Homélie de Mgr Laurent Ulrich à Saint-Sulpice lors de sa messe d’intronisation :
Ces lectures du temps pascal ne cessent pas de nous mettre au cœur de notre vocation chrétienne ; elles nous donnent toujours beaucoup de joie et nous stimulent. Accueillons-les !
Nous demeurons toujours frappés de ce refrain insistant de Jésus sur l’heure qui vient, l’heure quand elle sera venue, et même ce commentaire de l’évangéliste Jean, aux noces de Cana, sur le moment qui n’est pas encore l’heure de Jésus. L’heure de Jésus c’est maintenant pour nous, puisque la passion, la croix et la résurrection sont intimement liées et présentes en permanence dans la vie du monde, dans la vie de l’Église, dans la vie personnelle des croyants : c’est toujours simultanément pour nous l’heure de la compassion, de la douleur la plus profonde et celle de la joie.
En ce moment exact, nous sommes dans la joie de cet accueil liturgique, parce que le Seigneur par le ministère du pape François a donné un pasteur à l’Église qui est à Paris, mais nous n’oublions pas la peine de ceux qui à travers le monde affrontent les douleurs de la guerre et du terrorisme – nous prions en communion avec eux et pour eux, certains de ces frères sont représentés parmi nous ce soir ; sans oublier non plus la peine de vous, diocésains de Paris marqués par le départ subit de mon prédécesseur Mgr Michel Aupetit à qui je dis mon estime et mon amitié ; sans oublier encore que si nous sommes dans cette église, c’est parce que notre cathédrale Notre-Dame a été gravement blessée il y a trois ans, créant une émotion intense à Paris, en France et dans le monde entier – je salue tout le peuple de Paris qui a ressenti cette blessure avec infiniment de tristesse, mais aussi avec l’immense fierté de se savoir mystérieusement et universellement soutenu.
Cette reconnaissance peut légitimement être attribuée au symbole que porte en lui cet édifice, à l’attrait qu’il exerce sur des foules innombrables ; mais il y a plus encore : ce que nous avons vu, c’est l’intensité d’une prière mêlée au drame qui se déroulait sous nos yeux, et je suis bien certain que beaucoup d’hommes et de femmes qui ne prient pas comme nous, je veux dire à la manière catholique de prier, ou qui ne prient pas souvent voire jamais, n’ont pas trouvé d’autre mot pour témoigner de leur communion que ceux d’une prière tellement spontanée.
Et puisque nous sommes à quelques jours de la Pentecôte, nous recevons comme une bonne nouvelle l’annonce que Jésus fait et qui prolonge son heure jusqu’à aujourd’hui et jusqu’à la fin des temps : l’annonce du Défenseur, de l’Esprit de vérité. Évidemment, il ne s’agit pas de la vérité scientifiquement démontrée, mais de la vérité qui concerne le mystère de la relation de l’homme et de Dieu en la personne du Christ, de cette vérité qui se dévoile quand des hommes et des femmes se donnent entièrement au service des autres, et des plus précaires en particulier, quand chacun accepte de céder le pas et de reconnaître, à la manière de Jésus, les autres supérieurs à soi-même, quand nous comprenons que nous ne sommes pas les auteurs de notre vie, qu’elle vient d’un amour premier : « la conscience d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est nécessaire » a écrit le pape François dans sa récente encyclique Fratelli tutti.
Ce Défenseur fait sans cesse ce travail en nous, même si nous ne l’apercevons pas toujours : nous en serons témoins dans la démarche des quatre cents adultes du diocèse de Paris qui seront confirmés ici même, et de milliers d’autres dans les cathédrales de France lors des célébrations de Pentecôte. Hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions qui ont appris ou redécouvert qu’ils ne sont pas perdus dans leurs solitudes, leurs angoisses ou leurs contradictions, mais sauvés par Celui qui se donne à tous, le Christ vivant.
Accueillons l’Esprit de vérité qui guide notre marche, et qui prend soin de notre monde, le maintient en vie au milieu des heurs et des malheurs.
Ainsi l’a-t-il fait au début de la prédication évangélique pour Paul et ses compagnons dans ce passage du livre des Actes des Apôtres : nous y voyons ce petit groupe, peut-être même ce tout petit groupe, répondant à un appel inattendu. Puisque Paul a dû affronter, dans les lignes qui précèdent notre récit d’aujourd’hui, refus et même une lapidation où il a été laissé pour mort, il s’interroge sur sa mission, et comprend que Dieu et les hommes l’attendent ailleurs. Invités se jeter à l’eau, les voici qui accostent maintenant en Macédoine, c’est-à-dire en Europe pour la première fois. Destin impressionnant qui va lier pour tant de siècles le christianisme et notre continent. Peut-être à l’excès puisque la foi chrétienne sera tellement assimilée à nos mœurs, à nos cultures qu’elle donnera un témoignage de domination du monde et provoquera les rejets que l’on connaît dans les périodes moderne et contemporaine. Nous assumons cela qui est le fait de la tentation humaine de dominer mais nous restons aussi admiratifs de l’œuvre de l’Esprit saint à travers l’histoire des hommes.
Nous comprenons que c’est Lui aussi qui inspire à l’Église le désir de l’Unité des chrétiens que l’Histoire a divisés ; nous comprenons que c’est Lui qui souffle sur ces Églises quand elles cherchent les voies pour la paix entre les peuples, ; quand elles soutiennent les efforts d’une Union entre nos peuples qui respecte leurs différences et leurs cultures ; quand elles prônent avec les derniers papes, et particulièrement François que l’unité prévaut sur le conflit ; et surtout quand elles savent qu’il vaut mieux construire que d’encourager la défiance et que le temps est supérieur à l’espace : faire naître et laisser se développer des processus vertueux en matière de comportement pacifique et d’écologie intégrale, celle qui respecte les plus fragiles autant que la nature. Là se trouve la racine de projets justes pour notre continent.
Nous ne nous sommes pas égarés loin de notre actualité ni loin de notre Écriture : ce sont quelques personnes de l’entourage de l’apôtre Paul et les gens de la maison de Lydie qui ont posé cet acte de foi et d’espérance que nous pouvons prendre à notre compte.
Je m’adresse tout particulièrement au peuple de Paris, aux catholiques, aux chrétiens et aux autres croyants, à tous ceux qui simplement veulent ensemble nourrir une espérance en ces temps de désolation : faire attention aux peines et aux souffrances d’une époque ne signifie pas s’y complaire, mais regarder le monde tel qu’il est et l’ouvrir sur un avenir. Croyants que nous sommes, nous n’avons pas réponse à tous les problèmes qui nous assaillent, mais nous avons une espérance à énoncer. Et ce n’est pas parce que nous renonçons à un esprit de domination qui s’est développé dans des siècles antérieurs, que nous n’avons plus rien à dire, et surtout plus personne à montrer. Celui que notre main et notre regard désignent c’est le Christ, dont « la clarté resplendit sur le visage de l’Église » (Lumen Gentium 1) quand elle se fait servante, quand elle n’a pas peur, quand elle appelle au respect de la dignité de tout être humain, quand elle noue et favorise des liens de fraternité entre tous, quand elle révèle par sa joie l’espérance qui l’habite.
Développer un esprit missionnaire et un esprit collaboratif, ce qui est réellement l’esprit synodal, dans l’Église d’aujourd’hui, dans notre diocèse de Paris, à la suite des grandes intuitions du cardinal Lustiger, maintenues et développées par le cardinal Vingt-Trois et Monseigneur Aupetit, c’est continuer de susciter des vocations au service de l’évangile, c’est poursuivre l’œuvre caritative et solidaire avec les plus précaires, qui marque tant les paroisses, c’est se mêler aux conversations et aux débats, c’est continuer d’entendre le cri des victimes d’abus et remédier comme nous avons déjà entrepris de le faire pour restaurer une confiance qui fera du bien à tous, c’est participer aux forums et inviter des artistes, c’est entendre les aspirations de notre société même quand elles nous surprennent et nous inquiètent, c’est écouter les plus jeunes qui nous disent déjà ce qui sera… Ceci n’est pas un programme, c’est une attitude qui nous change et nous transforme, qui fait de nous des témoins du Christ vivant dans le monde où nous vivons nous-mêmes.
Que saint Denis et sainte Geneviève nous soient en aide : ils sont des modèles de courage et de confiance devant les défis de leur époque. Que les grands fondateurs de l’Université au 13ème siècle, avec les maîtres qui l’ont mise en lumière Albert le grand et Thomas d’Aquin, nous inspirent. Que les grands spirituels du 17ème siècle, qui sont aussi de grands charitables à l’instar de Saint Vincent de Paul, continuent de susciter des générosités alimentées dans une relation étroite au Christ ; ils ont d’ailleurs eu de beaux successeurs dans le Paris du 19ème siècle avec Sainte Catherine Labouré, Bienheureuse Rosalie Rendu et Bienheureux Frédéric Ozanam. Que Saint Charles de Foucauld et celui qui l’a conduit au Christ, l’abbé Henri Huvelin à Saint Augustin, à qui j’associe – sans la prendre à Lyon ! – Bienheureuse depuis hier Pauline Jaricot, développent en chacun cet esprit missionnaire qu’illustre aussi Madeleine Delbrêl dont le diocèse de Créteil porte vigoureusement la cause.
Nous ne manquons pas de modèles ni d’intercesseurs : ils ont été de courageux témoins et surtout de simples serviteurs… Que la grâce du Seigneur nous fasse ainsi porter du fruit.
Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris