Une « peine de souffrance à vie » ?
A peine l’ordonnance du vice-président du tribunal de Dijon refusant à Chantal Sébire le bénéfice d’un « suicide assisté » était-elle connue, que l’Association pour le droit de mourir dans la dignité dénonçait « une décision qui impose une peine de souffrance à vie ». Comme si la justice était responsable de la douleur et du désespoir de la malade.
C’est ainsi que l’affaire est médiatiquement exploitée. Le sentiment d’impuissance qui envahit toute personne devant le spectacle de cette femme au visage déformé est celui qui va l’inciter à se dire : « Mais oui, elle a raison : pourrais-je vivre, moi, avec une telle souffrance et si défiguré ? »
A coup sûr, si Chantal Sébire endurait toute la douleur qu’elle endure mais que cela ne se voyait pas sur son visage, il n’y aurait eu ni affaire, ni mobilisation, ni reportages télévisés, ni inflation de demandes pour qu’on « change la loi ». La manipulation est là. Mme Sébire en est la première victime.
La décision du tribunal de Dijon est conforme à la loi, même si l’on peut deviner, dans les propos du procureur sur « l’état actuel de la loi » rapportés hier par Rémi Fontaine, une sorte d’appel du pied. Mais ce changement ne semble pas à l’ordre du jour : même Roselyne Bachelot, de manière surprenante, avait déclaré qu’il « n’était pas question de revenir sur la loi Leonetti ou de la faire évoluer ».
Une réticence qui s’explique peut-être par l’histoire de l’euthanasie : on ne sait que trop son origine nazie, cette volonté de supprimer les faibles qui est bien pareille à celle qui se manifeste aujourd’hui dans l’avortement eugénique, mais de manière beaucoup plus voyante, plus évidente pour « l’opinion ».
Cette réticence-là ne pourra disparaître qu’à la vue de cas particuliers qui font pleurer le spectateur devant son petit écran… Les termes de l’ordonnance de rejet semblent l’annoncer : « Même si la dégradation physique de Mme Sébrire mérite la compassion, le juge en l’état de la législation française ne peut que rejeter sa demande », écrit René Jaillet (mais il rappelle aussi que la déontologie médicale empêche le médecin de « délibérément donner la mort »).
Mme Sébire ne fera pas appel, a laissé entendre son avocat, Me Gilles Antonowicz : trois mois d’attente, ce serait trop long.
Il a précisé : « On est dans une hypocrisie totale car il n’y a aucune différence entre la sédation terminale et celle qui provoquerait le coma. » Et il a parfaitement raison. Il y a une différence de manière seulement, et non de degré, entre l’euthanasie réclamée par Chantal Sébire (une euthanasie « active ») et celle qui lui est déjà offerte par la loi Leonetti (et dont elle ne veut pas). La loi permet de refuser l’acharnement thérapeutique, ce qui est de bonne morale. Mais elle autorise aussi la mise sous coma artificiel avec arrêt de l’alimentation du malade jusqu’à ce que mort s’ensuivre, une euthanasie par omission qui n’en est pas moins une mise à mort volontaire. Chantal Sébire veut « pouvoir faire la fête une dernière fois » avec ses enfants : « Et à l’aube, je veux m’endormir dans la paix et la sérénité. » C’est triste à mourir… Et c’est déjà, dans notre pauvre monde, le visage de demain.
Article extrait du n° 6551 de Présent, du Mercredi 19 mars 2008