Dans Le Figaro, Jean-Marie Guénois revient sur le conflit qui oppose Rome à l’évêque de Fréjus-Toulon :
[…] Rome fait pression pour que l’évêque, Mgr Dominique Rey, 69 ans, en charge depuis vingt-deux ans, démissionne. Le 29 mai, le Vatican a suspendu les ordinations de quatre prêtres et six diacres prévues fin juin. Un évêque coadjuteur, d’une autre sensibilité, pourrait être rapidement nommé à ses côtés, avec droit de succession. Méthode radicale que François a déjà appliquée dans le diocèse de Ciudad del Este, au Paraguay, en août 2014. À un mois d’intervalle, la suspension de l’évêque avait suivi celle des ordinations.
À Fréjus-Toulon, cependant, le dossier couve depuis longtemps. Deux visites apostoliques ont été confiées l’an passé à deux évêques français : l’une touchait le séminaire avec Mgr Sylvain Bataille, évêque de Saint-Étienne ; l’autre, commandée par Rome, concernait le diocèse avec Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, et désormais cardinal. Elles suivaient une lettre que le cardinal Marc Ouellet, canadien et préfet de la Congrégation des évêques, avait adressée à Mgr Rey avec « douze points » de vigilance et de réformes qu’il devait mettre en oeuvre.
Une source romaine parfaitement informée du dossier explique : « Mgr Rey est respecté pour son action missionnaire inlassable, mais il a la réputation de ne pas toujours tenir compte des remarques qui lui sont faites. La décision de suspendre les ordinations n’est pas un coup de tête ; elle vient après des années de discussions non suffisamment suivies d’effets. Un point sensible : il est aujourd’hui de règle dans l’Église de ne pas accueillir et ordonner des séminaristes rejetés d’un autre diocèse ou d’un institut. Or Toulon accueille largement des candidats au sacerdoce sans tenir compte des réserves des évêques ou supérieurs religieux qui ne les ont pas admis à poursuivre vers le sacerdoce. Du coup, c’est le discernement et la gouvernance de l’évêque qui sont mis en cause à Rome, et non les questions tradi . »
Effectivement, parmi les cinquante mouvements et associations en oeuvre dans le diocèse, environ cinq sont ouvertement de sensibilité tradi et admises à condition de respecter pleinement le concile Vatican II et sa liturgie. Quant aux cinquante instituts religieux établis à Fréjus-Toulon, aucun ne serait de rite traditionaliste. De fait, une autre source a été témoin direct de « l’accueil chaleureux » qui a été longtemps réservé à Mgr Rey dans les dicastères romains : « On lui demandait d’accueillir des dossiers de prêtres à sensibilités traditionalistes. Ce qu’il faisait pour rendre service au Vatican, qui le lui reproche aujourd’hui ! » Le fait que Mgr Rey ait présidé le pèlerinage traditionaliste Populus Summorum Pontificum au Vatican en 2019, en plein synode pour l’Amazonie, l’a toutefois desservi. De même sa participation, en juillet 2016, à un congrès à Londres pour la redécouverte de la liturgie « ad orientem » (dos aux fidèles). Mais un proche de Mgr Rey, qui le connaît depuis très longtemps, ajoute : « Il n’est pas traditionaliste. Il a même dû apprendre à célébrer en latin ! Il est resté profondément charismatique. Il accueille et considère que l’Esprit saint confirmera ou non le charisme de celui qui arrive. Il ouvre donc, il soutient, il lance et fait confiance, mais il ne suit pas suffisamment les dossiers. Il est parfois trahi dans sa confiance. Tout ceci lui vaut aujourd’hui des ennuis. »
C’est donc l’ensemble de l’expérience de ce diocèse-laboratoire d’Église qui finit par inquiéter Rome, même si le Vatican reconnaît et salue des fruits hors norme : 40 séminaristes, 250 prêtres, des propositions spirituelles à foison assorties d’une forte exigence d’action sociale pour les pauvres.
Mais vouloir intégrer toutes les sensibilités peut tourner à la tour de Babel. Et quand on cherche des problèmes pour viser quelqu’un, on les trouve. Surtout que Mgr Rey, cavalier seul dans l’épiscopat, a parfois donné des leçons à ses confrères évêques, parmi lesquels il ne compte pas que des amis.
II y a tout d’abord sa personnalité. Il y a aussi, comme dans tous les diocèses, des problèmes financiers et quelques prêtres à problèmes de moeurs : « Trois dossiers sont à Rome, et ils ont été transmis selon la règle aux autorités civiles » , assure le diocèse. Plus spécifiques à Toulon, quatre instituts ont posé ou posent des questions avec des traitements en cours : l’association Point Coeur, le monastère Saint-Benoit à Brignoles, la communauté Marie Reine des Apôtres, la Fraternité Eucharistein.
En réalité, Rome a frappé, mais Rome semble encore hésiter : écarter un évêque marchant hors des sentiers battus, qui n’est pas sans défaut mais qui a prouvé, comme peu d’évêques, que « l’évangélisation » n’était pas qu’un beau discours, découragera en France, terre de laïcité, nombre de catholiques, clercs et laïcs, qui sont loin des débats idéologiques et très engagés pour l’Église. Casser cette rare dynamique, sauf scandale majeur inconnu, rendrait François une nouvelle fois très incompris.