La Porte Latine (Abbé Philippe Bourrat, FSSPX) rend hommage à l’abbé Hubert Fleury, prêtre du diocèse de Nevers, rappelé à Dieu début mai.
L’abbé Fleury a été ordonné prêtre en 1957 et a été nommé en 1963 curé de Marzy à quelques kilomètres à l’ouest de Nevers (58). Il a conservé jusqu’ici la messe traditionnelle dans sa paroisse, bien qu’elle ait perdu son statut de paroisse en 2015. Il faisait parti des derniers représentants ayant traversé cette époque. Sa proximité avec la Fraternité Saint-Pie X a compliqué la relation avec son évêque, bien qu’il soit toujours resté prêtre du diocèse de Nevers.
La maladie a eu raison de son courage et de sa ténacité qui lui donnaient toujours l’espoir de retrouver son église, sa paroisse Saint-André.
Il y avait célébré sa première messe dominicale le 29 septembre 1963, fête de saint Michel, nommé par Mgr Patrice Flynn (1874-1970), l’évêque de Nevers qui l’avait ordonné prêtre le 29 juin 1957, après avoir suivi ses études ecclésiastiques au grand séminaire de Nevers. 65e année de sacerdoce, 59e année de présence à Marzy ! Cette fidélité sacerdotale force le respect et oblige tous ceux qui l’ont connu à une expression de gratitude, à des prières pour le repos de son âme, à un hommage pour le courageux et vaillant défenseur de la foi que fut l’abbé Fleury.
Nombreux furent d’ailleurs les paroissiens et anciens paroissiens venus prier pour lui le jour de ses obsèques, le 23 mai 2022, la messe étant célébrée par l’abbé Dominique Rousseau (prêtre ayant appartenu à la FSSPX et lui-même ancien paroissien de Marzy). Ayant moi-même fréquenté régulièrement cette paroisse de 1975 jusqu’à mon entrée au séminaire (1993) et mon ordination sacerdotale (1999), je ressens la perte que connaissent les derniers fidèles de tous âges qui l’auront connu et assisté jusqu’à sa mort. Je mesure aussi ce que je dois à ce prêtre, à cette paroisse, à cette église de Marzy. De nombreux souvenirs se bousculent et remontent à ma mémoire, des visages, des noms de fidèles qui nous ont quittés, mais aussi de tous ceux qui se sont dévoués jusqu’au bout dans cette vie paroissiale, une paroisse unique, brûlant de la flamme vivante du culte catholique, étonnante survivance d’un temps disparu.
Nous garderons de l’abbé Fleury le souvenir de la grande dignité avec laquelle il célébrait la sainte messe, dans une certaine intemporalité, une suspension du temps, comme un lien tangible avec l’éternité, loin de ces messes précipitées qui dénotent une routine ecclésiastique chez certains prêtres oublieux de la réalité sacrée qu’ils accomplissent. Recueillement et profondeur dans l’accomplissement des gestes liturgiques, attention aux textes et méditation du chant grégorien dont il était épris et qu’il cherchait à communiquer… il est difficile de résumer les impressions qui se dégageant de ce que nous avons connu à Marzy.
Lorsque l’abbé Fleury est arrivé dans sa paroisse en 1963, c’était l’époque du concile Vatican II (1962-1965). Le pape Jean XXIII venait de mourir en juin 1963 et le Cardinal Montini lui avait succédé au Souverain Pontificat, quelques jours plus tard. Le nouveau pape Paul VI prépara alors la deuxième session du concile et très vite « l’esprit du concile » souffla sur l’Eglise, enchaînant l’abandon de tout ce qui constituait la vie traditionnelle de l’Eglise : catéchisme, sacrements, esprit de mortification, culte des saints… Un tourbillon révolutionnaire ringardisait la pratique religieuse des paroisses et chacun y ajoutait une touche personnelle de sa créativité liturgique.
Les rares paroissiens de l’église Saint-André de Marzy venus accueillir leur nouveau prêtre ce 29 septembre 1963 ne se doutaient pas qu’ils allaient connaître l’une des plus longues présences de quasi curé à la tête de leur clocher. Ils ignoraient que l’église romane du XIIe siècle dédiée à saint André deviendrait un lieu de préservation de la messe traditionnelle quelques années plus tard, mais aussi la dernière paroisse diocésaine à garder la messe dite de Saint Pie V, contre vents et marées, en l’occurrence épiscopaux, défendant avec le culte catholique l’esprit de paroisse, la solennité du culte dominical et, pendant des années, les vêpres chantées.
En septembre 1963, le nouveau venu venait de fêter ses 30 ans et déjà 6 ans de sacerdoce. En première affectation, il avait été nommé professeur au petit-séminaire de Nevers, puis vicaire à l’église Saint-Jacques de Cosne-sur-Loire, ensuite aumônier du collège catholique de Saint-Didier-en-Velay. Enfin, il avait rejoint la cathédrale d’Auxerre, comme vicaire, où il retrouvait Mgr Frédéric Lamy (1887-1976), archevêque de Sens-Auxerre qui prendrait sa retraite fin 1962 et qui avait joué un rôle décisif dans sa vie spirituelle.
Dans toutes les églises, les réformes liturgiques se succédaient rapidement, touchant des usages antiques, déroutant et choquant bon nombre de fidèles, conduisant le clergé à toujours plus d’audaces « progressistes », irrespectueuses du sens de la foi des chrétiens et de la Tradition bimillénaire de l’Eglise. L’abbé Fleury entra lui aussi dans le mouvement mais il se rendit compte rapidement qu’avec la nouvelle messe de Paul VI (1969) la foi était sérieusement mise en danger. Il comprit la dérive et réagit. Tout ce qui avait préparé cette messe imprégnée d’idées protestantes rongeait peu à peu la sève de la vie chrétienne, corrompait la foi tout simplement, constituant une menace pour le salut des âmes. Et parce que l’expression de la liturgie est en lien étroit avec le contenu de la foi, il se résolut à renouer avec la liturgie traditionnelle de l’Eglise et ne l’abandonna plus, jusqu’à sa dernière messe, célébrée le 1er mai 2022.
Il se fixa sur la liturgie romaine qui, d’une part, empruntait aux temps précédant le mouvement liturgique du XXe siècle et, d’autre part, était marquée par l’influence bénédictine qui l’avait touché au point de devenir oblat de la Pierre-qui-Vire (abbaye fondée en 1850 par le Père Jean-Baptiste Muard, dans l’Yonne, au diocèse de Sens-Auxerre) et qui lui avait fait songer étant jeune à la vocation monastique. L’abbé Fleury en avait toujours gardé le goût du chant grégorien et de la psalmodie. Le chant de l’office de Tierce précéda longtemps la messe dominicale à Marzy.