Dans son éditorial du dernier numéro de l’Homme Nouveau (27 décembre 2023), le Père Danziec invite à regarder la nouvelle année avec courage et espérance :
Quel est le défaut dominant de notre époque ? Dans une attrayante anthologie littéraire sur les sept péchés capitaux, Sébastien Lapaque s’amuse à attribuer aux derniers siècles la faute capitale censée les résumer (1). Évidemment, comme souvent en pareil cas, l’attribution est arbitraire. Il n’empêche : n’y a-t-il pas un intérêt piquant à regarder notre passé sous le prisme de la grille d’un confessionnal ?
Au XVIe siècle et ses guerres de Religion, le péché de colère. Au XVIIe siècle traversé par les ravages du jansénisme, celui de l’orgueil. Au libertinage du XVIIIe siècle, la luxure. La frénésie industrielle et les révolutions égalitaires du XIXe siècle ? Le péché d’envie. Au XXe siècle et son argent-roi, du krach de 29 à la société de consommation, bienvenue dans le siècle de l’avarice. Et si, pour clore cette sombre déclinaison, le péché de paresse était celui du XXIe siècle ? Notre monde en 2024 trouve fatigant le fait d’avoir raison et le relativisme ambiant en apparaît l’aveu terrible : oisiveté dans l’agir comme dans la réflexion. Triste diagnostic.
Notre vie, notre histoire
Forts de cet examen de conscience historique, il peut être profitable en ce début de janvier de nous arrêter sur la nôtre. Notre histoire. Notre vie. Nos états d’âme. N’y aurait-il pas une funeste et curieuse façon de voir le monde depuis 1789 ?
Année après année, défaite après défaite, le catholique de conviction n’a-t-il pas pris l’habitude de se plaindre que tout aille mal ? De la virée de Galerne aux collines de Dien-Bien-Phû. Du 6 février [19]34 aux rassemblements rose et bleu de la Manif pour Tous. Des espoirs déçus aux inexorables plafonds de verre. Que notre famille de pensée ait été vaincue dans l’honneur ou qu’elle se soit trouvée aux portes de la victoire, infidèle ou trahie, divisée ou mal accompagnée, il arrive que certains répètent à l’envi que notre monde craque de toutes parts, qu’il l’a bien mérité et que, finalement, c’est bien fait pour lui.
Vraiment ? Si le présent est incertain, force est de reconnaître surtout que l’espérance n’est pas à la mode ! Nous désintéresserions-nous de l’avenir ? Proposerions-nous donc, comme la République, de le réduire légalement ? Le poison du découragement, le duc d’Audiffret-Pasquier en avait déjà pointé l’origine lors d’une prise de parole à la Chambre, en 1872 : « Nous avez-vous seulement légué des embarras, des douleurs et des désastres ? Non, vous avez fait pire encore. Vous nous avez légué la démoralisation. »
À l’abordage de l’année 2024, il nous appartient donc d’éviter les écueils du pessimisme pour ne pas tomber dans le naufrage du désespoir. Prenons la résolution d’être des veilleurs dans la nuit. Non pas des porteurs d’angoisse mais des livreurs de lumière. Ceux-là qui savent qu’ils ont un trésor à offrir et un patrimoine merveilleux à transmettre.
La courtoisie, qui fonde les bonnes manières. La noblesse, qui incarne la droiture dans le regard et la bienveillance dans les propos. La curiosité, qui donne à l’observation du monde un appétit de la vie et de son Créateur. L’appréciation du silence, propre à la justesse de la réflexion. Le goût de la lecture, qui nous rend reconnaissant, à l’endroit de ceux qui nous ont précédés et qui, avant nous, ont souffert, réfléchi et aimé. La charité intégrale, qui consiste à voir dans son prochain un frère à enrichir du Christ.
Oui : la dissidence des disciples de l’Évangile doit carburer à l’espoir au risque, sinon, de finir par caler !
Le temps passe
Chaque 1er janvier donne l’occasion de mesurer, comme l’écrit de façon charmante Pagnol, que « le temps passe, et qu’il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins ». Mais à quoi sert un moulin si, justement, il n’a rien à donner ? Les meules séculaires de notre foi, nous savons ce qu’elles sont en mesure de produire : l’enracinement contre la société liquide, la complémentarité des sexes face aux dérives d’un féminisme étriqué, la préférence au temps long plutôt que l’apologie du bougisme, la protection des plus faibles en butte à la culture de mort, l’amour des traditions pour mieux se refuser aux déconstructeurs, la défense de la vérité en opposition à la tyrannie des bien-pensants.
Qu’il s’agisse de plaquages dans un match de rugby ou de coups de canon lors d’une bataille navale, l’adversité de la vie nous apprend qu’il importe davantage de donner que de subir. De se donner que de se retenir.
Nous pouvons attendre toute une vie, assis sur le banc de notre tiédeur, que l’amour et l’enthousiasme finissent par arriver, au risque de terminer seul en gare… Le message évangélique nous rappelle que nous ne sommes pas ici-bas pour attendre, mais pour nous consumer. Pas dans ce monde pour nous plaindre qu’il n’ait pas de goût mais pour en être le sel. Plus que de lui donner la leçon, il s’agit de lui donner du feu. Un feu sans artifices.
Père Danziec
1. Les 7 péchés capitaux, Sébastien Lapaque, Librio, 2007, 384 p., 7€.