Alors même que le Sénat italien était en plein débat à propos d’un texte qui aurait pu lui sauver la vie, Eluana Englaro, l’Italienne de 38 ans plongée dans un « coma végétatif » depuis 17 ans, à la suite d’un accident de la route, est morte lundi soir vers 20 heures. Brusquement – mais opportunément ? Son hydratation et son alimentation avaient été interrompues depuis vendredi – ou plutôt, selon des sources pro-vie américaines, « arrêtées graduellement ». Le Sénat a observé une minute de silence avant de reprendre la discussion d’un texte qui pourra, espère-t-il, protéger d’autres qu’Eluana d’une mise à mort semblable. Des veillées de prières ont été organisées près de la clinique « La Quieta » d’Udine où la jeune femme est morte.
« La mort d’Eluana clôt la polémique sur l’euthanasie », titrait mardi Le Figaro : il faut oser. Comme s’il n’y avait plus aucun problème de droit, de justice, de morale, de déontologie médicale.
Car l’affaire ne fait que commencer, et ses conséquences – dans un sens ou dans l’autre – seront profondes. Soit l’affaire Eluana permettra une prise de conscience, que l’Eglise appelle de ses vœux : Mgr Javier Lozano Barraga a donné le ton en déclarant : « Que le Seigneur l’accueille et pardonne à ceux qui l’ont conduite à cela. » Soit des instances de pouvoir italiennes, contrant la volonté de Silvio Berlusconi qui a tout fait pour empêcher que le crime soit consommé – comme le président Napolitano, ancien communiste, refusant de signer vendredi le décret ordonnant l’alimentation de la jeune femme – tirent argument de l’affaire pour promouvoir cette forme d’euthanasie par omission. S’appuyant sur une opinion italienne divisée, mais surtout manipulée à l’occasion de faits tragiques.
Le drame, le supplice vécus par ceux qui voient un proche dans une situation sans issue sont bien réels. Pour autant la vie – point fragile, puisqu’elle était en excellente santé – d’Eluana Englaro ne pesait pas sur sa famille : elle était soignée par des religieuses qui ne demandaient qu’à poursuivre l’administration des soins ordinaires qui lui permettaient de vivre. Tous ses organes fonctionnaient. Elle était simplement incapable de s’alimenter par ses propres moyens.
C’est pourquoi il n’est pas exagéré de parler de crime, et d’assassinat délibéré : l’alimentation et l’hydratation ne lui ont pas été refusées (à la suite d’une décision judiciaire obtenue par son père) parce qu’elles lui causaient du tort, ou la faisaient souffrir, ou parce qu’elles ne servaient plus à rien, mais dans l’intention expresse de causer sa mort.
Sa mort en moins de quatre jours ? Voilà l’aspect plus qu’étrange de cette affaire. Une heure avant son décès, le neurologue qui était aux côtés d’Eluana affirmait que tout se passait normalement et que la mort devrait intervenir dans les 12 ou 14 jours. La cause de la mort est quant à elle décrite diversement selon les sources : crise cardiaque à la suite de la déshydratation ? Détresse respiratoire ? A l’heure d’écrire, il n’est pas encore certain qu’une autopsie ait été ordonnée. Mais on s’interroge. Dans des cas similaires : Terri Schiavo aux Etats-Unis, Hervé Pierra en France, il avait fallu bien plus de temps avant que les forces ne quittent leurs pauvres corps abandonnés. Et Eluana était « en excellente santé ». Selon les mêmes sources pro-vie américaines, les artisans de la mort d’Eluana avaient prévu de lui administrer de lourds sédatifs.
En soins palliatifs, cela se défend. A une personne à l’agonie il est légitime d’administrer des calmants qui peuvent avoir pour effet indirect de hâter la mort. Dans les cas d’euthanasie par refus d’alimentation et d’hydratation, ces sédatifs sont théoriquement (dans la logique des euthanasieurs) inutiles, puisque par définition on tient que le patient ne souffre ni ne ressent rien. Mais l’objectif étant bien de faire mourir, pourquoi se priver de cet adjuvant ?
Ou bien il faut supposer que l’équipe qui a soigné (ou plutôt qui a refusé les soins) craignait tout de même qu’Eluana conserve une forme de conscience. Il y a un peu plus d’un an, une équipe de chercheurs britanniques n’affirmait-elle pas que dans 40% des cas, le diagnostic de syndrome végétatif persistant est erroné ? On compte désormais bien des exemples de personnes plongées dans un coma végétatif qui en sont sorties, totalement ou partiellement.
Le débat qui agite l’Italie (et qui n’est pas « clos » par la mort d’Eluana !) est assurément un signe d’espérance, puisque l’Eglise s’y exprime haut et fort, et est entendue. En France, la loi Leonetti permet déjà de considérer l’alimentation comme un traitement, un soin « médical » dont on peut s’abstenir s’il n’est pas susceptible d’apporter une « amélioration » de l’état du patient.
Source : Présent du 11 février 2009