Le père Luc de Bellescize, prêtre du diocèse de Paris, signe une tribune dans Famille chrétienne, pour rappeler que les prêtres ne sont pas seulement imbus de cléricalisme…
[…] Je ne suis pas un prêtre habituellement en soutane, j’ai rarement célébré la Messe de saint Pie V (occasionnellement pour mon grand-père lefebvriste, qui est retourné à Dieu) et je me suis efforcé depuis treize ans de servir l’Église dans des missions parfois délicates. Comme tant et tant de mes frères prêtres. Mon admiration va vers ceux qui sont les plus cachés, les plus obscurs, les plus silencieux, et qui portent avec courage le poids du jour et de la chaleur.
On peut demander beaucoup de choses à un prêtre. Travailler toujours davantage, se sanctifier, veiller sur sa conduite, se convertir quand il est infidèle, mourir s’il le faut en témoin du Christ. Mais il a besoin pour cela de savoir d’où il vient et quel mystère sublime il porte dans le vase fragile de son humanité. Celui de pardonner les péchés au Nom du Seigneur, celui de faire descendre son Corps très saint dans ses pauvres mains. J’ai lu plusieurs conclusions des travaux préparatoires du synode sur la synodalité. Elles appellent un discernement critique vigilant et sans démagogie. Certaines, constructives et enrichissantes, vont dans le sens d’une plus grande reconnaissance de la place particulière des femmes dans l’Église, d’un souci accru des plus fragiles et d’un accueil généreux de ceux qui se sentent exclus de son Corps. Beaucoup d’autres propositions sont le signe d’une méconnaissance profonde de la catéchèse la plus fondamentale et semblent un mauvais copié-collé des années 70, sans même aller dans les idées les plus contraires à l’unité bimillénaire de la Tradition qui nous vient des apôtres. Ainsi celle de faire prêcher les laïcs à la Messe et particulièrement les femmes, qui ne rend pas compte de la place particulière du prêtre dans l’unité de l’acte liturgique comme représentant, au sens fort du terme, malgré sa faiblesse, du Christ époux de l’Église, ou celle d’un diaconat féminin, lubie contemporaine détachée de toute obéissance à la Tradition apostolique, ou encore celle d’un accueil « inconditionnel » envers tous – divorcés remariés, personnes homosexuelles etc. -, ce qui est louable, mais qui ne va jamais de pair avec un appel à la conversion, lequel concerne chacun, et moi le premier.
Il est temps de le redire à ceux qui demeurent dans une idéologie aveugle. Le progressisme est une vieille lune qui ne survivra pas à son éclipse. Les propositions « progressistes » ne sont aucunement portées par la jeunesse fervente qui demeure fidèle à nos communautés, et qui n’a – on peut le déplorer – que très peu participé au synode. Pour Paris, sur l’ensemble des participants, seulement 14% ont entre 20 et 35 ans… Par désintérêt sans doute, par manque de temps à y consacrer, et parce que leurs questions sont ailleurs que dans des tables rondes qui leur paraissent davantage, en partie à tort, le remplissage fastidieux de carnets de doléances que de vrais élans enthousiastes et missionnaires. Ce type de propositions n’est pas non plus porté par les fidèles des milieux vraiment populaires, comme les communautés antillaises ou d’origine africaine, qui renouvellent avec bonheur nos paroisses, dans une piété joyeuse et fervente.
La conclusion est simple. Toute volonté d’aligner l’Église sur le monde et ses évolutions contribuera à aggraver sa destruction et à affadir sa force. « Si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-on ? » (Mt 5, 13). Le monde finira toujours par se retourner pour mieux déchirer ceux qui s’emploient servilement à le flatter. « Nous ne voulons pas de rupture, écrit le pape François dans la revue Communio, mais une impulsion spirituelle. Nous voulons être clairvoyants et attentifs aux signes des temps, tout en sachant qu’ils ne doivent pas être confondus avec l’esprit du temps ». Il suffit de voir, sans qu’il soit besoin de les nommer, ces régions du Nord de l’Europe où les axes pastoraux choisis depuis des décennies ont abouti à de vrais déserts spirituels et un anéantissement quasi-total des vocations consacrées. On y cueille parfois quelques fleurs éparses dans de grands cimetières, car la « petite fille espérance » de Péguy se faufile toujours entre les ombres… Mais le bilan est consternant.
Pourquoi cette déréliction ? Parce que toute vraie réforme ne peut que s’abreuver à la source et s’ancrer dans une fidélité plus grande à la parole du Christ telle que nous l’a transmise la Tradition vivante. Où sont aujourd’hui les foyers qui demeurent vivants dans l’Église et participent de son rayonnement missionnaire ? Ils se trouvent chez les familles ferventes, chez les scouts qui ont gardé une foi vécue et fidèle, chez des jeunes à la frontière entre le renouveau charismatique et l’amour de la tradition, y compris liturgique, chez les serviteurs souvent cachés de l’humble charité chrétienne. Chez ceux qui ont découvert ou redécouvert la foi, touchés par la joie de croire que ces lieux de vie manifestent. N’est-ce pas simplement vrai ? « Qu’avons-nous besoin de plaire quand on est vrai ? » disait le martyr saint Justin. Il y avait 30 000 jeunes scouts unitaires de France à Chambord dans un silence recueilli lors de la Messe de la Pentecôte, 15 000 fidèles au pèlerinage de chrétienté, 8000 adolescents au FRAT qui se sont confessés nombreux et ont loué le Seigneur. Là est la source vive, dans la diversité des grâces et des charismes. Et nous avons besoin de tous.
Toute la vie de l’Église tient dans le mystère eucharistique. Sans l’Eucharistie il n’y a pas d’Église et sans prêtre il n’y a pas d’Eucharistie. « L’Eucharistie fait l’Église et l’Église fait l’Eucharistie » disait le cardinal de Lubac. L’Église tient par le Haut. Par le Très-Haut qui s’est fait le très bas… Ce n’est pas « de la base » que vient la vérité de la foi, mais d’abord de la Révélation que le Seigneur fait de son mystère tel qu’il nous a été transmis par ceux qui ont porté jusqu’à nous la Parole de Vie. Nous sommes des nains juchés sur les épaules des géants. « J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l’ai transmis » écrit l’apôtre Paul (I Co 15, 3).
« Voyez votre dignité, frères prêtres, écrivait saint François d’Assise, et soyez saints parce qu’Il est saint. Plus que tous, à cause de ce ministère, le Seigneur Dieu vous a honorés ; plus que tous, vous aussi, aimez-le, révérez-le, honorez-le. Grande misère et misérable faiblesse si, le tenant ainsi présent entre vos mains, vous vous occupez de quelque autre chose au monde. » Le Seigneur est là, parmi nous, voilé sous l’apparence du pain. « Il est là », disait le saint curé d’Ars. Et il ajoutait : « Que le prêtre est quelque chose de grand ». Est-ce du cléricalisme, ces paroles de si grands saints ? Ne seraient-ils pas condamnés aujourd’hui dans une Église qui semble douter d’elle-même et du mystère sublime qu’elle porte en elle ? Car on entend sans cesse que le « cléricalisme » est le grand danger de la vie de l’Église. Nous avons de moins en moins de prêtres en France, les vocations sont en berne et nous agitons le fantôme du cléricalisme comme un épouvantail à moineaux… Il vaudrait mieux rendre le prêtre plus conscient de la grâce extraordinaire qu’il porte en lui plutôt que de l’accuser d’accaparer le pouvoir… Là où un prêtre est vraiment un homme de Dieu, un serviteur du Seigneur au milieu des hommes, là où il consent profondément au mystère qui se déploie dans sa faiblesse, il ne sera pas tenté de justifier le despotisme sous l’argument du sacré. Le grand danger qui guette l’Église est la mondanité, qui consiste à affadir les vérités éternelles et à se laisser mener par l’esprit du siècle. L’Esprit Saint souffle rarement dans le sens de l’air du temps. Le seul vrai danger est d’oublier l’obéissance de la foi à Dieu qui se révèle et la fidélité à nos pères.
« Venez vous abreuver à la source cachée » disait sainte Thérèse Bénédicte de la Croix. Nous sommes du sang des martyrs et des grands témoins de la foi. Toute réforme qui ne se plonge pas dans cette source de vie ne portera pas les fruits espérés. Toute réforme qui prétendrait rénover l’Église par un « grand bond en avant » détaché de cette source ne pourra qu’aboutir à lui faire perdre son sel et sa lumière. Alors nous pouvons redire à nos évêques, et à notre Saint Père le Pape, que nous sommes là, que nous les aimons « dans le respect et l’obéissance » comme nous l’avons promis à notre ordination, et que nous ne quitterons jamais le navire, en fils obéissants de l’Église. Mais que nous avons besoin pour notre sacerdoce d’une parole « constructive, et bienveillante » (Ep 4, 29), que nous avons besoin de pères attentifs qui nous affermissent dans la foi au milieu des épreuves de notre vie sacerdotale, afin de demeurer, ou de retrouver, pour beaucoup d’entre nous, la joie d’avoir tout donné à l’Église notre Mère, pour la gloire de Dieu et le Salut du monde.