerie et suffisamment bien placé peut me donner les bons conseils. C’est bien triste de voir de grands bâtiments complètement brulés tout autour de l’hôpital. Et le pire, c’est que les « combattants de la liberté » s’affichent avec leurs drapeaux, leur musique et paradent au milieu de ces ruines, fiers d’eux.
Qu’est-ce qu’ils imaginent ? Même leurs anciens les enguirlandent : leurs propres mères n’ont plus de magasin pour acheter à manger. Ils se plaignent du chômage mais ont mis l’île à genoux économiquement. Les rues sont jonchées de détritus. Entre les pillages, les mauvaises habitudes et l’insécurité qui guette les services municipaux, la saleté s’amoncelle. Je n’ai presque pas pris de photos. Pas évident de se repérer, de conduire en évitant les obstacles sur les voies et de photographier sans avoir l’air de provoquer ! Enfin, j’ai pu passer sans heurt et apporter les secours de la religion à ceux qui le demandaient, dont un policier quasi-paralysé (au début une main seulement répondait, puis maintenant ses deux bras, mais pas encore le reste…) lors d’un exercice. Une belle âme, résignée, forte, sereine dans l’adversité.
Dimanche environ les deux tiers des fidèles ont pu se rendre à la chapelle. Quelle joie pour eux de chanter la Messe, de se confesser, de communier, de retrouver des amis, surtout pour nos petites vieilles barricadées chez elles depuis un mois. C’est marquant de voir encore une fois la catholicité de la Fraternité : des blancs, des noirs, des Wallisiens, des Kanaks, des Calédoniens ! Il y a de tout et on ne se tape pas dessus ! Le jour où les autorités comprendront qu’il n’y a pas d’ordre possible en dehors du règne de Notre Seigneur, alors, et alors seulement on aura la paix.
Au cours de ce passage, j’ai été amené par la Providence à rencontrer un large panel de gens. J’ai aidé des membres des forces de l’ordre, frustrés, obligés de lutter contre la haine pour ces racailles qui pillent, détruisent ou blessent gravement certains de leurs collègues. Mais aussi j’ai consolé des mères en larmes, priant jour et nuit pour leur fils infidèles, craignant qu’on ne vienne leur annoncer leur décès sur un barrage. J’ai même eu à faire à ces pauvres « jeunes » manipulés qui croient défendre une cause en cassant tout, et qui se rendent compte, finalement, qu’ils sont surtout des pécheurs. Je ne peux pas m’étendre sur les confessions mais depuis que je suis arrivé, je n’ai jamais eu autant de confessions si sincères, si profondes en si peu de temps. Un peu comme une prédication de retraite, dont de belles conversions. Dieu se sert de tout. Il fait sortir le bien du mal : c’est la preuve de sa toute-puissance.
Je suis dans l’attente d’un vol retour. Le mien a été annulé mais on n’a pas beaucoup d’informations. Il faut vivre au jour le jour. Du coup les fidèles d’ici sont ravis. Moi, un peu moins : le travail va s’amonceler sur mon bureau à mon retour à Wanganui. En attendant, je vous confie encore nos fidèles et notre pauvre île avec sa Mission et son prêtre”.