Catholique et présidant au chantier de la reconstruction de Notre-Dame, Jean-Louis Georgelin est décédé accidentellement le 18 août, lors d’une randonnée dans les Pyrénées. La messe de ses funérailles s’est tenue vendredi 25 août en la cathédrale Saint-Louis-des-Invalides, suivie d’un hommage national dans la cour d’honneur des Invalides conduit par le président de la République, qui a salué dans son éloge funèbre « sa force, la foi de celui qui croyait au Ciel » et incarnait la « voix de la France ». Le chef de l’État a annoncé à cette occasion que Notre-Dame retrouverait bel et bien le culte le 8 décembre 2024.
Homélie de Mgr Ulrich :
«« Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain ; si le Seigneur ne garde la ville, c’est en vain que veillent les gardes. » (Psaume 126)
Je n’ai pas de mal à imaginer que le Général Georgelin ait pu méditer ce verset du psaume 126, il était familier de la lecture régulière de l’Écriture, et nous en parlions quelquefois. Il ne m’appartient pas de porter un quelconque jugement sur sa carrière militaire et sur les grandes responsabilités qui lui ont été confiées au long des années. Je sais toutefois ce que l’on dit de de lui, comme un très grand serviteur de notre Nation et de l’État.
Cependant, ce verset que nous avons entendu psalmodier il y a quelques instants coïncide étonnamment avec les deux phases de sa vie qu’il nous est donné de regarder en ce jour.
Il a été un gardien vigilant dans les différentes charges qu’il a remplies.
Il aimait à répéter, je l’ai souvent entendu le dire : un militaire prend les moyens d’assurer sa compétence pour tenir le poste qui lui est assigné. Cela s’entend de toute responsabilité à exercer, et j’ai pu en juger au cours de ces quinze mois écoulés à son contact. Il ne cessait de chercher à apprendre : il lisait beaucoup, il faisait chercher les moindres archives qui pouvaient enrichir sa connaissance de Notre-Dame, il interrogeait tous les corps de métier qui interviennent sur ce chantier, il écoutait volontiers les nombreux collaborateurs – il se plaisait d’ailleurs à dire qu’ils étaient un millier à travailler pour Notre-Dame actuellement –, il se déplaçait partout où les entreprises préparaient dans leurs ateliers ce qu’elles viendraient installer dans la cathédrale au moment attendu. Il faisait visiter cet immense chantier avec goût et autorité à de nombreuses personnes concernées par ce travail immense ; il le connaissait avec précision, de haut en bas, d’est en ouest et du nord au sud, il connaissait les ouvriers, les compagnons, les chefs d’entreprises. Il saluait tout le monde avec grande attention, et chacun lui en témoignait reconnaissance et respect. C’est l’art d’un vrai chef compétent, proche et reconnu. Le verbe haut et coloré, le panache ne cachaient pas chez lui des lacunes ou des insuffisances comme cela peut arriver à quelque médiocre ambitieux, mais signalaient la très haute estime dans laquelle il tenait les responsabilités immenses qui lui ont été confiées.
Jean-Louis Georgelin, le « chêne » de Notre-Dame
C’est ainsi qu’il était dans son rôle de gardien de cette cathédrale qu’il aimait, où toutes ses qualités ont trouvé à s’épanouir au maximum, de façon certainement inattendue pour lui bien après la fin de sa carrière militaire. Il avait mis toutes ses forces physiques, toutes ses capacités intellectuelles et tout son engagement spirituel à servir, à servir au mieux, à servir fidèlement. Et il tenait les objectifs qui lui avaient été fixés, il était en train de tenir celui du calendrier imposé des cinq années pour, comme il le disait avec une verve mémorable, remettre à l’archevêque sa cathédrale afin que le culte catholique reprenne en s’accompagnant de l’accueil des millions de visiteurs.
Il se comportait comme un gardien scrupuleux de cet objectif, un gardien avisé de cette maison faite pour rassembler des peuples divers, un gardien zélé de cette demeure de Dieu dont il se trouvait provisoirement détenir les clés.
Mais l’image du bâtisseur également se révèle adaptée
Il n’était certes ni ingénieur ni architecte et il se gardait de paraître tel. Mais déjà on le voyait en bâtisseur d’une indispensable communauté de travail. Surtout, il méditait l’autre partie de chacune de ces deux phrases : « Si le Seigneur ne bâtit, si le Seigneur ne garde, c’est en vain que l’on construit, c’est en vain que l’on garde ! » »
Il n’a jamais fait mystère de sa foi et de sa pratique catholiques, même si les hautes fonctions publiques qu’il a exercées lui imposaient la réserve requise dans notre République. En réalité, c’est sa foi elle-même qui lui recommandait de ne pas se prendre pour un modèle : il avait conscience, conscience qui s’impose à tout croyant, de ses fragilités, de son indignité devant Dieu qui ne cesse de nous appeler, de nous relever. Il savait que tout le travail qui se fait peut être compromis ou retardé pour de multiples raisons que nous n’avons même pas besoin de décrire. Il savait que, toujours, c’est le Seigneur qui remet sur le chemin, qui rattrape, qui veille sur l’œuvre accomplie, qui bâtit et rend solide une vie. Il savait qu’il faut lutter souvent contre les obstacles et ceux qui les disposent plus ou moins volontairement, mais qu’il faut lutter davantage encore contre soi-même. Ne jamais se croire arrivé, ne jamais s’estimer impeccable, ne jamais désespérer, renouer les relations distendues, pardonner comme nous sommes pardonnés, redonner courage à ceux qui doutent ! Et il me disait : c’est tous les jours, c’est chaque semaine qu’il faut repartir, c’est épuisant. C’est un souci de tous les instants. C’est probablement la mission la plus belle que j’aie jamais exercée, mais aussi la plus rude, la plus difficile, c’est la prière qui me permet de tenir.
N’avait-il pas lu aussi, et médité, ce passage de la première lettre de saint Jean : « Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses » ? Il nous est bon d’avoir entendu ces mots il y a quelques minutes, nous qui pourrions quelquefois nous laisser aller à une sorte d’autosuffisance pourtant capable aussi de doute et de procrastination. Ses missions, il les recevait de l’autorité humaine qui les lui avait données ; mais il les exerçait sous le regard de Celui qui donne la vie, la croissance et l’être. Il était un homme d’autorité, mais pour fédérer les énergies ; il était un homme d’autorité, mais sous le regard de Dieu qui est le premier à nous donner vie et à nous faire confiance.
Ce n’est pas nous qui jugeons définitivement un homme. Mais au terme d’une vie, nous pouvons présenter à Dieu l’un de nos frères qui a été, selon notre appréciation, un bon et fidèle serviteur. Il a été de ceux qui ont beaucoup reçu et qui ont beaucoup donné. Il ne s’est pas réservé les qualités, les talents qu’il avait reçus. Il ne s’est pas contenté de les comptabiliser pour lui-même, de les exploiter pour son propre bénéfice ; il les a développés en vue du bien du plus grand nombre, en vue du bien de notre peuple, en vue du bien de l’Église et des fidèles, en vue du bien de tous ceux et toutes celles qui pourront bientôt découvrir ou redécouvrir la vraie richesse, le vrai trésor de la foi que contient la cathédrale Notre-Dame de Paris.
C’est dans cette grande procession de l’humanité qui cherche Dieu au cœur du monde comme dans une immense cathédrale, que nous remettons la vie du Général Jean-Louis Georgelin au Seigneur avec notre prière humble et confiante. »