Très répandue, souvent « involontaire » et souvent illégale : telle est la pratique de l’euthanasie aujourd’hui en Belgique, aux termes d’une étude de l’universitaire israélien Raphaël Cohen-Almagor commentée par le site de veille bioéthique australien BioEdge.
Dans un long article publié dans Issues in Law & Medicine,le chercheur basé à l’université de Hull, au Royaume-Uni, pointe les insuffisances du suivi de l’euthanasie légale en Belgique, dont les critères, rappelés ici sur le site Généthique, sont loin d’être mis en œuvre. C’est l’analyse, il faut le noter, d’un universitaire qui n’est pas par principe opposé à l’euthanasie.
Preuve, s’il en fallait, que l’« encadrement » de la transgression euthanasique n’est pas une garantie que la transgression ne se pratiquera que dans ce cadre…
L’euthanasie est devenue légale en Belgique en 2001, entre autres pour faire suivre le fait par le droit – une étude datant de 1998 affirmait en effet que près de 1.3 % des décès dans le pays était attribuables à l’euthanasie volontaire ou au suicide médicalement assisté. Mais près de deux fois plus de décès (3,3 % des morts totales) étaient consécutifs à l’administration de substances létales sans consentement du patient. L’auteur qualifie cette procédure d’« euthanasie involontaire ».
La situation est aujourd’hui confuse, indique l’étude de Raphael Cohen-Almagor. Peu de choses semblent avoir changé depuis l’entrée en vigueur, si ce n’est que les médecins ne craignent plus d’être poursuivis s’ils accèdent aux demandes euthanasiques de leurs patients. Mais d’emblée les conditions posées par la loi furent bafouées puisqu’un médecin devait se fonder sur ses dispositions pour pratiquer une euthanasie dans les 8 jours de la demande, alors qu’un délai d’un mois est prévu entre la demande et l’exécution (dans tous les sens du terme).
L’aspect le plus intéressant de l’étude concerne sans aucun doute la pratique de la « sédation terminale » ou palliative, que j’ai évoquée ici et ici à propos des Pays-Bas. Elle consiste à maintenir le patient dans un état d’inconscience jusqu’à sa mort, dans une procédure qui ne requiert pas le consentement du patient. En Belgique et aux Pays-Bas, la pratique est définie dans le langage commun comme une « euthanasie lente » mais légalement elle n’est pas considérée comme une euthanasie et n’est donc soumise à aucun des critères de prudence fixés par les lois.
Selon l’un des médecins interrogés par le chercheur, la moitié des morts en unités de soins intensifs sont consécutives à des « sédations terminales », conçues comme la voie médiane entre l’euthanasie et l’arrêt de soins. Soit 8 % des morts totales en Belgique.
La loi ne s’exprime pas du tout sur cette pratique alors que des questions morales se posent (qui ne sont pas abordées dans l’article). Arrêter un acharnement thérapeutique et rendre inconscient un patient véritablement mourant en proie à de terribles souffrances n’est pas condamnable ; mais arrêter tous les soins, y compris les soins ordinaires, pour rendre inconscient et ainsi « programmer » la mort peut l’être. La question de l’information du patient se pose également : a-t-on le droit d’« endormir » un patient sans le prévenir et sans qu’il puisse exprimer ses dernières volontés, revoir ses proches… demander le Sacrement des malades ?
L’étude indépendante de Raphael Cohen-Almagor pose beaucoup d’autres questions, comme celle de l’attitude que doit adopter un médecin face à un patient en fin de vie. A-t-il le droit d’engager avec lui une conversation sur l’euthanasie ? La loi reste muette sur ce point, or dans la pratique il apparaît que bien des médecins sont favorables à ce que l’initiative de cette conversation soit prise par l’homme de l’art, et que nombre d’entre eux l’ont déjà fait. Or ce fait peut agir de manière incitative, en donnant au malade l’impression qu’il n’y a plus rien à faire, qu’il n’y a plus moyen de le soulager, et que la mort est l’issue la plus souhaitable.
Enfin, l’étude souligne que la tendance générale en Belgique est à l’extension de l’euthanasie légale aux inconscients, aux déments, aux mineurs, aux personnes présentant un « état végétatif persistant ». Il faudra y revenir.
Quel terrible situation. Nous sommes encore à l'abri en France, espérons pour longtemps…
“ce fait peut agir de manière incitative, en donnant au malade l'impression qu'il n'y a plus rien à faire, qu'il n'y a plus moyen de le soulager”
Il me semble que le médecin est la personne la mieux placée pour savoir si il y a encore “quelque chose à faire” ou non, précisément. Il est à ce moment de son devoir de le faire savoir au patient, car l'euthanasie représente alors un moyen de soulagement!
Qu'un médecin puisse parler de la mort avec un patient est très sain, mais que cette même idée fasse grincer des dents témoigne d'une peur irrationnelle de l'euthanasie et d'un rejet primaire de l'idée de la mort qui, pourtant, fait bel et bien partie de la vie.