En parallèle du synode sur la synodalité, on assiste également à un foisonnement de réflexions que l’on peut qualifier de « synode hors les murs ». Ainsi peut-on parler de la contribution de Mgr Erik Varden, 49 ans, Norvégien, moine cistercien de la stricte observance, trappiste, ancien abbé en Angleterre de l’abbaye de Mount Sain Bernard dans le Leicestershire, et depuis 2020 évêque de Trondheim. Il vient de publier « Chastity. Reconciliation of the Senses », le 12 octobre et qui sortira bientôt en espagnol sous le titre « Castitad. La reconciliación de los sentidos ».
Mgr Varden, qui n’est pas au synode, figurait parmi les signataires, avec tous les évêques de Scandinavie dont le cardinal de Stockholm, Ander Arborelius, d’une « Lettre pastorale sur la sexualité humaine », diffusée au Carême dernier. Par son extraordinaire originalité de langage et de contenu, cette lettre parvenait à dire à l’homme moderne toute la richesse de la vision chrétienne de la sexualité avec une fidélité intacte au magistère millénaire de l’Église tout en s’opposant de façon limpide à l’idéologie du gender.
Cette lettre pastorale et le livre de Varden partagent donc un style commun. Mais il y a quand même une différence importante. « Chastity » ne se mêle pas des disputes et des « dubia » sur la bénédiction des coupes homosexuels ni sur la communion des divorcés remariés. Sur ces questions, l’auteur prend d’emblée le parti de ne pas s’écarter d’un iota de ce qu’enseigne le Catéchisme de l’Église de l’Église catholique de 1992, auquel il renvoie comme à un « grand trésor ».
Il entend présenter à nouveau au monde la foi chrétienne dans son intégralité, sans compromis. Mais l’exprimer de manière compréhensible même pour ceux qui y sont complètement étrangers. Et « Chastity » propose un voyage fascinant entre la Bible et la grande musique, la littérature, la peinture, des Pères du désert à la « Norma » de Bellini, d’Homère à la « Flûte enchantée » de Mozart, en passant par une bonne douzaine d’écrivains et de poètes modernes plus ou moins éloignés de la foi chrétienne. Même l’apôtre Matthieu sur la couverture se prête au jeu. Il est tiré de la fresque du jugement dernier réalisée en 1300 par Pietro Cavallini, un précurseur de Giotto, dans la basilique romaine de Sainte-Cécile-du-Trastevere. Ses yeux regardent vers le Christ, vers le destin final de l’homme en gloire.
Sandro Magister a reproduit un bref extrait de ce livre :
Il est temps d’opérer un « Sursum corda »
Sainteté, vie éternelle, configuration au Christ, résurrection des corps : ces notions ne font plus aujourd’hui plus partie de la pensée commune sur les relations humaines et la sexualité. Nous nous sommes éloignés de la mentalité qui a produit la sublime verticalité des cathédrales du XIIe siècle, ces demeures qui contenaient la plénitude de la vie pour l’élever.
N’a-t-on pas récemment lancé la proposition d’installer une piscine sur le toit reconstruit de Notre-Dame de Paris ? Cette idée m’a semblé très à propos. Elle aurait symboliquement rétabli la coupole des eaux qui séparaient la terre du ciel au premier jour de la création, avant que ne se manifeste en elle l’image de Dieu (cf. Genèse 1,7). Elle aurait annulé, symboliquement encore, la déchirure du firmament du Baptême de Jésus, qui préfigurait une nouvelle manière d’être des hommes. Les derniers fragments de mystère rescapés à l’intérieur de l’église elle-même auraient été représentés sous les éclaboussures des corps occupés à se maintenir en forme. La métaphore aurait été éloquente.
Une fois disparu l’élan surnaturel du christianisme, que reste-t-il ? Un sentiment de bonnes intentions une série de commandements considérés comme oppressifs, puisque la finalité du changement auquel ils servaient a été rapidement évacuée.
On comprend aisément que s’amorce un mouvement pour les remiser au placard. Quel est encore leur but ? Devenue mondaine, l’Église s’est accommodée au monde et s’applique à pendre ses aises en interne. Ses prescriptions et ses interdits reflèteront et seront dictés par les coutumes courantes.
Ce qui exige une flexibilité continue, parce que les coutumes de la société séculière changent rapidement, même dans le domaine de la réflexion progressiste sur le sexe. Certaines idées présentées comme libératoires et prophétiques il n’y a pas si longtemps –par exemple sur la sexualité infantile – sont aujourd’hui considérées à juste titre comme aberrantes. Et pourtant de nouveaux prophètes sont oints hâtivement, de nouvelles théories sortent et sont expérimentées dans un domaine qui touche notre sphère la plus intime.
Il est temps d’opérer un « Sursum corda », de corriger une tendance à une horizontalité introspective pour récupérer la dimension transcendantale de l’intimité incarnée, qui fait partie intégrante de l’appel universel à la sainteté. Naturellement, nous devrons atteindre et impliquer ceux qui se considèrent mis à la porte de l’enseignement chrétien, ceux qui se sentent ostracisés ou qui pensent être forcés à respecter des standards impossibles. Mais dans le même temps, nous ne pouvons pas oublier que cette situation n’a rien de bien nouveau.
Aux premiers siècles de notre ère, il y avait une tension colossale entre les valeurs morales mondaines et les valeurs chrétiennes, surtout concernant la chasteté. Et cela non pas parce que les chrétiens étaient meilleurs que les autres – la plus grande partie d’entre nous, hier comme aujourd’hui, vit une vie médiocre – mais parce qu’ils avaient une compréhension différente du sens de la vie. C’était l’époque des subtiles controverses christologiques. Inlassablement, l’Église luttait pour formuler avec clarté qui est Jésus Christ : « Dieu né de Dieu » ou encore « né de la Vierge Marie » ; pleinement humain, pleinement divin. C’est sur cette base qu’on en est venu à donner un sens à ce que signifiait l’être humain et à montrer comment un ordre social humain pourrait se réaliser.
Aujourd’hui, la christologie est mise de côté. Nous affirmons encore que « Dieu s’est fait homme ». Mais nous nous appuyons en grande partie sur une herméneutique inversée, en projetant une image de « Dieu » qui naît de notre compréhension en seule « tunique de peau » (cf. Genèse 3,21) de ce qu’est l’homme. Le résultat est caricatural. Le divin est réduit à notre mesure. Le fait que de nombreux contemporains rejettent ce « Dieu » contrefait est à de nombreux aspects un indice de leur bon sens.