En raison de l’actualité récente avec la promesse d’Emmanuel Macron de légiférer rapidement sur l’euthanasie, la CEF a remis en une une fiche de 2018 sur la fin de vie, proposée par le groupe de travail « bioéthique », de la Conférence des évêques de France. Il est tout de même dommage que ce texte ne fasse aucune référence ni au catéchisme (numéros 2276 à 2279), ni aux notes de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Jura et bona et Samaritanus bonus) :
- Éléments scientifiques et juridiques :
Depuis 1999, le législateur développe trois axes : l’accès aux soins palliatifs, la coresponsabilité médecin-patient, la prévention de l’acharnement thérapeutique.
Les soins palliatifs sont définis comme « des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage[1] ». La loi du 9 juin 1999 instaure un droit d’accès aux soins palliatifs à toute personne dont l’état le requiert. La loi du 22 avril 2005 (« Loi Léonetti ») demande l’inscription obligatoire d’un chapitre soins palliatifs dans les contrats pluriannuels conclus entre les établissements de santé et les autorités publiques de tutelle. La loi du 2 février 2016 (« Loi Léonetti-Claeys ») insère un enseignement sur les soins palliatifs dans « la formation initiale et continue » des professionnels de santé (article 1). La mise en œuvre de l’accès aux soins palliatifs est appuyée par des plans pluriannuels mais reste insuffisante[2], malgré les recommandations du Comité Consultatif National d’Éthique (cf. Avis n°108).
La loi du 4 mars 2002 instaure une co-responsabilité médecin-patient : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé… Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment[3]. » Au cas où le patient et hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin, avant toute intervention ou investigation, doit consulter la « personne de confiance » désignée à l’avance par le patient, ou la famille, ou à défaut l’un de ses proches.
La loi du 22 avril 2005 ajoute à ce dispositif la possibilité pour toute personne majeure de « rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté ». Elle renforce le rôle de la « personne de confiance ». Elle rend obligatoire une « procédure collégiale » avant que le médecin ne décide la limitation ou l’arrêt d’un traitement susceptible de mettre en danger la vie d’un malade hors d’état d’exprimer sa volonté. Enfin, elle donne au patient la possibilité de refuser ou d’interrompre tout traitement. Le médecin doit cependant s’efforcer de le convaincre d’accepter « les soins indispensables ».
La loi du 2 février 2016 (avec ses décrets d’application du 5 août) accentue l’autorité du patient, en décidant que les directives anticipées s’imposent au médecin, sauf en cas d’urgence vitale ou si le médecin, après une procédure collégiale, estime qu’elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (article 8).
Pour éviter l’acharnement thérapeutique, dans la ligne de la loi de 2002, la loi de 2005 ajoute au devoir de ne pas engager des « soins disproportionnés » celui d’éviter « l’obstination déraisonnable[4] ». Lorsque la souffrance devient trop lourde à porter « en phase avancée et terminale d’une affection grave et incurable », la loi permet même au médecin, s’il n’y a pas d’autre moyen de soulager la souffrance, de mettre en œuvre une sédation[5] qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie du patient. La loi de 2016 autorise à certaines conditions « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès ». Elle est alors accompagnée d’une analgésie, c’est-à-dire du traitement de la douleur.
Selon le CCNE, le débat est à nouveau ouvert sur la légalisation de l’assistance au suicide.
- Questions anthropologiques et éthiques
La loi de 2016 a été votée alors que l’application de la loi précédente de 2005 était loin d’être généralisée. Plus que d’aller vers une nouvelle loi, il faut assurer la bonne application de la loi actuelle toute récente, d’abord dans le sens du développement d’une véritable culture palliative. Les soins palliatifs sont l’expression d’une médecine respectueuse du patient en fin de vie, qui considère sa dignité comme inaliénable[6]. Ils sont « essentiels » à la pratique médicale[7]. Ils passent par un dialogue régulier entre les soignants, les patients et leurs proches, ainsi qu’à l’intérieur de l’équipe médicale elle-même. C’est dans un tel dialogue que l’application des « directives anticipées » pourra être au service du patient. Pour favoriser le temps nécessaire à l’accompagnement et au colloque singulier, le système de financement actuel qui favorise les activités posées devrait être revu[8].
La loi de 2016, en légiférant explicitement sur la pratique médicale exceptionnelle d’une « sédation profonde et continue » jusqu’au décès, renforce l’exigence des bonnes pratiques en ce domaine, pour éviter toute confusion entre une sédation d’accompagnement de la fin de vie et une sédation qui provoque délibérément la mort. D’autant plus quand cette sédation est accompagnée de traitements antalgiques ainsi que de l’arrêt de la nutrition et de l’alimentation. À ce sujet, la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs a publié des documents de référence[9].
Le débat est donc relancé sur l’assistance au suicide. Selon le CCNE, cette pratique consiste « à donner les moyens à une personne de se suicider elle-même ». Elle mobilise l’intervention d’autrui mais « fait peser sur la personne qui la demande la responsabilité de l’acte final[10] ». Ce serait une « assistance pharmacolo-gique au suicide[11] », puisque la présence du médecin n’est pas requise lors de l’absorption volontaire de la substance létale préalablement délivrée.
La demande de sa légalisation repose d’abord sur la volonté de respecter l’autonomie du patient. Or, l’autonomie ne peut être une valeur absolue qui isole le patient : « L’être humain, dès le début de son existence est un “être en relation”. L’autonomie est relationnelle. Elle s’exerce librement dans la remise de soi confiante à un autre qui demeure attentif au respect intégral de sa dignité. La faiblesse éprouvée fait encore plus appel à la relation et à la confiance[12]. » On invoque ensuite des agonies particulièrement pénibles. Pourtant « l’agonisant ne demande en général pas à mourir. Inconscient, même s’il râle, il ne souffre le plus souvent plus[13] ». Il est vrai qu’une agonie qui dure peut devenir intolérable pour la famille. Mais faut-il mettre fin à la vie de l’agonisant pour soulager les proches ?
L’autorisation de l’« assistance au suicide » créerait « une brisure délibérée du lien social[14] ». Elle serait en contradiction avec les efforts déployés pour la prévention du suicide (voir l’O.N.S.), et risque d’enfermer les personnes concernées dans le désespoir. Elle impliquerait une coopération des soignants et des pharmaciens à un acte entraînant la mort, et à une reconnaissance implicite de la perte de dignité du patient. Or, il convient toujours d’encourager une « proximité responsable » qui prenne soin de la personne dans sa dignité sans abréger sa vie et sans s’acharner inutilement contre sa mort[15].