Cette Cité humaine, cadre nécessaire de la vie de l’humanité, a été voulue et créée par Dieu lui-même, en même temps qu’il créait l’homme au commencement. Comme l’exprime la Genèse en une phrase qui résume cette nécessité de la société pour l’homme : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn 2, 18). Aristote fait à ce propos une remarque profonde : « L’homme qui vit hors de la société est soit une bête, soit un Dieu ». La misanthropie complète signe un état infra-humain. Quant à l’érémitisme, il s’agit d’un état que prend pour un temps un homme qui a déjà tellement reçu de richesses de la société humaine qu’il peut s’en affranchir provisoirement pour s’adonner à des réalités plus hautes, exclusivement divines. Mais l’état normal, l’état ordinaire de l’homme est de vivre en société : c’est d’ailleurs ce à quoi sa nature le pousse, et Robinson, sur son île déserte, ne désire qu’une seule chose, retrouver la compagnie des hommes.
La première conséquence de ces quelques remarques est qu’il nous est à la fois impossible et interdit de nous désintéresser de cette société humaine qui est notre cadre naturel, quels que soient les défauts, criants, qui altèrent aujourd’hui cette société : permissive, décadente, immorale, oppressive, totalitaire, etc. Nous ne pouvons pas nous réfugier, purement et simplement, dans la vie individuelle, familiale, amicale. D’une part, c’est impossible, puisque nous sommes immergés dans cette société humaine comme le poisson est immergé dans l’eau. D’autre part, c’est injuste, puisque nous devons d’exister et d’être nous-mêmes, non seulement à nos parents, mais bel et bien à la société humaine, de qui nous avons reçu et recevons chaque jour tant de biens essentiels, pour lesquels nous devons en justice rendre et restituer d’une manière ou d’une autre.
La seconde conséquence, c’est que la société humaine, créature de Dieu, doit obligatoirement, comme toute créature, revenir vers Dieu, être orientée vers Dieu, être constituée et fonctionner selon le plan de Dieu. Certes, cela passe par la médiation des réalités créées, selon leur genre propre. Le garagiste, devant une voiture en panne, ne doit pas se contenter de prier sous prétexte de soumettre à Dieu son travail, il doit appliquer les règles de la mécanique afin de réparer effectivement cette voiture « pour la plus grande gloire de Dieu ». Mais, qu’il s’agisse de mécanique ou de l’organisation de la Cité terrestre dans son ensemble, et tout en respectant les médiations créées, il faut que toute créature soit soumise à Dieu et orientée ultimement vers lui. Et comme le seul Dieu qui existe est Notre Seigneur Jésus-Christ, il faut que toute créature, et au premier chef la Cité humaine, soit soumise au règne du Christ-Roi.
Nous disions la fois dernière qu’il est nécessaire, dans la situation actuelle de l’Église, d’avoir un lien profond avec les prieurés de la Fraternité Saint-Pie X, qui sont aujourd’hui comme nos paroisses et nos bastions de chrétienté. Cela ne signifie nullement, ainsi que le voudraient les anticléricaux, que les catholiques de Tradition doivent « s’enfermer dans la sacristie ». Bien au contraire ! Les fidèles catholiques doivent œuvrer au cœur de la Cité humaine, travailler à l’améliorer selon la mesure de leurs possibilités, et au final chercher à orienter cette Cité vers le règne du Christ-Roi.
Extrait de l’éditorial de l’abbé Benoît de Jorna, Lettre aux Amis et Bienfaiteurs de la Fraternité Saint-Pie X (n°91)